« J’essaie de me convaincre que la saison va reprendre d’ici à un mois ou deux, mais c’est impossible de se projeter. Depuis mon retour en France, je suis complètement tiraillé, car ma tête est restée au Liban. » Au bout du fil, Marvin Sarkis ne cache pas son désarroi d’avoir été soudainement arraché à son quotidien de basketteur professionnel. Rentré à Roanne, sa ville natale dans le département de la Loire, le joueur de Champville peine encore à envisager à quoi ressembleront les prochains mois de sa carrière. Arrivé six ans auparavant sur les terrains de la première division libanaise de basket, l’occasion de faire ses premiers pas dans son pays d’origine, l’arrière franco-libanais de 30 ans venait de rempiler pour une quatrième saison avec les Maristes, club basé à Dik el-Mehdi, dans le caza du Metn, au nord de Beyrouth, qui ne cachait pas ses ambitions pour la saison à venir.
« Malgré la guerre qui s’élargissait, je n’envisageais absolument pas de quitter le Liban. Ces dernières semaines, je continuais d’aller à la salle et à m’entraîner avec mes coéquipiers, comme si on allait bientôt pouvoir rejouer, raconte-t-il. Mais un jour, le président m’a appelé pour me demander de quitter immédiatement le pays, comme il l’a fait avec tous les joueurs qui en avaient la possibilité. L’élément déclencheur a été un discours de Benjamin Netanyahu (Premier ministre israélien), dans lequel il disait qu’aucun endroit au Liban ne serait épargné ».
Alors, le 16 octobre, au lendemain de ce coup de téléphone d’Ibrahim Menassa, Marvin Sarkis embarquait à bord d’un avion de la Middle East Airlines (MEA), ultime compagnie aérienne à desservir Beyrouth. Un chemin emprunté par nombre de basketteurs, libanais ou étrangers, depuis l’annonce du report du début de la saison par la Fédération libanaise de basket (LBF). Initialement prévu début octobre, le coup d’envoi du championnat de basket a été de nouveau décalé cette semaine, avec une reprise espérée le 4 décembre.
« Tous les contrats sont gelés »
Maintenues la saison dernière malgré les échanges de tirs quotidiens entre Israël et le Hezbollah dans le sud du pays, les compétitions sportives ont été mises en berne depuis le 23 septembre dernier et l’élargissement de l’offensive israélienne sur le Liban. Outre la ligue de basket, le championnat de football, reporté jusqu’à nouvel ordre après une première journée de championnat disputée mi-septembre, ou encore le marathon de Beyrouth, prévu le 10 novembre et remis lui aussi à une date ultérieure, font également partie de ces institutions sportives de premier plan ayant payé le prix fort d’une guerre qui s’est étendue jusqu’au cœur de la capitale depuis un mois.
« Tous les secteurs sont affectés par cette situation, nous ne pouvions pas y échapper, regrette Maroun Gebrayel, membre du comité exécutif de la LBF et directeur des compétitions nationales. Nous sommes prêts à prendre toutes les mesures nécessaires pour reporter le début de la saison tant que possible. Mais nous refusons jusqu’à maintenant d’envisager une annulation, le championnat doit avoir lieu. Ne pas laisser ce jeu mourir, c’est notre façon à nous de résister », clame-t-il.
Reste à savoir pendant combien de temps cette pause forcée pourra durer pour les dix clubs engagés au départ de cette saison 2024/2025. Dans une ligue où les uns ont les reins plus solides que les autres financièrement, les précédentes saisons blanches, comme celle causée par la thaoura puis la pandémie de Covid-19 en 2019/2020, ont eu raison de nombreuses équipes. « Ce n’est pas la première fois que nous devons faire face à une telle situation et nous avons beaucoup appris de l’expérience de 2019, reprend Maroun Gebrayel. Nous essayons de faire en sorte que les intérêts de tous les membres de la famille du basket libanais : les clubs, les joueurs, les sponsors et les supporters, soient préservés », ajoute-t-il.
Ce coup d’arrêt est d’autant plus brutal qu’il survient dans la foulée de plusieurs années fastes sur le plan sportif. Après un exercice 2023/2024 conclu en apothéose avec une finale entre les deux grands rivaux du championnat, Sagesse et Riyadi, la LBF venait de signer un contrat de diffusion au montant record de 10 670 000 dollars sur quatre ans avec la MTV. Une hausse de près de moitié des droits télévisés du championnat censée permettre aux différents clubs d’assurer leur pérennité et de s’émanciper encore davantage du mécénat et du bon vouloir de leurs actionnaires. Mais jusqu’à présent, tous les versements prévus ont été, eux aussi, remis à plus tard. « Tous les contrats sont gelés, que ce soit ceux des joueurs ou du staff », confirme Ahmad Farran, l’entraîneur de Riyadi, fraîchement sacré champion du Liban, de la World Asia Super League puis du continent asiatique. « C’est vrai que de passer de la Coupe intercontinentale, où nous affichions déjà un bon niveau, à rien du tout en l’espace de quelques semaines, c’est très frustrant. Peut-être qu’on reprendra le 4 décembre dans le meilleur des cas, mais j’en doute fort vu l’évolution de la situation. »
La soudaineté et l’ampleur de l’escalade israélienne sur le pays du Cèdre a par ailleurs poussé la trentaine de joueurs étrangers, en grande majorité de nationalité américaine, évoluant dans la ligue libanaise à faire leurs valises. Surtout lorsque les appels des ambassades à évacuer se sont faits de plus en plus insistants. « Dès que ça a commencé à dégénérer, les joueurs ont commencé à avoir peur. Dans un premier temps, on leur a dit de ne pas trop s’inquiéter, comme ils sont logés dans des zones sûres et d’attendre les décisions de la fédération », relate Peter Hobeika, ancien basketteur professionnel au Liban devenu agent de joueurs au sein de PSB Sports, l’une des agences les plus importantes de la région. « Mais très vite, ils ont dû partir lorsque les ambassades ont passé un accord avec la MEA pour leur réserver des places et les évacuer au plus vite. Il y en a même qui sont partis en bateau à Chypre », détaille-t-il.
