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Société - Justice

4-Août : comment surmonter les obstacles à l’enquête ?

Le juge d’instruction près la Cour de justice, Tarek Bitar, s'est promis de prononcer son acte d’accusation avant la fin de l'année.

4-Août : comment surmonter les obstacles à l’enquête ?

Des familles de victimes brandissant les photos de leurs proches tués dans la double explosion du port, lors de la commémoration du 4e anniversaire de ce drame, dimanche 4 août 2024, à Beyrouth. Photo Joao Sousa

Dans les coulisses du Palais de justice, l’information se répand de plus en plus : le juge d'instruction Tarek Bitar devrait prononcer avant début 2025 son acte d’accusation dans l’affaire de la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Cette décision répond au vœu de nombreuses instances de la société civile ainsi que des proches des victimes, qui multiplient les appels en ce sens au magistrat.   

Le drame avait coûté la vie à 235 personnes, alors que plus de 7 000 avaient été blessées. Les instances évoquées, en particulier le bureau des plaintes du barreau de Beyrouth en charge de la défense de plus de 1 200 personnes affectées, se mobilisent pour une réactivation de l'enquête, bloquée jusqu'ici par les obstacles que dresse une partie de la caste politico-judiciaire.

« Pas idéal, mais légal »

Comment le juge d’instruction pourrait-il émettre son acte tant attendu, alors que Ghassan Oueidate, ancien chef du parquet, avait interdit, en janvier 2023, à la police judiciaire de notifier ses convocations, mandats d’arrêt et autres documents nécessaires à la poursuite et la clôture de ses investigations ?

Contactée par L’Orient-Le Jour, Me Tamam Sahili, membre du bureau des plaintes au sein du barreau de Beyrouth, évoque une alternative à la police judiciaire pour procéder aux notifications, à savoir le service des huissiers civils relevant du ministère de la Justice. « Si le juge d’instruction fixe des audiences que la police judiciaire refuse de notifier, la partie la plus lésée par ce refus (à savoir les avocats des victimes) pourrait faire parvenir les documents à travers des huissiers civils », estime Me Sahili. « S’il est vrai que dans la justice pénale, le moyen légal le plus efficace pour faire parvenir les documents est le recours aux services sécuritaires, il reste qu’aucun texte de loi n’interdit de les notifier via les préposés compétents auprès des tribunaux civils », explique-t-elle.

On sait que le juge Bitar essaie de faire annuler par le procureur général près la Cour de cassation par intérim, Jamal Hajjar, qui a succédé en février dernier à Ghassan Oueidate, l’interdiction imposée à la police judiciaire. Or il semble, à ce jour, que le juge Hajjar n’accepte une telle annulation qu’à la condition que Tarek Bitar ne se penche plus sur les cas des anciens ministres et Premiers ministres et les magistrats mis en cause, et se contente de poursuivre les fonctionnaires du port et les civils impliqués dans le dossier. Une proposition que le juge Bitar rejette fermement.

Un juriste ayant requis l’anonymat affirme que si le recours aux huissiers civils n’est pas « idéal », il n’en est pas moins « légal ». Pour lui, si l’interdiction de Ghassan Oueidate restait maintenue, le juge d’instruction pourrait utiliser ce moyen et considérer alors qu’il aura accompli son devoir. « Si les personnes convoquées continuent de refuser de comparaître, ce sera alors leur problème et non celui du juge Bitar qu'on ne pourra pas accuser d'avoir violé les règles ou manqué à ses obligations », explicite cet avocat.


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En parallèle à son interdiction, le juge Oueidate avait engagé contre le juge d’instruction des poursuites pour « usurpation de pouvoir ». Ces poursuites représentent-elles une entrave à la poursuite des investigations et au prononcé de l’accusation ? « Pas tant qu’aucun jugement n’a été rendu en ce sens », répond Me Nagib Hajj Chahine, autre membre du bureau des plaintes du barreau. On sait que le premier président de la cour d’appel de Beyrouth, Habib Rizkallah, en charge de statuer sur ce recours de M. Oueidate, avait demandé à celui-ci de « rectifier » sa plainte, vraisemblablement à cause d’une erreur de forme ou de fond. L’ancien chef du parquet avait alors interjeté appel devant une juridiction dont les membres… n’ont pas encore été désignés. D’où un gel de la plainte.

Qu'en est-il des dizaines de recours en récusation et en responsabilité intentés contre Tarek Bitar par les personnes qu’il a mises en cause et visant à l’empêcher de se pencher sur le dossier et de prononcer au final son acte d’accusation ? En janvier 2023, M. Bitar avait établi une jurisprudence fondée sur des études juridiques, dans laquelle il avait décrété qu’un magistrat de son statut ne peut être visé par de tels recours. Il s’était notamment fondé sur l’article 357 du code pénal qui ne mentionne pas la possibilité de dessaisir un juge d’instruction près la Cour de justice, alors que ce même article la reconnaît expressément pour les juges qui siègent dans cette instance. « Dès les premiers recours, le bureau des plaintes avait d’ailleurs mis l’accent auprès de la justice sur l’absence d’une loi mentionnant la possibilité d’une récusation d’un juge d’instruction près la Cour de justice. L’acceptation d’une telle récusation nécessite un changement de législation », martèle Me Sahili.

Obstacle considérable

En vertu de la loi, le juge d’instruction doit transmettre au parquet son acte d’accusation avant de le publier. L’obstacle le plus considérable serait que le procureur Hajjar ne veuille pas exprimer son avis sur l’acte d’accusation émis par Tarek Bitar. Me Tamam Sahili estime toutefois « peu probable » que le premier conserve le document sans communiquer son opinion. « Il s’agirait d’une situation inédite, non prévue par le législateur », renchérit le juriste interrogé sous anonymat. Selon lui, Tarek Bitar ne voudrait surtout pas se retrouver face à ce cas de figure. Il cherche à conserver des liens « positifs » avec Jamal Hajjar, d’autant que ce dernier a exprimé son intention de remettre le dossier sur les rails. Il s’agirait donc de garantir la réponse du procureur. Même si l’avis de ce dernier risque d’aller dans certains points à contresens de l’acte d’accusation, il ne sera pas contraignant pour le juge Bitar qui pourra adopter la mouture qu’il entend.

Le juriste précité redoute, en tout état de cause, un désistement du chef du parquet. « Personne ne peut assurer qu’il sera alors remplacé », note-t-il, estimant que « le dossier est sensible et requiert une grande responsabilité ».

Dans les coulisses du Palais de justice, l’information se répand de plus en plus : le juge d'instruction Tarek Bitar devrait prononcer avant début 2025 son acte d’accusation dans l’affaire de la double explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth. Cette décision répond au vœu de nombreuses instances de la société civile ainsi que des proches des victimes, qui multiplient les appels...
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