Au milieu du déluge de feu d’Israël qui semble vouloir dessiner les contours d’un nouveau Moyen-Orient, leur absence aurait presque pu passer inaperçue. C’est pourtant un petit séisme que viennent de vivre les familles des victimes de l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth : ce vendredi 4 octobre, pour la première fois depuis le drame ayant coûté la vie à 235 personnes, elles ne se sont pas rassemblées sous la statue de l’Émigré, en face du port, comme c’était le cas chaque mois depuis plus de quatre ans. « Jusqu’à hier soir, on voulait descendre, ne serait-ce qu’en petit nombre. Mais la frappe survenue hier soir dans la banlieue sud a été tellement terrifiante que nous avons décidé d’annuler. Jusqu’ici, nous n’avions jamais manqué ce rassemblement mensuel, mais là, c’est la guerre, et nous sommes tous suffisamment traumatisés », rappelle Hélène Ata, dont le frère jumeau a perdu la vie le 4 août 2020, tandis que son autre frère a été paralysé à vie.
« Avec chaque raid, avec chaque cri de détresse qui émane des décombres, les souvenirs du 4-Août reviennent raviver nos blessures », relate l’association des familles des victimes de l’explosion dans un communiqué publié vendredi. « Nous vivons tous des troubles de stress post-traumatiques. Après l’explosion, mon frère est resté 18 heures sous les décombres. Chaque image d’immeuble effondré le replonge dans cette journée d’horreur », explique Hélène Ata. D’autant qu’après avoir principalement ciblé le Liban-Sud, la plaine de la Békaa et la banlieue sud de Beyrouth, les frappes israéliennes visent désormais aussi des quartiers réputés sûrs de la capitale et des villes jusqu’ici épargnées. « Tout le Liban est dangereux. Il y a des familles à Aley qui se pensaient en sécurité, mais leur ville a été ciblée hier », dit Hélène Ata.
Le communiqué vient aussi clarifier l’état d’esprit des familles après la mort du chef du Hezbollah Hassan Nasrallah le 27 septembre dans un bombardement israélien et les pertes subies dans les rangs du parti. « Après l’assassinat de Nasrallah, beaucoup de voix se sont élevées disant qu’on devait être contents d’avoir enfin obtenu justice. C’est de l’ignorance : nous, ce que l’on demande, c’est d’aller au bout de l’enquête. Certes, beaucoup de partis, dont le Hezbollah, ont tout fait pour la freiner, mais face à la catastrophe humanitaire en cours, on ne peut que souffrir avec les victimes », dit Hélène Ata. Le Liban est en guerre, précise-t-elle, et « les bombes israéliennes ne font pas de distinction. Aujourd’hui, deux ambulances ont encore été touchées ». Plusieurs responsables politiques et sécuritaires, dont certains proches du Hezbollah, sont poursuivis par le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, chargé de l’enquête.
À l’inverse, les familles se disent solidaires avec les victimes, les comprenant mieux que quiconque : « Seul celui qui souffre ressent la douleur des autres. Nous éprouvons vos blessures et les ajoutons aux nôtres », dit le communiqué, dénonçant « la faillite de l’État à protéger ses citoyens », et celle des Nations unies « incapables d’arrêter le massacre des innocents ».