On entend fréquemment, ces derniers temps, cette théorie qui prétend que le peuple libanais est en très grande partie coupable, au vu de la situation actuelle du pays. Coupable du pétrin inextricable dans lequel il s’est volontairement engouffré et des beaux draps dans lesquels il s’est délibérément installé.
Une thèse très répandue actuellement, qui mérite approfondissement.
Les tenants de cette théorie se basent principalement sur le fait que lors des dernières élections législatives, une partie des électeurs a décidé volontairement (et regrettablement), à travers son droit de vote, de renouveler le mandat de la caste politique actuelle au lieu de profiter des urnes pour changer radicalement le pouvoir en place, afin que ses hommes rendent définitivement leur tablier et qu’ils quittent à jamais leurs fonctions. Ces mêmes électeurs avaient une occasion en or de le faire et malheureusement, ils s’en sont abstenus, syndrome de Stockholm exige.
Il y a une part de vérité dans ce raisonnement. Mais, n’empêche que malgré cet argument en définitive assez vraisemblable, il reste que ce concept de la culpabilité du peuple continue à être très discutable.
Une allégation qui, malgré sa véracité, mérite réflexion. Les déductions apparentes ne sont toujours pas très rigoureuses.
Avant d’aborder le sujet épineux des élections législatives, on peut dire que généralement, lorsque les masses populaires sont bien dirigées et bien gouvernées, lorsqu’elles sont mises convenablement sur les rails de la bonne gouvernance, elles peuvent donner le meilleur d’elles-mêmes. Lorsqu’on assure aux personnes le contexte idéal pour s’épanouir, ces dernières peuvent faire ressortir le meilleur en termes de qualité.
Il suffit d’avoir de véritables leaders, charismatiques, visionnaires et dévoués, pour que le changement en profondeur commence à porter ses fruits.
Les indices qui prouvent cela, aux niveaux national et mondial, ne sont pas des moindres et ne manquent pas. Il est juste nécessaire de revenir sur certains faits historiques marquants pour s’assurer de la véracité de la non-culpabilité du peuple ou du moins, du bénéfice de ce dernier de circonstances atténuantes extrêmement larges (à titre d’exemples non limitatifs, chez nous, les présidents Fouad Chéhab
et Bachir Gemayel et mondialement le général de Gaulle en France, le Mahatma Gandhi en Inde, l’ancien Premier ministre de Malaisie Mahatir Mohamad et l’Allemagne devenue une superpuissance industrielle, après deux guerres mondiales, grâce au premier chancelier arrivé après la Seconde Guerre, Konrad Adenauer).
Pour plus de précisions encore, il faut ajouter que ces pages de l’histoire auxquelles il est fait allusion confirment, sans le moindre doute, que plus le pouvoir est formé de personnes capables, intègres et responsables, plus l’interaction et l’effet de synergie positive se réalisent entre les dirigeants et les dirigés, un peu à la manière des vases communicants. La réciproque est également vraie et malheureusement, c’est typiquement ce qui se passe, chez nous, en ce moment.
Ce qui est tout à fait évident, c’est que le bon exemple doit toujours émaner du haut de la pyramide du pouvoir, et non pas de la base et des masses. Parce qu’il va sans dire qu’en règle générale, les peuples ne sont pas toujours formés de saints ou de personnes qui mènent une vie exemplaire. Mais, malgré cela, la collectivité peut facilement être dirigée et canalisée vers ce qui est bon, utile et fructueux. Encadrer et motiver donc, dans le but de bâtir cette communauté humaine convenable.
Et si le peuple est considéré coupable, par manque de civisme et de loyauté, cet argument n’est certainement pas à l’avantage de l’establishment politique en place. Un argument qui peut facilement être retourné contre le pouvoir établi, qui tient mordicus en place, avec ténacité, envers et contre tout.
Il suffit de penser que ce même establishment politique représente l’unique exemple à suivre pour les citoyens. Comme perspective et référence, ce n’est donc pas la gloire, ni l’idéal. Surtout que, généralement, cette classe dirigeante vit, d’une façon choquante et indécente, dans l’opulence et le luxe, en raison d’une corruption notoire, et tout cela au détriment d’une population qui s’enlise de plus en plus dans les privations, le dénuement et l’insécurité. Les exemples de corruption sont chez nous à la pelle et comme les jours. Ils se suivent et ne se ressemblent pas, tellement ils sont nombreux, variés et multiformes.
Pour être plus clair, ce n’est même pas le modèle qui correspond au minimum acceptable de la part des individus, en tant que personnes ou même en tant que collectivité.
