Un séisme. Un choc. Une nuit d'horreur à regarder la banlieue sud de Beyrouth se faire pilonner par l'armée israélienne. Et le début d'un nouveau monde, où tous les scénarios semblent possibles, pour le Liban et le Moyen-Orient. La mort de Hassan Nasrallah - annoncée par l’armée israélienne puis confirmée par le Hezbollah - est le point d’orgue d’une semaine qui a redistribué toutes les cartes et auquel personne n’était préparé. On anticipait le scénario d’une guerre totale depuis près d’un an, on savait que le rapport de force était largement à l’avantage d’Israël, mais aucun expert, aucun diplomate, et probablement aucun membre du Hezbollah ou de l’axe iranien, ne pouvait imaginer que la milice la plus puissante au monde allait subir de tels coups de massue - et le Liban avec elle - en quelques jours.
On est pour l’instant loin du scénario de 2006 et loin également de ce qui se passe à Gaza : il est désormais clair que l’armée israélienne prépare cette guerre depuis près de vingt ans et qu’elle a des dizaines de coups d’avance sur son ennemi. Elle semble tout connaître du parti chiite : ses planques, ses cadres, ses commandants, ses dépôts de missiles, ses moyens de communication. Le survol de ses drones au-dessus de Beyrouth, jour et nuit, sonne d’ailleurs comme un ultime rappel : Israël surveille le Liban dans ses moindres faits et gestes.
A quel point le parti est-il infiltré ? A quel point a-t-il sous-estimé la force et la détermination de son adversaire ?
Israël a réussi à décapiter presque tout le haut commandement du Hezbollah en quelques jours, quelques semaines au plus si on inclut l’assassinat de Fouad Chokor dans la banlieue sud le 30 juillet dernier. La formation pro-iranienne paraît totalement déboussolée, en témoigne le temps qu'elle a mis à annoncer la mort de son chef.
Hezbollah à terre
Plusieurs mythes se sont effondrés au cours de ces derniers jours : celui de l’équilibre de la terreur dont se vantait le Hezbollah ; celui de la toute puissance d’un mouvement qui était devenu une véritable armée régionale ces dernières années ; celui de l’invincibilité de Hassan Nasrallah, l’un des hommes les plus puissants du Moyen-Orient ; et enfin celui de « l’unité des fronts » si cher à l’axe iranien. Le Hezbollah est à terre et personne ne lui est encore venu en aide : ni son parrain iranien, ni les houthis, ni les milices irakiennes et encore moins le régime Assad pour la survie duquel il a pourtant sacrifié des milliers d’hommes.
Malgré tout, la prudence s’impose. Nous ne savons rien de ce qui se passe à l’intérieur du parti, rien non plus des intentions des Iraniens. Israël a mené des milliers de frappes en une semaine, qui ont probablement détruit une partie de l’arsenal du Hezbollah. Mais ni les 150 000 missiles et roquettes qu’il détient, ni les dizaines de milliers d’hommes armés qui forment la milice n’ont toutefois disparu en un claquement de doigt. Même si cela paraît chaque jour plus compliqué, on ne peut pas exclure le fait que le Hezbollah ait encore les moyens de répondre à son adversaire et de mener une guerre totale et de plus longue durée. Le parti est en état de choc. Peut-il se relever ? Il a évidemment ses calculs. Et ces derniers doivent prendre en compte le pouls de sa rue et du Liban, qui ne veulent pas de cette guerre. Mais, en définitive, la décision ne lui revient pas.
C’est à la République islamique de décider si elle accepte sa défaite ou si elle se lance dans une escalade de tous les périls. Elle peut considérer qu’elle doit a minima essayer de rééquilibrer le rapport de force avant d’entamer la phase des négociations, ce qui implique probablement de donner un feu vert au Hezbollah pour utiliser ses missiles de haute précision et d’activer ses autres alliés dans la région.
