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Idées - Irak

Les risques de la confessionnalisation du statut personnel en Irak

Les risques de la confessionnalisation du statut personnel en Irak

« Non aux mariage des mineures », peut-on lire sur une pancarte brandie par une Irakienne lors d’une manifestation contre un projet d’amendement de la loi sur le statut personnel, le 8 août 2024, à Bagdad. Ahmad al-Rubaye/AFP

Les efforts déployés actuellement en Irak pour modifier la loi sur le statut personnel du pays et donner plus de pouvoir aux communautés religieuses reflètent l’institutionnalisation croissante du confessionnalisme comme base de la refonte de la société irakienne.

Si dans les années qui ont suivi la chute du Baas en 2003, la plupart des groupes islamistes du pays, en particulier les groupes chiites, se sont principalement occupés à consolider leur pouvoir et se sont contentés d’une vague disposition constitutionnelle stipulant que « l’islam est la religion officielle de l’État et une source principale de la législation » ; la volonté d’affirmer leur vision du monde au sein de la société et d’« islamiser les lois » a pris de l’ampleur ces dernières années.

Le succès du Cadre de coordination – qui regroupe un certain nombre de factions islamistes chiites – dans la formation du nouveau gouvernement, la domination du Parlement et le renforcement de son influence sur des organes indépendants tels que la Commission des médias et des communications, ainsi que sur le pouvoir judiciaire, a joué un rôle crucial dans cette évolution. Le cadre de coordination a réussi à surmonter les revers qui ont suivi les manifestations de 2019 et, dans une large mesure, a démantelé les groupes d’opposition par une combinaison de coercition et de cooptation.

Remodeler l’identité du pays

La plupart des forces qui ont dominé le pouvoir politique ont cherché à remodeler l’identité du pays et l’espace public pour refléter leur idéologie, leur vision et leurs symboles. Par exemple, les factions chiites ont légiféré sur un nouveau jour férié, le jour de « Ghadir », malgré les divergences profondes et anciennes entre sunnites et chiites sur la signification de ce jour et sa relation avec la question du califat islamique. Le gouvernement contrôlé par le Cadre de coordination s’est également montré plus agressif à l’égard des ONG occidentales, fermant les bureaux de certaines d’entre elles et supprimant la couverture légale d’autres. Cette action s’est accompagnée d’une campagne agressive contre ce qu’il percevait comme des tentatives occidentales d’altérer la culture islamique de l’Irak et de « promouvoir la décadence morale ». Cette campagne a abouti à l’interdiction du terme « genre » dans le discours officiel et les programmes scolaires, ainsi qu’à l’adoption d’une loi criminalisant l’homosexualité.

Cet effort a récemment culminé avec les tentatives d’amendement de la loi de 1959 sur le statut personnel, promulguée sous le gouvernement du président Abdel-Karim Kassem. Cette loi s’appuyait sur des interprétations plus progressistes de la jurisprudence islamique, susceptibles de s’aligner sur les normes modernes en matière de droits de l’homme et de la femme. Les nouveaux amendements visent à mettre fin au monopole de l’État sur la réglementation des questions relatives à la famille, à l’héritage et au statut personnel, en permettant aux individus de revenir à la jurisprudence régissant leur propre communauté dans ces domaines. Elle permet également aux autorités religieuses de gérer les contrats de mariage et de divorce et de déterminer les droits de garde des enfants, indépendamment de la justice civile. Les groupes chiites affirment que cette loi est conforme à l’article 41 de la Constitution, qui dispose que « les Irakiens sont libres de réglementer leur statut personnel en fonction de leurs religions, de leurs communautés, de leurs croyances ou de leurs choix ». Toutefois, la loi actuelle offre déjà aux individus une relative liberté de choisir la jurisprudence religieuse qu’ils suivent en matière de mariage, de divorce et d’autres questions. De plus, la proposition de loi est en contradiction avec certaines dispositions constitutionnelles, telles que l’article 14, qui dispose que « les Irakiens sont égaux devant la loi sans discrimination fondée sur le sexe, la race, la nationalité, l’origine, la couleur, la religion, la confession, la croyance, l’opinion, le statut économique ou social », ainsi que d’autres dispositions relatives aux droits de la femme et de l’enfant.

