Le temps qui passe est insaisissable. Il glisse entre nos doigts comme le sable fin au bord de la mer. Les saisons changent et les années défilent. Rien ni personne ne peut les arrêter, quelle que soit la situation vécue. Et pourtant, c’est drôle comme une chanson peut changer les choses ! Le temps s’arrête alors pour nous. Une vague nous emporte loin de notre quotidien. Les aiguilles de la montre se figent.
Finie cette sensation d’étouffement qui plane au-dessus de nos têtes dès qu’on ouvre les yeux. Cette ombre menaçante qui transforme chaque journée en défi insurmontable. Les cœurs écorchés, les rêves démolis, tout est soudain estompé, comme par magie. Oui, nous sommes un peuple condamné, impuissant, résigné face aux injustices accumulées, aux promesses non tenues, aux droits bafoués... Un peuple que chaque jour semble mener vers l’inconnu. Un inconnu vertigineux car échappant à toute logique... Un peuple agonisant, fataliste devant des forces trop grandes pour être vaincues...
Et pourtant, une chanson de Feyrouz et nous retrouvons tout ce que nous avions oublié. Nos montagnes majestueuses, quelques nuages flottant autour de leurs cimes, nos villages, havres de paix où le chant des oiseaux se mêle au bruissement des feuilles caressées par l’air pur et frais du matin, les petits ruisseaux serpentant à travers les vallées fleuries, les clairs de lune, les réunions chez les grands-parents autour de tablées simples mais gorgées d’amour, les couchers de soleil flamboyants et la mer si bleue qui nous offre des horizons infinis... Il suffit d’une étincelle pour rallumer les braises sous la cendre. Notre âme vacille et se relève, ces émotions nous font revivre. C’est comme si on redevenait humains !
Alors, devant ce carrefour sans panneau, sans repères, on s’élance ! On y croit de nouveau. On croit en ce pays. Nostalgie, tristesse, espoir, tout se mélange. On se redresse fièrement, nous avons surmonté bien d’autres batailles, nous avons survécu à toutes les peurs. Nous poursuivrons la route, il le faut... Nos enfants qu’on attend impatiemment chaque été ou pour les fêtes, la chair de notre chair dont on nous a si cruellement privés, reviendront se connecter avec leurs origines et retrouver un sentiment d’appartenance. Ils seront fiers du patrimoine culturel, de la richesse gastronomique, de nos mezzés, de nos traditions ancestrales. Ils reviendront avec un regard neuf chargé d’amour et d’espoir et feront du passé, de ce patrimoine une force pour bâtir l’avenir et peut-être écrire des livres sur la résilience d’un peuple qui a survécu.
« Sa narjaou mahma yamourrou el-zaman... »
Rolla AOUN
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