Au 330e jour de l’ouverture du front de soutien à Gaza à partir du sud du Liban, des questions sont posées avec de plus en plus d’insistance par les Libanais de toutes les communautés et des différents milieux : à quoi sert vraiment ce front ? A-t-il atteint les objectifs fixés pour son ouverture et ceux-ci méritaient-ils les pertes subies par le Liban ?
Lorsque le Hezbollah a décidé d’ouvrir le front de soutien à Gaza à partir du Sud le 8 octobre, il ne pensait sûrement pas que la guerre allait se prolonger autant. D’ailleurs, la première opération qu’il a lancée pour soutenir Gaza a eu lieu dans les fermes de Chebaa, cette zone qui restait conflictuelle entre le Liban et Israël depuis l’adoption de la résolution 1701, en août 2006. Le choix de ce lieu montrait la volonté du Hezbollah de ne pas dépasser ce qu’on appelle « les règles de la confrontation ». D’ailleurs, au cours des bientôt onze mois de confrontation, ce sont généralement les Israéliens qui dépassent régulièrement ces « règles », tantôt en bombardant des civils, tantôt en frappant la Békaa ou encore la banlieue sud de Beyrouth. Et, à part la tragédie de Majdel Chams dans le Golan (12 morts civils) où le Hezbollah et les Israéliens s’accusent réciproquement du massacre, il n’y a pas eu de civils israéliens morts dans les attaques à partir du Liban.
Par contre, selon un recensement récent du Hezbollah, les Israéliens auraient tué, en bientôt 11 mois, 460 combattants et 50 civils. De plus, l’ouverture du front de soutien a aussi causé des destructions énormes dans les localités frontalières du Sud. D’ailleurs, les habitants ont été poussés à quitter leurs maisons dans ces localités, pour réduire les risques de pertes civiles. Ces localités sont désormais des villages fantômes où seuls les combattants se déplacent. Ils s’installent parfois dans des maisons que leurs propriétaires ont évacuées et ceux-ci apprennent par la suite que leurs maisons ont été détruites par des bombardements israéliens. D’ailleurs, les Israéliens mettent sur les réseaux sociaux des vidéos montrant des éléments armés dans les maisons qu’ils visent. Pour le Hezbollah, il s’agit clairement d’une volonté israélienne de monter les habitants des localités frontalières contre lui. C’est pourquoi, dans un de ses discours, le secrétaire général du Hezbollah a promis de « reconstruire ces localités pour qu’elles soient plus belles qu’elles ne l’étaient ». Il avait utilisé cette même formule pendant la guerre de 2006 et il avait à cette époque tenu parole, puisque les 210 immeubles de la banlieue sud détruits ont alors été reconstruits. Le Hezbollah mise sur ce rappel pour rassurer les habitants qui estiment payer le prix fort pour l’ouverture du front de soutien.
Le malaise populaire suscité par les destructions dues aux attaques israéliennes fait ainsi partie intégrante de l’évaluation générale sur l’utilité de ce front. En plus des pertes humaines, ce malaise est donc réel au sein de l’environnement populaire du Hezbollah, au Sud, mais aussi dans la Békaa qui est devenue une cible quasi régulière et même dans la banlieue sud de Beyrouth, qui a été abandonnée par une partie importante de ses habitants pendant les trois semaines entre l’assassinat du responsable militaire du Hezbollah Fouad Chokor et la riposte de la formation. L’exode forcé des habitants des localités frontalières a eu beau rester relativement limité, il a quand même provoqué une crise sociale avec la hausse des loyers et le refus de certaines municipalités d’autoriser la location aux déplacés du Sud. Le Hezbollah cherche à aider dans ce domaine, mais ses moyens restent limités. Toutefois, la grogne des habitants reste contrôlée. De même, la pression exercée par le front de soutien et par la guerre psychologique qu’il l’accompagne tant au Liban qu’en Israël a aussi augmenté la crise sociale dans l’ensemble du pays. Au point que les adversaires politiques du Hezbollah utilisent le climat d’angoisse pour isoler la formation et pousser les Libanais à la rejeter.
Pourtant, au bout de bientôt 11 mois, le Hezbollah continue d’être convaincu de la justesse de sa décision. D’abord, parce que s’il ne l’avait pas prise, toute sa théorie sur l’unité des champs de bataille et sur la solidité de ce qu’il appelle « l’axe de la résistance » serait tombée. Toutefois, de nombreuses parties libanaises, dont le CPL, refusent cette théorie et considèrent que le Liban n’a pas à payer pour l’appartenance du Hezbollah à un axe régional. Mais ce dernier estime que face à la « grande coalition qui soutient Israël », il est nécessaire d’être solidaire avec Gaza. De plus, le Hezbollah reste convaincu qu’il faut absolument empêcher les Israéliens de remporter une victoire. Car une fois débarrassés de Gaza, ils se tourneront forcément vers le Liban. Selon le Hezb, le scénario du passé est édifiant, lorsqu’il a été décidé d’installer le commandement de l’OLP sur le territoire libanais et les dirigeants libanais n’ont eu d’autre choix que d’accepter. Sans le Hezbollah, le Liban ferait donc les frais des solutions éventuelles, puisqu’il constituerait un maillon faible. D’autant que les Israéliens ne veulent pas des deux États et leur seul souci est de chasser les Palestiniens de Gaza. D’ailleurs, selon les médias israéliens, le 11 octobre 2023, dans le cadre d’une réunion militaire israélienne, la décision de lancer une guerre contre le Liban a été étudiée. Pourquoi n’a-t-elle pas été exécutée ? Selon le Hezbollah, c’est justement parce que l’ouverture du front de soutien a poussé les Israéliens à la retenue. De même, après sa riposte à l’assassinat de Fouad Chokor, les Israéliens ont eux-mêmes déclaré que « si le Hezbollah se contente de cette riposte, nous le ferons aussi ». En ouvrant le front de soutien et en cherchant à dissuader les Israéliens, le Hezbollah estime aussi avoir réservé une place au Liban dans les négociations à venir. S’il y a un prix à payer pour empêcher le Liban d’être le second Gaza, le Hezbollah est donc prêt à le faire et comme le répète Nasrallah, la décision de maintenir ouvert le front de soutien est irrévocable, tant qu’il y aura la guerre à Gaza.
Cette logique est-elle convaincante pour les autres Libanais ? Les avis restent partagés, mais ce qui compte le plus pour la majorité d’entre eux, c’est que le conflit reste limité. Lorsque la guerre se terminera, il sera toujours temps de dresser les bilans.
Que le parti de dieu qui a pris la décision de soutenir les palestiniens dans la guerre contre Israël assume les conséquences en pertes de vies humaines et matérielles de la poche de son parrain iranien et non de celle du contribuable libanais. Super analyse comme à l’accoutumée.
14 h 34, le 03 septembre 2024