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Nos Lecteurs ont la Parole

Une double guerre

Ça fait un moment que j’essaie d’écrire sur le Liban en guerre, sur Beyrouth sous les bombes. J’essaie de retrouver mon souffle coupé, mon énergie épuisée, ma passion pour l’écriture pour parler de toi, ma patrie, mon pays bien-aimé et ma ville natale.

Tout a été dit sur la violence de cette guerre, la barbarie de ce qui se passe, la décadence de notre siècle, où des images d’enfants morts défilent sous les yeux du monde entier et où les gens continuent leur café, passent au deuxième meeting, terminent la signature d’un énième contrat, s’habillent pour aller faire la fête parce que ça se passe au Moyen-Orient, où certaines vies semblent avoir moins de valeur que d’autres.

Tout a été dit sur la résilience, mais aussi sur la fatigue d’être résilient, sur les traumatismes intergénérationnels, sur les parents qui ne veulent jamais partir, qui veulent toujours rester, coincés dans leurs fauteuils, scotchés à leur télé dans leur petit salon, certains ayant déjà vécu toutes les guerres dans ce même salon, sur ce même fauteuil et devant la même télé.

Tout a été dit sur l’amour de la patrie, sur ces 10 452 km² que nous ne céderons pour rien au monde, chaque fragment de terre, chaque montagne, chaque goutte d’eau, chaque pierre.

Tout a été dit sur tant de choses, mais avons-nous vraiment évoqué les millions d’expatriés qui mènent une double guerre ?

Je suis expatriée depuis 18 ans, je navigue entre les hauts et les bas de mon Liban. J’ai écrit sur toutes les crises, sur la crise économique et sociale, la crise des poubelles, l’explosion, les élections, la révolution… mais c’est la première fois que je vis l’expatriation et la guerre simultanément, je vis une double guerre.

Une double guerre, quand on se trouve physiquement à l’étranger, mais moralement ancré au Liban, le cœur en souffrance.

Une double guerre, quand le bruit des bombes ne résonne pas dans nos nuits, mais on est privé de sommeil par la douleur de nos pensées.

Une double guerre, quand la culpabilité de notre privilège d’avoir une maison, un abri, la sécurité pèse sur nos consciences.

Une double guerre, quand nos vies sont rythmées par les notifications de nos téléphones et les alertes des groupes WhatsApp.

Une double guerre, quand certains de nous vivent dans des pays qui soutiennent cette guerre, qui envoient des armes, tandis que nous contribuons à leur économie et nous retrouvons face à des gens qui osent justifier ces massacres, et on se sent impuissants, car partir en ces temps difficiles serait insensé.

Une double guerre, quand on nous dit : « Vous avez de la chance d’être loin », alors que notre seul désir est d’être « proche ».

Une double guerre, quand il faut se lever le matin, aller travailler, discuter, mener une vie « normale », alors que notre pays est en guerre.

Une double guerre, quand on se précipite vers le centre d’aide humanitaire pour remplir des cartons, se rassembler en communauté et contribuer à distance pour aider les autres.

Une double guerre, quand on parle au téléphone avec nos parents, la gorge nouée, car ils n’osent même pas aborder les fêtes de fin d’année et un Noël sans nous, et pour éviter les sujets délicats on se reconcentre sur la guerre.

Une double guerre, quand on doit expliquer tout cela à nos enfants tout en essayant de les préserver, car il ne faut pas tout dire, il ne faut pas trop dire, il ne faut pas les traumatiser, ils sont loin.

Une double guerre, quand on entend les histoires des enfants qui subissent une guerre qu’ils n’ont pas choisie et qu’ils ne comprennent pas. Ces enfants qui se réveillent la nuit au son des bombes, prient pour que ce cauchemar cesse avant de se rendormir, et rêvent d’un Liban comme dans leurs contes de fées et leurs histoires de superhéros. Mon neveu, en particulier, croit profondément que nous allons la gagner cette guerre, car pour lui le Liban est le « gentil » dans son récit.

Une double guerre, quand on doit interrompre tout pour s’assurer que nos proches n’étaient pas dans cette zone, ce lieu, cette rue au moment où un missile a frappé des civils, car ce sont toujours les civils qui paient le prix le plus cher.

Une double guerre, une double vie, un monde parallèle où l’on essaie de continuer, où l’on fait semblant d’être bien, d’être mieux que ceux qui sont là-bas, car nous, nous avons ce privilège d’être loin.

Je pense à tous ceux qui vivent une double guerre et à tous ceux qui sont au Liban, à tous mes compatriotes de toutes les religions, de toutes les régions, de tous les coins du monde. Je pense aux enfants, aux familles, aux parents, aux vieux, aux déplacés, à tous ceux qui ont perdu des proches, mais qui restent unis plus que jamais face à l’ennemi. Je pense à vous tous, à nous tous, à nos racines et nos appartenances, à nos vies de près ou de loin, à notre terre, à notre pays et notre identité que nous défendrons toujours face au monde entier en vivant une guerre ou une double guerre.

Les textes publiés dans le cadre de la rubrique « Courrier » n’engagent que leurs auteurs. Dans cet espace, « L’Orient-Le Jour » offre à ses lecteurs l’opportunité d’exprimer leurs idées, leurs commentaires et leurs réflexions sur divers sujets, à condition que les propos ne soient ni diffamatoires, ni injurieux, ni racistes.

Ça fait un moment que j’essaie d’écrire sur le Liban en guerre, sur Beyrouth sous les bombes. J’essaie de retrouver mon souffle coupé, mon énergie épuisée, ma passion pour l’écriture pour parler de toi, ma patrie, mon pays bien-aimé et ma ville natale.Tout a été dit sur la violence de cette guerre, la barbarie de ce qui se passe, la décadence de notre siècle, où des images d’enfants morts défilent sous les yeux du monde entier et où les gens continuent leur café, passent au deuxième meeting, terminent la signature d’un énième contrat, s’habillent pour aller faire la fête parce que ça se passe au Moyen-Orient, où certaines vies semblent avoir moins de valeur que d’autres.Tout a été dit sur la résilience, mais aussi sur la fatigue d’être résilient, sur les traumatismes intergénérationnels, sur...
commentaires (1)

C’est tellement triste , le Liban n’a jamais voulu une guerre ce sont les autres qu’ils font la guerre sur notre terre

Eleni Caridopoulou

12 h 36, le 19 octobre 2024

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Commentaires (1)

  • C’est tellement triste , le Liban n’a jamais voulu une guerre ce sont les autres qu’ils font la guerre sur notre terre

    Eleni Caridopoulou

    12 h 36, le 19 octobre 2024

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