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Idées - Commentaire

Torture : ce que les émeutes de Sde Teiman disent de l’état de la société israélienne

Torture : ce que les émeutes de Sde Teiman disent de l’état de la société israélienne

Des soldats et des policiers israéliens se heurtent à des manifestants de droite et d’extrême droite ayant fait irruption dans la base militaire de Beit Lid, en Cisjordanie occupée, le 29 juillet. Oren Ziv/AFP

Le lundi 29 juillet au matin, un contingent de la police militaire israélienne – l’agence chargée du contrôle des forces de sécurité – est arrivé à Sde Teiman, une base militaire israélienne située dans le désert du Néguev qui sert désormais de centre de détention pour les Palestiniens de la bande de Gaza. La police militaire était venue arrêter neuf réservistes militaires qui servent sur ce site, au sujet duquel des dénonciateurs ont fait part de leurs inquiétudes pendant des mois.

Les soldats étaient recherchés pour leur implication dans l’abus sexuel d’un prisonnier qui avait été hospitalisé quelques semaines plus tôt avec de graves lésions rectales. Presque immédiatement, les politiciens israéliens ont pris la parole sur les ondes pour dénoncer les arrestations, proclamant que les soldats accusés étaient des héros en raison des tortures qu’ils avaient infligées à des prisonniers palestiniens, et conduisant une foule de leurs partisans à faire irruption dans Sde Teiman pour protester contre les arrestations. Il ne s’agissait pas de n’importe quelle foule, mais d’une foule comprenant des ministres, des membres du Parlement et des soldats en uniforme.

Plus tard dans la journée, des scènes similaires se sont répétées à la base militaire de Beit Lid, où les soldats avaient été transportés pour être interrogés. Bien que le fait de s’introduire dans une prison ou d’en sortir soit considéré comme une violation grave de la loi israélienne, jusqu’à présent, aucun individu n’a été arrêté ni même interrogé.

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Le camp de prisonniers de Sde Teiman présente à la fois des éléments d’Abou Ghraib, le centre de torture américain en Irak, et d’un centre d’interrogatoire de la Gestapo. Parmi les abus documentés, basés sur les témoignages d’anciens prisonniers et du personnel de la prison, figurent la torture, la malnutrition et la déshydratation sévères, les amputations après l’utilisation prolongée de fermetures Éclair qui ont été délibérément serrées pour bloquer la circulation des mains et des pieds, et les opérations chirurgicales effectuées sans anesthésie et par des étudiants en médecine non qualifiés. Plusieurs dizaines de Palestiniens ont été tués dans le camp sous la torture ou par refus de répondre à des besoins élémentaires tels que des médicaments pour des maladies chroniques.

Crimes de guerre légalisés

Il convient de rappeler que le crime de guerre qu’est la torture est considéré comme légal, dans des « cas très exceptionnels », en Israël et qu’il a été confirmé comme tel par la Cour suprême, notamment en 1987. En outre, Israël considère les Palestiniens comme des combattants illégaux qui n’ont pas droit aux protections offertes par le droit coutumier en la matière. Les plus hauts dirigeants d’Israël se sont par ailleurs engagés dans une campagne systématique de diabolisation et de déshumanisation des Palestiniens, et de ceux qui sont soupçonnés d’appartenir au Hamas en particulier, ce qui équivaut à un permis de torturer, de violer et de tuer.

Les soldats arrêtés ont essentiellement reçu l’ordre de faire ce qu’ils voulaient avec les Palestiniens et l’assurance que, conformément à la pratique habituelle, il n’y aurait aucune conséquence d’aucune sorte. D’une certaine manière, on peut donc comprendre la réaction d’étonnement des violeurs accusés lorsqu’on leur a dit qu’ils seraient arrêtés pour un comportement qui a été officiellement sanctionné de manière systématique.

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L’affaire reflète également des changements plus profonds au sein d’Israël. Son armée n’a, pour tout dire, jamais eu la réputation d’être disciplinée, mais elle fonctionnait comme l’institution centrale de l’État et de la société israéliens.

Sur cette base, Israël a été décrit comme une armée avec un État plutôt qu’un État avec une armée. Mais les choses commencent à changer. Comme l’a souligné Geoffrey Aronson, ces dernières années ont vu l’émergence d’une nouvelle classe d’hommes politiques israéliens, notamment le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben-Gvir, et le ministre des Finances, Bezalel Smotrich. Contrairement à nombre de leurs prédécesseurs, ils ne sont pas entrés et n’ont pas réussi en politique sur la base d’une carrière militaire, mais ont plutôt construit des carrières fructueuses en s’opposant à l’establishment de la sécurité israélienne et en le délégitimant. Leur force armée préférée n’est pas l’ armée régulière, mais plutôt les milices et les foules.

Le 29 juillet n’était pas tant un tournant qu’une preuve visible que ce changement au sein d’Israël est bien vivant et prend rapidement de l’ampleur. Qu’il fasse irruption sur la scène pour défendre les violences sexuelles commises à l’encontre des Palestiniens ne devrait donc pas constituer une surprise particulière.