Mais c’est un pari risqué qui pourrait compromettre à termes la survie du régime, les États-Unis ayant envoyé des signaux très clairs sur le fait qu’ils ne resteraient pas à l’écart de cette guerre. Malgré ses missiles et ses milices, Téhéran n’a pas les ressources nécessaires pour affronter Washington et Tel-Aviv dans un conflit direct, d’autant que les pays du Golfe et la Jordanie se tiendront du côté de l’« ennemi ». Le régime iranien, obsédé par sa survie, peut-il la mettre en péril pour éviter une défaite humiliante au Hezbollah ? Le communiqué du guide suprême Ali Khamenei samedi, affirmant qu’Israël ne pourra pas venir à bout du Hezbollah, peut être interprété de différentes manières. Comme un quasi abandon, ou comme une façon de gagner du temps avant de préparer la riposte.
Et le Liban ?
La République islamique voit se déliter sous ses yeux une grande partie de ce qu’elle a construit pendant plus de quatre décennies. Le 7 octobre et ses suites devaient lui offrir une victoire stratégique sans précédent. Mais elle semble ne pas avoir pris conscience de la détermination d’Israël à l’affaiblir avec le feu vert, à peine dissimulé, de l’administration Biden. Sa priorité est peut-être désormais de préserver son programme nucléaire, perçu comme la dernière assurance-vie du régime.
Et le Liban dans tout cela ? Israël agit sans la moindre retenue ou considération pour les pertes civiles. La frappe visant Hassan Nasrallah, vendredi soir, a fait des centaines de morts selon les estimations de l’armée israélienne auxquels il faut ajouter ceux qui ont dû périr au cours de la nuit, faute d’avoir pu fuir leurs maisons à temps. Tout cela sans la moindre condamnation internationale ! Si l’escalade se poursuit, le bilan atteindra rapidement des milliers de morts et une grande partie des infrastructures du Sud, de la Békaa et de la banlieue sud de Beyrouth sera détruite.
Si un cessez-le-feu est conclu, le pays ouvrira un nouveau chapitre de son histoire, dominée depuis maintenant plus de deux décennies par l’ombre du Hezbollah et le doigt de Hassan Nasrallah. Le secrétaire général du Hezbollah est la personnalité la plus adulée et la plus détestée du pays du Cèdre. Sa mort est une onde de choc sans précédent et sans comparaison, au moins depuis celle de Rafic Hariri. Hassan Nasrallah est le visage et la voix de « l’axe de la Résistance ». Il sera bien sûr remplacé, mais il paraît par bien des aspects irremplaçable.
Quelle que soit l’issue de la guerre, le Hezbollah en sortira très affaibli. Il lui faudra des années pour reconstruire sa crédibilité vis-à-vis de sa base populaire, de l’ensemble des Libanais et des pays de la région. Mais il ne va pas disparaître pour autant. La formation pro-iranienne va évoluer, muter, mais va rester la plus forte sur la scène libanaise. Va-t-elle redevenir une milice à l’état pur ? Va t-elle tenter au contraire de devenir un parti « comme les autres » ? Il est trop tôt pour le savoir. On peut toutefois imaginer que le Hezbollah va être encore plus paranoïaque, moins enclin à faire la moindre concession, et plus déterminé que jamais à ré-imposer, par tous les moyens possibles, un rapport de force qui lui soit favorable avec les autres parties.
Tous les scénarios sont sur la table. Celui d’une guerre totale, d’une défaite que le parti chiite fera payer au Liban, et d’une opportunité, tellement fragile, d’enfin tirer les leçons de tout ce qui a conduit le Liban, au-delà du Hezbollah, à se retrouver une nouvelle fois dans cette situation.
Le Liban possède une occasion unique de reprendre la main, après l'élimination de Nasrallah. Les Chrétiens, Druzes et Sunnites doivent absolument s'allier pour empêcher qu'un Hezbollah "new-look" ne ressuscite sous la férule d'un nouveau dirigeant qui sera - également - un larbin de Téhéran. Aucun israélien ne viendra s'installer au Liban ou même ne songe à le diriger, comme certains esprits dérangés l'ont écrit. Les israéliens veulent une paix ferme et définitive avec le pays du cèdre. C'est aux Libanais de prendre leur destinée en main. L'occasion est unique, elle ne repassera pas !
23 h 04, le 29 septembre 2024