Libanaise d’origine, j’ai quitté mon pays il y a plusieurs années de cela, mais n’ai jamais cessé de le porter dans mon cœur.
Hélas, le Liban, c’est l’amant que nous aimons passionnément, mais qui nous fait constamment souffrir, et qui finit par nous lasser… Alors, à un certain moment, nous en avons assez et nous l’envoyons paître…
J’en arrive là, j’en arrive même à avoir honte d’aimer ce pays qui a si peu de considération pour ses enfants, à avoir honte de ce qu’il est devenu, de la dégénérescence à laquelle il a succombé, de sa faiblesse envers ceux qui le rongent, ceux qui le dépouillent, ceux qui ternissent sa beauté, ceux qui en font un espace de corruption, de laideur physique et morale, un espace où s’affrontent, tels de petits gangs, des tribus menées par des individus sans foi ni loi, mais dont les membres ne sont, hélas, que de pauvres âmes sans repère et sans cette capacité d’introspection qui aurait pu leur permettre de voir le vide dans lequel ils évoluent.
Sur le plan international, le Liban est devenu synonyme d’un repaire de terrorismes de tous genres et d’affiliations diverses. Et hélas, de manière tout à fait incompréhensible, une apathie, devenue viscérale, le maintient comme paralysé et incapable de se remettre sur la bonne voie.
Bref, le Liban de mon enfance et de mon adolescence, le pays « béni » par les dieux, le pays du Cèdre, le pays chanté dans la Bible, le pays d’où ont émergé les vaillants phéniciens, le pays qui a engendré des philosophes, des poètes, des écrivains, le pays admiré pour la beauté de ses soleils couchants dans la Méditerranée, le pays envié pour sa douceur de vivre et la richesse de ses paysages, le pays qui a pu et su, à un certain moment de son histoire, héberger harmonieusement des populations de confessions diverses, de langues variées, de dialectes hétéroclites… Ce pays n’est plus, il faut en prendre son parti, en faire son deuil… La renaissance viendra peut-être un jour, mais elle n’aura certainement pas lieu de mon vivant, ni même de celle de mes enfants.
Ce que j’écris est dur… Je l’écris avec des larmes refoulées et du chagrin dans le cœur. Je l’écris parce que je n’en peux plus d’espérer qu’il y aura une renaissance, de croire que tel ou tel événement changera la donne, ou que tel ou tel pays étranger, que ce soit la France ou n’importe quel autre pays, viendra nous sauver et rétablir le Liban « d’avant »… C’est peut-être notre erreur fatale à nous libanais : notre optimisme un peu irréaliste et cette tendance à imaginer qu’on va venir à notre aide ou qu’on s’en sortira par miracle. Évidemment, cela nous permet de « tenir le coup » mais n’est-ce pas aussi la formule idéale qui mène à une paralysie néfaste ?
Le Liban aujourd’hui est un pays ubuesque, où l’absurde se le dispute au tragique.
Voici une anecdote qui illustre bien cette absurdité: il y a quelques années, j’avais ouvert un compte au Liban… Même à mon âge, j’étais encore assez naïve pour croire qu’un jour, « tout redeviendrait comme avant », et je mourais d’envie de faire connaître ce pays à mes enfants et petits-enfants. Le montant n’était pas énorme mais servait de point de départ et je pensais alors qu’acheter quelque chose là-bas permettrait d’y garder mes racines et de les transmettre.
Par malchance, j’ouvris ce compte quelques semaines avant que le système banquier au Liban ne commence à s’effondrer ! Nous savons ce qui est arrivé à ce système depuis.
Voici la suite de l’histoire : il y a peu, j’envoie un courriel à ma banque demandant de pouvoir avoir accès à mon compte en ligne. La réponse ne se fait pas attendre : votre compte est « dormant » et il faudra remplir les formulaires suivants (la préposée avait gentiment inclus une demi-douzaine de documents)… Il faudra les remplir, envoyer les originaux par courrier, etc. Cela va me prendre un temps fou mais peu importe, là n’est pas la question.
La question est plutôt la suivante : qu’est-ce qu’un compte « dormant » au Liban ? Sans activité ?
Or comment peut-on rendre un compte « actif » ou alors comment le « réveiller » puisque je ne pouvais rien retirer. Continuer à déposer ? Pourquoi le ferai-je alors que je n’ai droit à aucun retrait ? Toutefois, on continue à prélever des charges bancaires (quelque 10 dollars par mois). Pourquoi paye-t-on ces charges ? Aucune explication plausible n’est fournie. Ainsi, éventuellement, au fur et à mesure que ces charges seront débitées, mon compte continuera à diminuer jusqu’à devenir nul !
Mais sous quel type de concept a-t-on défini ce compte de « dormant », et comment fait-on pour le « réveiller » ? Allez savoir !
Mais surtout : comment cela est-ce permis ?
Les personnes à qui j’en parle (à l’étranger) ne semblent pas me croire lorsque je dis que je suis incapable de retirer mon argent d’une banque censée être régie d’après les régulations bancaires ayant effet dans les pays occidentaux… Après tout, le Liban fut, pendant de nombreuses années, connu et reconnu pour sa stabilité bancaire ! Et il fut aussi, et on a peine à le croire aujourd’hui, une plaque tournante sur le plan financier… Ces quelques dernières années, les événements ont hélas bien démontré que cette stabilité n’était que du leurre.
Alors voilà où nous en sommes… Des petits déposants qui se trouvent lésés et qui ne semblent avoir aucun recours ! À qui s’en prendre ? Les pauvres employés de banque en sont aussi des victimes mais malheureusement peuvent servir de boucs émissaires à la colère de ceux qui, frustrés, ne savent plus à quel saint se vouer.
Comment est-ce qu’un pays peut ainsi voler son peuple, le mener au désespoir, l’empêcher de pouvoir se soigner, nourrir sa famille, en un mot, vivre
Honte à vous, dirigeants, qui êtes complices de cet état de choses.
Honte à vous, les milliardaires qui avez planqué votre argent ailleurs, pendant que vos concitoyens pleurent leurs maigres économies, fruits du labeur de toute une vie
Honte à vous politiciens qui ne pensez qu’à vos propres ambitions, qu’au moyen de vous enrichir aux dépens de vos concitoyens !
Honte à vous, ceux ou celles qui sont devenus complices d’un tel système et qui n’osent pas en dénoncer les malfaisances !
Quant à moi, et à mon grand regret, je ne parle plus du Liban à mes petits-enfants. Que leur dirai-je qui ne soit pas mensonge ?
J’ai honte et j’ai honte d’avoir honte.
Être libanais aujourd’hui est un déchirement sans nom.
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Même ici en Italie mes amis me demandent sur le Liban et je ne sais pas quoi dire
20 h 36, le 13 septembre 2024