« Dans un tel contexte, le sport passe au dixième plan »
Parmi les sept joueurs évoluant au Liban dont Peter Hobeika représente les intérêts, certains ont déjà rompu leurs contrats pour s’engager ailleurs, tandis que d’autres ont opté pour un gel amendé d’une clause de rupture si une autre possibilité s’offre à eux. « La plupart des équipes ont déjà leur effectif au complet, ce n’est pas évident de trouver des solutions de rechange en cours de saison, reprend-il. Le problème se pose surtout pour les joueurs libanais. Hormis les plus référencés d’entre eux, comme Waël Arakji ou Sergio Darwiche qui ont déjà pu retrouver une nouvelle équipe, beaucoup sont à l’arrêt. »
C’est notamment le cas de Marvin Sarkis, qui, malgré la satisfaction de ne plus être soumis au vacarme quotidien des bombardements, tourne en rond à Roanne. « Je ressens une sorte de culpabilité d’avoir dû laisser derrière moi mes coéquipiers, les salariés et tous mes amis restés sur place qui n’ont pas cette chance de pouvoir se mettre à l’abri. Je préfère ne pas trop regarder les infos pour ne pas devenir fou », confie-t-il, tout en affirmant sa volonté de revenir au pays dès que possible. « Ma priorité absolue, ça reste Champville et le Liban. Si une solution temporaire s’offrait à moi pour me permettre de continuer à jouer en attendant la reprise, ce serait l’idéal, mais le sport passe au dixième plan dans ce genre de contexte. J’espère juste que cette guerre s’arrêtera au plus vite, non pas pour que je puisse rejouer au basket, mais pour que les Libanais puissent reprendre une vie normale. »
À l’image de nombre de leurs concitoyens, les basketteurs libanais se sont placés à l’avant-garde de l’élan de solidarité pour venir en aide aux déjà plus du million de déplacés ayant fui les bombardements israéliens. Parmi eux, Waël Arakji s’est manifesté dès les premiers jours de l’escalade sur ses réseaux sociaux en lançant une cagnotte sur la plateforme Gofundme ayant récolté plus de 35 000 dollars. À deux doigts de signer en faveur de la franchise NBA de Golden State, aux États-Unis, le meneur star de la sélection a temporairement quitté Riyadi pour s’engager avec le club Arabi au Qatar, d’où il continue d’envoyer des cargaisons de nourriture et de produits de première nécessité au Liban. « Pour contribuer à mon humble mesure, j’ai directement écrit à Waël et il m’a tout expliqué. C’est génial ce qu’il a fait », glisse Marvin Sarkis.
Un mouvement suivi de nombreux autres membres de la sélection nationale, qui devront reprendre du service le mois prochain dans le cadre des qualifications pour la prochaine Coupe d’Asie. Censés recevoir les Émirats arabes unis puis la Syrie les 22 et 25 novembre prochain à Zouk, les Cèdres disputeront ces deux rencontres à Dubaï, où ils iront entamer un stage de préparation dans une quinzaine de jours. D’ici là, plusieurs entraînements collectifs ont été programmés par la LBF pour remettre en forme les joueurs restés au Liban. Le premier d’entre eux s’est tenu ce samedi à Antélias, sur le terrain du club d’Antranik, avec 13 joueurs dont plusieurs cadres de la sélection : Ali Mezher, Karim Zeinoun ou encore Amir Saoud, capitaine de la sélection. « Cela faisait un mois que je n’étais pas sorti de chez moi. Lorsque je me suis levé ce matin en sachant que j’allais à l’entraînement, je n’en revenais pas », avoue le meneur de Riyadi, qui réside près du quartier de Bachoura, dans l’ouest de Beyrouth, touché par une frappe le 2 octobre. « La nuit dernière, je n’ai pas dormi à cause des frappes. J’ai été obligé d’envoyer mes enfants à la montagne chez mes beaux-parents, car ils commençaient à être traumatisés par le bruit des bombardements. C’est dur de se dire que je vais quitter le pays sans eux », regrette-t-il. Et de conclure : « Aujourd’hui, représenter le Liban de la meilleure façon possible est notre devoir. Nous sentons que nous allons vraiment défendre le cèdre, plus que jamais ».
Les Libanais comme les israéliens ont l'amour du basket !!! Un sport où il faut réfléchir avec son cerveau et où un entraineur peut gagner un match.
14 h 22, le 28 octobre 2024