Face à l'émotion suscitée en France par les témoignages de violences sexuelles visant l'Abbé Pierre, l'Eglise catholique est poussée à réagir, pour réaffirmer sa volonté d'aider les victimes et contrer les accusations de silence depuis des années.
« Je réaffirme ici le travail de l'Eglise en France pour que la vérité soit faite » sur les agressions sexuelles et l'emprise spirituelle, a affirmé lundi au journal Le Monde le président de la Conférence des évêques de France (CEF), Eric de Moulins-Beaufort.
L'Abbé Pierre, mort en 2007, est accusé par une vingtaine de femmes, parfois mineures à l'époque, de violences sexuelles pouvant pour certaines relever du viol. Depuis leur révélation cet été par le cabinet Egae, la question du silence des institutions est centrale.
« L'Eglise a fauté », affirmait dimanche sur la radio française RTL l'ancienne présidente du Secours catholique, Véronique Fayet.
« Les évêques informés et les responsables d’Emmaüs », mouvement créé par l'Abbé Pierre, « ont étouffé les affaires », affirmaient dès juillet quatre chercheurs de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise (Ciase).
Une lettre de 1958 révélée par Franceinfo pourrait accréditer cette théorie, puisque l'archevêque de Paris Maurice Feltin y dissuade un ministre de décorer l'Abbé Pierre, qu'il qualifie de « grand malade ».
L'Eglise « perdue »
Le pape François a relancé les interrogations en affirmant vendredi, dans des propos alambiqués, que Le Vatican était au courant, au moins depuis sa mort en 2007, des accusations de violences sexuelles visant l'Abbé Pierre.
Des propos qui « écrasent tous les efforts de l'Eglise en France », estime Anne Soupa, la présidente du Comité de la Jupe, association féministe et catholique qui pose un regard critique sur l'institution. « L'Eglise n'a pas eu la bonne attitude » et aujourd'hui « est perdue dans cette affaire, elle ne sait où aller », déclare-t-elle à l'AFP.
Mgr de Moulins-Beaufort, qui évoquait ces dernières semaines une connaissance de certains évêques, s'est montré plus précis lundi: « il est désormais établi que, dès 1955-1957, quelques évêques au moins ont su que l'Abbé Pierre avait un comportement grave à l’égard des femmes ».
Il a rappelé que l'Eglise avait à l'époque eu « une réaction forte au regard des manières de faire de ce temps », en envoyant l'Abbé Pierre en cure psychiatrique, en lui désignant un adjoint...
Après les révélations du cabinet Egae, la Conférence des évêques de France a aussi décidé d'ouvrir ses archives. Le diocèse de Grenoble (centre-est), dont dépendait l'Abbé Pierre, a pris la même décision.
Et maintenant ? Dans sa tribune publiée après les propos du pape, Mgr de Moulins Beaufort invite aussi le Vatican à « une étude de ses archives », et qu'il « dise ce que le Saint-Siège a su et quand il l’a su ».
Car la déclaration de François a aussi agacé : « la question reste de savoir si le Saint-Siège avait connaissance de bruits ou de faits, et lesquels », souligne une source proche du dossier.
« Immense progrès social »
Plus largement, l'archevêque de Reims (nord-est) appelle « toutes les autres institutions et organisations » à en faire autant, dans ce travail de « vérité » autour d'un abbé qui « a presque toujours vécu à distance » du cadre ecclésial.
L'Abbé Pierre, de son vrai nom Henri Grouès, a été député dans les années 1950 avant de devenir « personnalité préférée des Français » plusieurs années de suite dans les années 1990.
Après les témoignages publiés par le cabinet Egae, Emmaüs a annoncé la mise sur pied d'une commission d'enquête.
L'Eglise de France, qui fait face depuis des années à des scandales de violences sexuelles, a elle mis en place plusieurs instances de réparations et cellules d'écoute.
Aujourd'hui les victimes parlent et « c'est un immense progrès social », a assuré Mgr de Moulins-Beaufort, en leur promettant sa « détermination à ce que leur parole produise un effet ».
Certains doutent toutefois qu'il s'agisse, avec cette affaire hors normes, d'un véritable tournant.
« Les évêques de France avancent, mais en traînant des pieds, parce qu'ils ne peuvent pas faire autrement », estime un observateur critique de l'Eglise : « ils devraient parler franchement, dire: nos prédécesseurs ont mal agi ».
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