Sleiman Frangié sort rarement de son silence. Et quand il le fait, c’est surtout pour adresser des messages présidentiels. Dernier en date, celui lancé vendredi, en marge de la cérémonie de béatification du patriarche Stéphane Doueihy à Bkerké. « Je ne me retirerai de la course pour Baabda qu’au profit d’une figure digne de ce poste », a déclaré sans ambages le candidat du tandem chiite à la chaîne locale MTV. Une déclaration qui montre la détermination du leader zghortiote à poursuivre la bataille, pariant sur l’appui indéfectible du Hezbollah. Elle montre aussi à quel point il a confiance en ses soutiens, au point de jeter le discrédit sur tous ses challengers, que ce soit Jihad Azour, candidat de l’opposition et du Courant patriotique libre, ou les présidentiables perçus comme une option de troisième voie, à l’instar du chef de l’armée, Joseph Aoun, ou du directeur de la Sûreté générale par intérim, Élias Baïssari… qui étaient présents à Bkerké vendredi soir. Malgré les coups durs essuyés par l’axe pro-iranien dans la région ces derniers jours, Slemain Frangié continue donc à parier dur comme fer sur le soutien du Hezbollah, qui aspire à sortir renforcé de la guerre en cours à Gaza et au Liban.
« Sleiman Frangié n’a rien à perdre. Il joue le jeu présidentiel à fond pour empêcher le Hezbollah de le lâcher aisément », commente pour L’Orient-Le Jour un député opposant qui a requis l’anonymat. Car selon ce parlementaire, la bataille que le chef des Marada mène aujourd’hui va bien au-delà de la stricte dimension présidentielle. « C’est son poids populaire et politique qui est en jeu », dit-il, rappelant que lors des législatives de mai 2022, les Marada, au leadership traditionnel à Zghorta, ne sont parvenus qu’à faire élire un seul député, Tony Frangié, qui n’est autre que le fils de leur chef. « S’il ne mène pas la bataille jusqu’au bout, Sleiman Frangié se mettra dans une situation difficile, notamment dans son fief », ajoute le député cité plus haut.
Une lecture que les milieux des Marada ne partagent pas. « Je connais bien M. Frangié. Sa déclaration à la MTV n’est qu’une réponse spontanée à la question d’une journaliste », se contente de dire le ministre sortant de l’Information, Ziad Makari, à L’Orient-Le Jour.
Mais au Liban, la politique (politicienne) n’est jamais loin. La prise de parole laconique de M. Frangié est en effet intervenue à l’heure où les combats entre Israël et l’axe iranien dans la région passent par une nouvelle phase, après les assassinats de Fouad Chokor, grosse pointure militaire du Hezbollah, près de Beyrouth et d’Ismaïl Haniyé, ancien chef politique du Hamas, à Téhéran. Le chef zghortiote semble donc miser encore sur la victoire de ses soutiens, en dépit de toutes les secousses. Et comme en 2023, dans la foulée de la redynamisation des rapports diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite, le chef des Marada estime être toujours en position de force, tablant sur le Hezbollah qui pourrait sortir renforcé du conflit. « Tout ce qui se passe sur la scène locale n’est qu’une perte de temps. L’essentiel se trouve ailleurs, dans la région », dit un proche de M. Frangié.
Nasrallah rassure l’opposition
Mais à l’heure où Sleiman Frangié bombe le torse, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, assure quant à lui que si « la résistance » sort gagnante de cette séquence, elle ne cherchera pas à en profiter sur la scène libanaise. C’est en tout cas ce qu’il a réitéré dans son dernier discours, mardi, dans une tentative de rassurer l’opposition qui craint de voir le parti chiite monnayer sa montée en puissance régionale au Liban, notamment dans le dossier présidentiel. En dépit de cette prise de position, les Marada font confiance au Hezbollah. « Nous avons en poche les 51 voix qui nous ont déjà été accordées (lors de la séance électorale du 14 juin 2023) », rappelle un proche de M. Frangié contacté par notre journal, faisant savoir que ce score pourrait monter à 60 en cas de nouveau vote. « Certains députés du bloc de la Modération nationale (majoritairement sunnites ex-haririens) nous ont contactés pour nous faire part de leur disposition à nous soutenir », dit-il, sans vouloir révéler l’identité des parlementaires en question. « Quoi qu’il en soit, il faut attendre la suite des événements régionaux. Mais nous poursuivons la bataille », assure le proche de M. Frangié.
Il n’en demeure pas moins qu’un vent de changement majeur vient de souffler sur le CPL, dont de grosses pointures ont été radiées pour, entre autres, avoir voté Sleiman Frangié au lieu de Jihad Azour, qui avait fait l’objet d’une « convergence » entre l’opposition et le parti de Gebran Bassil. Tel serait – selon des informations non confirmées – le cas d’Alain Aoun, député de Baabda radié du CPL vendredi dernier. Et tel est officiellement le cas d’Élias Bou Saab, vice-président de la Chambre, mis à la porte de la formation orange il y a quelques mois pour avoir publiquement annoncé son choix de vote. Ces parlementaires peuvent désormais voter Frangié la conscience tranquille s’ils le souhaitent. « Mais leur mise à l’écart ne change rien par rapport au chef des Marada, parce qu’ils lui sont déjà acquis », commente un député de l’opposition.
Pour toutes ces raisons, l’option du retrait de M. Frangié semble exclue, du moins pour le moment. « Il ne faut pas oublier que peu avant la dernière séance électorale, il avait évoqué cette éventualité en se disant disposé à céder sa place à une figure qui ferait l’objet d’une entente élargie. Mais on n’en est pas là encore », nuance Ziad Makari.
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13 h 26, le 08 août 2024