Critiques littéraires Essai

Quel sionisme après Gaza ?

Dans « Sion sera une fête ou ne sera pas », Jean Clam Clam oppose le « sionisme heureux » des « pionniers » à un sionisme de plus en plus replié sur lui-même.

Quel sionisme après Gaza ?

Peut-on régénérer le sionisme ?

Toute réflexion digne de ce nom sur le devenir du conflit ayant précipité le carnage incessant à Gaza ne saurait véritablement s'engager sans une explicitation autobiographique préalable. Dans sa jeunesse, il a combattu lors de la guerre du Liban, affrontant les milices palestiniennes à Beyrouth. Il confesse avoir été instruit par des militaires israéliens et avoir embrassé la conviction que l'invasion de 1982, loin d'être une simple manœuvre militaire, représentait une nécessité doublement salvatrice pour le Liban. Il prônait alors une alliance indéfectible entre les chrétiens et Israël, aspirant à voir le Liban rompre avec un arabisme qu'il considérait comme dévastateur. Cependant, avec le temps et les péripéties, il affirme avoir infléchi sa position. Une lucidité croissante l'a conduit à discerner dans l'action d'Israël une entreprise systématique de sape du processus de paix avec les Palestiniens. Il évoque, en outre, comme un point de bascule, la lecture de l'imposante œuvre d'Henry Laurens sur la question palestinienne, qu'il considère comme un tournant éclairant.

C'est à travers cet itinéraire singulier, empreint de nuances et de réflexions profondes, que Jean Clam, penseur oscillant entre la phénoménologie, la psychologie, et la sociologie, nous invite, ainsi que ses amis juifs, qu'ils soient de la diaspora ou d'Israël, à contempler l'issue de ce conflit interminable. Une contemplation nourrie par les souffrances actuelles du peuple palestinien, notamment à Gaza, mais qui reste focalisée sur la question du destin du sionisme.

D'une part, Clam aspire à éveiller chez son lecteur, en particulier chez le lecteur juif, une prise de conscience aiguë de l'immensité de l'injustice infligée au peuple palestinien, avec l'audace de signifier que la lutte contre cette injustice relève d'une responsabilité universelle, tout particulièrement pour les juifs. D'autre part, Clam ne se livre ni à une interrogation sur un Proche-Orient dénué d'Israël, ni sur un Israël transcendant le sionisme. Sa préoccupation se situe ailleurs. La question qui sous-tend cet ouvrage réside dans la possibilité d'une régénération du sionisme premier, susceptible de renouer avec les idéaux qui l'ont vu naître.

Clam oppose le « sionisme heureux » des « pionniers », encore imprégné des idéaux des Lumières et de l'universalisme, et qui, selon lui, limitait les souffrances infligées aux populations locales au strict nécessaire pour établir une nation, nécessaire pour se protéger contre un antisémitisme croissant et de plus en plus extrême, en réponse aux vagues d'assimilation des juifs dans les pays européens, à un sionisme de plus en plus replié sur lui-même, résolu à échapper à toute norme universaliste.

Cependant, Clam établit un lien, non intentionnel mais suggestif, entre ces deux formes de sionisme, en arguant que le premier a ouvert la voie au second. Initialement, ce premier sionisme visait à rassembler le peuple juif dans une patrie choisie, animée par la perspective exaltante d'une guérison du présent à travers la réconciliation du passé et de l'avenir dans un Altneuland, le « Nouveau-Vieux Pays » cher à Théodor Herzl. Ce projet qui semblait au départ une chimère, s'est concrétisé, donnant naissance, selon les termes de l'auteur, à « une réussite incroyable, la matérialisation de la plus folle des rêveries ». Toutefois, c’est précisément la cristallisation de cette utopie qui a conduit à l'issue profondément anti-universaliste du sionisme ultérieur. Selon Clam, l'idée d’un retour, avec son geste symbolique profondément ancré dans la religion et la culture juives, a ravivé les « grandes images » — pour reprendre la terminologie de C. G. Jung — de l’inconscient collectif juif, en invoquant le complexe imaginaire constitué par le réservoir de grands symboles associés à la Landnahme biblique. Terme d'origine allemande désignant l'« appropriation de terre », la Landnahme se réfère au processus de prise de possession de terres non cultivées ou non habitées. Dans le contexte biblique, il fait allusion à l'acte de conquête de la Terre promise par les Hébreux. Ce concept implique une dimension à la fois territoriale et symbolique où la prise de terre est perçue comme l'accomplissement d'un dessein divin ou historique. Cette Landnahme générera toutes sortes de confusions, renforçant la tendance à voir ce retour sur la terre d'origine comme un projet motivé par la conquête des territoires perçus, contre toute évidence, comme terra nullius, renvoyant aux images de purification par le sang de la terre dans le Livre de Josué, une fois le peuple hébreu enfin de retour après les tragédies de la servitude en Égypte et de l'errance dans le Sinaï.