De plus, si le peuple est fautif, c’est en grande partie parce que la caste dirigeante n’a pas su (et n’a pas voulu) encadrer et canaliser les classes populaires pour faire ressortir chez elles les valeurs de la bonne citoyenneté. Elle n’a eu auprès de ces dernières ni un rôle de direction plausible et crédible ni un rôle de formation effectif et valable. Ce rôle capital de direction et de formation, afin d’instruire, de cultiver et d’élever, et non pas d’accabler, d’écraser et d’abrutir.
Dans ce sens, l’argument brandi de la culpabilité du peuple est loin d’être en faveur du pouvoir ni à son avantage.
Une mauvaise gouvernance donne ipso facto, surtout sur le long terme, une mauvaise citoyenneté. Une telle « élite » va obligatoirement donner une telle catégorie de population. En revanche, des personnes de valeur, dotées de sagesse, peuvent engendrer un genre d’individus ayant beaucoup plus de culture citoyenne et ayant à cœur les intérêts de la Cité (avec un grand « C »). De bons leaders sont plus enclins à améliorer, à responsabiliser et à émanciper.
La bonne question est de savoir, dans l’état actuel des choses, comment les faire accéder, après les avoir repérés, aux postes-clés de l’État.
Certains vont brandir, pour objecter, le spectre du confessionnalisme et rétorquer, à raison, que tant que ce confessionnalisme existe, point de salut à l’horizon, pas de possibilités de changement ni d’amélioration des conditions de vie des Libanais. Il y a certes une grande part de vérité dans cette approche réaliste. Le confessionnalisme n’est pas pour aider à avoir le pays de nos attentes, de nos aspirations, de nos ambitions et même de nos rêves.
Idem pour les armes du Hezbollah – sujet rien de plus complexe et compliqué actuellement – qui représentent un arsenal confessionnel par excellence. Pour la simple raison que cet armement est détenu exclusivement par une partie de citoyens à coloration purement confessionnelle. Le même raisonnement s’applique à l’idéologie, également sectaire et confessionnelle.
Le confessionnalisme, ce sentiment d’appartenir à une confession ou à une religion plus qu’à un pays ou à une nation, sans parler des protections confessionnelles qui en découlent, est à coup sûr un problème épineux qu’il faut à tout prix essayer de réduire, autant que possible.
Comment faire pour aboutir à un résultat acceptable dans ce sens ?
Eh bien, si on tient à procéder avec les moyens du bord (realpolitik exige) et à garder le même système politique, sans pour autant rentrer dans les affres de la violence et des guerres ni s’engager dans les dédales de la polémique sur la partition, le fédéralisme, le confédéralisme... sujets complexes, très controversés, ces derniers temps, les options qui restent ne sont pas nombreuses.
Il faut d’abord commencer par promulguer une loi électorale valable qui soit vraiment représentative des Libanaises et des Libanais, contrôler les frontières, consacrer l’État de droit et des libertés publiques, offrir plus de prestations sociales, insister sur le développement durable et, surtout, condition nécessaire et non pas suffisante, promouvoir la propagation de la culture démocratique et de la culture citoyenne.
C’est les seuls maigres espoirs qui restent pour aboutir à une éventuelle résurrection, tant attendue, du pays. Tout en sachant d’avance que par volonté délibérée et surtout par incapacité notoire, « ils » ne vont rien faire de tout ce qui vient d’être mentionné. Pour la simple raison que « la plus belle femme du monde ne peut donner que ce qu’elle a », selon la citation célèbre de Paul Valéry.
Dans ce cas, il est très probable que le confessionnalisme ne soit pas totalement éradiqué, mais sensiblement réduit.
Soyons réalistes, l’abolition générale du confessionnalisme (surtout des esprits) ne peut se faire en deux temps, trois mouvements. C’est un long processus qui pourrait en fin de compte aboutir. Il suffit de remettre le pays dans la bonne direction. Et pour cela, il faut indéniablement, aux commandes de l’État, des personnes capables, dévouées, intègres et responsables.
Le commun des mortels que nous sommes bénéficie de larges circonstances atténuantes, ceux qui sont donc beaucoup plus fautifs, ce sont ceux qui tiennent en main la destinée du pays. Les torts penchent assurément vers ceux qui tiennent les rênes du pouvoir.
Pour ces raisons, et parce que la décence et le bon sens exigent qu’on soit toujours du côté de la victime et non pas du bourreau et à la manière d’Émile Zola défendant la cause du capitaine Dreyfus, inculpé à tort d’avoir livré des documents aux Allemands, j’accuse.
Avocat à la cour
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Les coupables sont les chrétiens
18 h 42, le 09 septembre 2024