Impunité menacée ?

En Israël, on s’inquiète de plus en plus d’une remise en cause internationale de l’impunité dont jouit le pays dans ses relations avec le peuple palestinien. Le chef d’état-major des forces de défense israéliennes, Herzi Halevi, dans sa condamnation des émeutes, a affirmé que les enquêtes de la police militaire étaient essentielles pour protéger les soldats israéliens « à l’intérieur du pays et à l’étranger... (ce dernier) signifiant La Haye » où la Cour pénale internationale (CPI) et la Cour internationale de justice sont basées. Grâce aux efforts déployés par le Royaume-Uni, qui a fait valoir que l’autorité de la CPI se limitait à l’enquête et à la poursuite des seuls Palestiniens, la cour a autorisé de multiples contestations de sa compétence sur les crimes israéliens perpétrés dans les territoires palestiniens occupés.

Un ensemble d’arguments particulièrement spécieux ont été avancés par l’Allemagne, pourtant l’État le plus expérimenté en ce qui concerne les crimes énumérés dans le Statut de Rome. L’un des arguments de Berlin est que la CPI ne devrait pas délivrer de mandats d’arrêt tant qu’Israël n’a pas achevé la commission de ses crimes contre le peuple palestinien et qu’il ne considère pas que son affaire est terminée.

L’autre argument concerne le principe de complémentarité, selon lequel la CPI ne peut et ne veut engager des poursuites que lorsque les juridictions nationales ne parviennent pas à mener elles-mêmes de telles procédures. Dans ses louanges au système judiciaire israélien, Berlin néglige commodément le fait que toutes les études indépendantes sur les crimes commis par des Israéliens contre des Palestiniens ont conclu que le rôle principal de cet appareil judiciaire a été de permettre, de légitimer et de blanchir les crimes en question. Même si ce n’était pas le cas, la complémentarité de la CPI suppose que le système judiciaire national enquête de manière crédible et, le cas échéant, poursuive et condamne les mêmes individus pour les mêmes crimes que ceux dont ils sont accusés par la CPI.

En d’autres termes, les efforts désespérément furieux de l’Allemagne pour défendre le régime génocidaire israélien ne seront pas d’une grande utilité pour Benjamin Netanyahu et le ministre israélien de la Défense Yoav Gallant. Mais Herzi Halevi, un représentant de l’élite militaire traditionnelle d’Israël, anticipe la suite. Lui et ses collègues officiers ne veulent pas partager le sort de MM. Netanyahou et Gallant, ni les nombreuses difficultés que cela impliquerait, même sans arrestation ni poursuites judiciaires. Ils créent donc un argument en faveur de la complémentarité. Dans une société rationnelle, Herzi Halevi serait salué pour sa prévoyance et critiqué pour avoir attendu si longtemps pour agir. Mais une société où des membres du gouvernement et du Parlement, des soldats en uniforme et une foule de chemises brunes s’émeuvent à deux endroits distincts le même jour pour défendre une agression sexuelle collective ne peut pas être considérée comme rationnelle.

En 2016, le grand rabbin des forces de défense israéliennes, Eyal Karim, avait déjà laissé entendre que le viol était une arme de guerre légitime. Si cela ressemble à l’État islamique, ne le dites pas à Washington : comme on pouvait s’y attendre, le porte-parole du département d’État américain, Matthew Miller, a réagi à l’affaire de Sde Teiman en demandant à Israël d’enquêter sur lui-même.

Ce texte est également disponible en anglais sur le site du Middle East Council on Global Affairs.

Par Mouin RABBANI

Chercheur invité au Middle East Council on Global Affairs, ancien responsable des affaires politiques au bureau de l’envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour la Syrie.



Le lundi 29 juillet au matin, un contingent de la police militaire israélienne – l’agence chargée du contrôle des forces de sécurité – est arrivé à Sde Teiman, une base militaire israélienne située dans le désert du Néguev qui sert désormais de centre de détention pour les Palestiniens de la bande de Gaza. La police militaire était venue arrêter neuf réservistes militaires...
commentaires (2)

Accuser l'armée la plus morale du monde de crimes contre l'humanité? Comparer les centres d'interrogatoire des Israéliens à ceux de la Gestapo?! Mais quelle honte : c'est de l'antisémitisme !

Politiquement incorrect(e)

20 h 43, le 25 août 2024

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Commentaires (2)

  • Accuser l'armée la plus morale du monde de crimes contre l'humanité? Comparer les centres d'interrogatoire des Israéliens à ceux de la Gestapo?! Mais quelle honte : c'est de l'antisémitisme !

    Politiquement incorrect(e)

    20 h 43, le 25 août 2024

  • J’ai entendu dire que les israéliens dressent des chiens pour aller a la bande de Gaza pour aller tuez des enfants

    Eleni Caridopoulou

    11 h 00, le 24 août 2024

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