Opposition de la société civile

L’opposition du clergé chiite à la loi de 1959 n’est pas nouvelle. En fait, c’était l’une des principales raisons de l’opposition du clergé au gouvernement Kassem. Cette désapprobation n’était pas uniquement fondée sur des motifs religieux, mais découlait également du fait le transfert de cette compétence aux tribunaux étatiques a réduit l’influence de la hiérarchie religieuse et, surtout, ses revenus. En outre, comme la loi était basée sur plusieurs écoles juridiques, y compris l’école jaafarie, les juristes chiites étaient enclins à la rejeter parce qu’ils considèrent le code juridique comme un tout indivisible.

La tentative actuelle de modifier la loi de 1959 s’est heurtée à une forte opposition de la part des organisations de la société civile. Dans de nombreux domaines, la jurisprudence religieuse est en contradiction avec les droits internationalement reconnus des femmes et des enfants, notamment l’interdiction du mariage des enfants (alors que de nombreux juristes autorisent le mariage des filles dès l’âge de neuf ans) et les questions liées aux droits de garde des femmes et à leur droit d’hériter ou de s’opposer au remariage de leur mari. Cependant, le cadre de coordination semble bénéficier d’un soutien important de la part de l’establishment religieux dans ses efforts, accompagné du silence de la plus haute autorité religieuse, l’ayatollah Ali al-Sistani. Certains ont même qualifié la loi de l’ère Kassem de « laïque », arguant que le mariage, le divorce et l’héritage en vertu de ses dispositions constituent une entorse aux principes religieux.

L’objectif semble être d’ancrer un ordre organisé autour de l’appartenance confessionnelle et ethnique en Irak, en réduisant les citoyens à des identités fixes et héritées. Les communautés deviennent ainsi des intermédiaires entre les individus et l’État, affectant tout, de la représentation politique des citoyens aux droits liés au mariage, à la garde des enfants et aux questions familiales. Si l’on parvient à modifier la loi de 1959 selon la formule proposée, on franchira une nouvelle étape vers l’institutionnalisation de la division sectaire de l’Irak, qui établira une autorité parallèle à celle de l’État dans un large éventail de questions personnelles. Cela s’apparente à ce qui s’est produit avec les Forces de mobilisation populaire, qui représentent un pouvoir parallèle en matière de sécurité.

Ce texte est la traduction synthétique d’un article publié en anglais sur Diwan, le blog du Malcolm H. Kerr Carnegie MEC.

Chercheur invité au Malcolm H. Kerr Carnegie Middle East Center.

Les efforts déployés actuellement en Irak pour modifier la loi sur le statut personnel du pays et donner plus de pouvoir aux communautés religieuses reflètent l’institutionnalisation croissante du confessionnalisme comme base de la refonte de la société irakienne. Si dans les années qui ont suivi la chute du Baas en 2003, la plupart des groupes islamistes du pays, en particulier les...
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Attention le Liban avec le Hezbollah et l’Iran

Eleni Caridopoulou

18 h 54, le 31 août 2024

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Commentaires (2)

  • Attention le Liban avec le Hezbollah et l’Iran

    Eleni Caridopoulou

    18 h 54, le 31 août 2024

  • Autrement dit. ces religieux refusent l’homosexualité mais autorisent la pedophilie sans aucun cas de conscience. Ils autorisent aussi le proxénétisme en autorisant les mariages pour le plaisir moyennant argent si cela est fait devant un cheikh, toujours moyennant des sous. Autrement dit ça n’est plus une religion ni des convictions c’est un fond de commerce comme tant d’autres avec des méthodes barbares pour permettre les crimes contre les femmes et les enfants sans aucune sanction, au nom d’une pseudo religion qu’on arrive pas pas classifier. Vivent les religions et leurs adeptes

    Sissi zayyat

    12 h 28, le 31 août 2024

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