Cela a conduit à l'abandon de toute perspective ouverte sur l'avenir, sauf à travers un alarmisme démographique frustré. La reprise frénétique de la Landnahme biblique s’est effectuée au mépris de toute considération normative, ne reconnaissant que la force et la volonté irrationnelle et insondable du « Dieu des armées ».

Pour Clam, cette évolution désastreuse s’enracine dans le postulat de « l’intolérance de la tolérance » selon lequel toute fragilité ou modération serait perçue comme un signe de faiblesse par un antisémitisme éternellement prédateur, en quête de revanche. En somme, cela signifie une trahison de l'aspiration ultime du sionisme initial : revendiquer pour l'être juif une place normale parmi les nations, non pas en tant qu'individu — l'assimilation individuelle ne garantissant pas contre l'antisémitisme mais le rendant encore plus agressif — mais en tant que nation territoriale moderne inscrite dans un système international de droit. Il convient de noter que la démarche de l'auteur n'est pas nouvelle ; il n'est pas le premier à centrer sa réflexion sur le contraste entre un sionisme éclairé des débuts et un sionisme de plus en plus tributaire de l'application intégrale d'un imaginaire biblique, que ce soit sous une forme sécularisée dans le sionisme révisionniste de Jabotinsky ou sous une forme théocratique dans le sionisme religieux. Il se distingue cependant par sa fusion de ces deux gammes du sionisme anti-Lumières dans ce qu'il qualifie d'« assertorique », signifiant par là qu'il affirme ce qu'il veut par la brutalité du fait accompli et en toute arrogance sans le soumettre à un système de normes, de règles de droit ni à aucune preuve rationnelle, tout en misant sur l'irrationnel, à la fois désespéré et sanguinaire, censé être exacerbé à une plus grande échelle par ses ennemis.

Or, comme tout ouvrage qui maîtrise sa stratégie rhétorique, celui-ci appelle à un sionisme opposé à l’autre tout en visant principalement à illustrer à quel point le sionisme prépondérant dans l’Israël d'aujourd'hui est devenu préoccupant pour l’avenir même de l’être juif dans ce monde.

Depuis de nombreuses années, la vie à Gaza a été, pour le moins qu'on puisse dire, invivable, non seulement en raison des islamistes qui contrôlent la bande et l’assujettissent à leur eschatologie appliquée, mais aussi parce qu’Israël a jugé bon de saper toute véritable paix avec les Palestiniens. Clam refuse de ne pas tenir compte de ce contexte et de commencer son récit uniquement le jour des attaques du 7 octobre, bien qu'il ne soit pas avare dans sa condamnation des actes perpétrés ce jour-là.

Pour lui, la tragédie de Gaza s'explique principalement par une identité croissante entre vivre et ne pas vivre pour les habitants de ce territoire assiégé. Survivre au carnage à Gaza n'est guère moins douloureux que d’être broyé dans sa furie.

Cette injustice totale ne concerne pas seulement une armée ou un gouvernement, mais doit également susciter une réflexion sur une culture et une tradition. La question implicite dans tout l’ouvrage semble être la suivante : quel sens revêt l'identité juive après la guerre de Gaza ?

Un ouvrage qui appelle à une réflexion, à la fois prudente et interactive, avec ce qu'il suggère, mais qui devrait, parmi d'autres dimensions, être complété par une analyse de l'impact des non-Ashkénazes, ceux qui n'ont pas été directement concernés par l'antisémitisme européen radical et la Shoah, sur le sionisme. Clam reste ancré dans une perspective entièrement ashkénazo-centrique de l'histoire du sionisme.

Sion sera une fête ou ne sera pas de Jean Clam, Ganse Arts et Lettres, 2024, 170 p.

Peut-on régénérer le sionisme ?Toute réflexion digne de ce nom sur le devenir du conflit ayant précipité le carnage incessant à Gaza ne saurait véritablement s'engager sans une explicitation autobiographique préalable. Dans sa jeunesse, il a combattu lors de la guerre du Liban, affrontant les milices palestiniennes à Beyrouth. Il confesse avoir été instruit par des militaires...
commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut