La décision prise le 28 mai dernier par le Conseil des ministres de prolonger pour une année les permis d’extraction de matières premières accordés à cinq sociétés cimentières a fait l’objet la semaine dernière d’un recours en annulation devant le Conseil d’État (CE). Un recours présenté par deux députés des Forces libanaises (FL), Fadi Karam et Ghayath Yazbeck, lequel préside la commission parlementaire de l’Environnement. « Le gouvernement sortant a basé sa décision sur une autre, similaire, qu’il avait émise en février 2022, et que le Conseil d’État avait pourtant annulée en avril 2023 », peut-on ainsi lire dans le recours dont L’OLJ a consulté une copie.
« Le Conseil des ministres n’a pas le pouvoir d’accorder à des entreprises des permis provisoires d’exploitation de carrières », affirment les deux députés, contactés séparément par notre journal. « Une telle compétence est du ressort du Haut Conseil des carrières », un organisme présidé par le ministre de l’Environnement et composé de représentants d’autres administrations, ainsi que d’activistes. Un décret ministériel, émis en 2002, avait en effet donné au Haut Conseil des carrières – qui n’a pas siégé depuis très longtemps – l’exclusivité de gérer le secteur, notamment pour la détermination des conditions d’exploitation. « En modifiant lui-même le décret de 2002, le Conseil des ministres n’a pas respecté le principe de parallélisme des formes (selon lequel c’est à l’autorité qui a établi une règle de la retirer) », arguent les deux députés dans leur recours. « D’autant qu’il s’agit d’un gouvernement sortant », notent-ils, en référence aux prérogatives réduites à la seule gestion des affaires courantes.
Quant au fond, MM. Karam et Yazbeck considèrent qu’en prolongeant le travail des entreprises cimentières, « qui émettent une très importante quantité de polluants dans l’atmosphère », le Conseil des ministres a violé la loi sur la protection de l’environnement (loi n° 444 datant de 2002). L’article 4 de ce texte consacre, en effet, « le principe d’évaluation de l’impact sur l’environnement comme moyen de lutte contre les sources de pollution et la détérioration des ressources naturelles ».
Comme autre cause d’annulation, le recours invoque l’infraction au code de l’eau (2018), qui interdit l’aménagement de carrières dans des zones proches des fleuves et des sources d’eau.
« L’enfreinte au principe d’égalité » est également mentionnée dans le document. « Aucune entreprise ne doit bénéficier d’un traitement exceptionnel », indique M. Yazbek à L’OLJ, jugeant que « ces cinq sociétés doivent être incluses dans le plan directeur qui régit l’ensemble des carrières au Liban, et non bénéficier d’un traitement de faveur ».
Selon une source judiciaire informée, le Conseil d’État a notifié lundi la demande d’annulation au service du contentieux de l’État, qui dispose de deux semaines pour communiquer sa réponse. Un rapporteur de l’instance sera alors chargé d’établir un rapport dans un bref délai, au terme duquel le CE décidera ou non de surseoir à l’exécution de la décision du Conseil des ministres, en tenant notamment compte de dommages qu’une telle décision pourrait causer si elle n’était pas suspendue. C’est après cette étape que le CE aura à se pencher sur le fond de l’affaire pour décider ou non de l’annulation, ajoute la source précitée.
Contactée, Najat Aoun Saliba, députée du mouvement de la Contestation et spécialiste de l’environnement, affirme qu’elle compte adresser incessamment une question écrite au gouvernement sortant pour lui demander de justifier sa décision. Selon Mme Saliba, c’est à l’initiative des ministres de l’Industrie et de l’Environnement, Georges Bouchikian et Nasser Yassine, que le Conseil des ministres a pris ladite décision. MM. Bouchikian et Yassine n’étaient pas joignables dans l’immédiat.
Mettre fin à l’arbitraire
Gayath Yazbeck rappelle qu’avec les autres députés FL, il avait présenté, en septembre dernier, une proposition de loi visant à « soumettre le secteur des carrières à des règles qui mettraient fin à l’arbitraire de décisions prises au gré des responsables ». « Le document se trouve toujours dans les tiroirs du Parlement », regrette-t-il, en référence au fait que la proposition n’a pas été transmise aux commissions parlementaires pour examen.
« Les carrières doivent être organisées notamment au plan de la délimitation géographique des sites d’extraction, la réglementation des excavations et la réhabilitation des carrières », prône, pour sa part, Fadi Karam, dans l’esprit de la proposition de loi. « Après le forage des sols, il faut veiller à la remise en état des sites dégradés, notamment à travers des travaux de terrassement et la plantation de végétaux », ajoute-t-il.
De son côté, M. Yazbeck estime plus généralement qu’une régulation du secteur bénéficierait à « toutes les parties confondues ». Il mentionne notamment l’État qui, selon lui, « récolterait plus de revenus », ainsi que l’industrie, la main-d’œuvre, l’environnement…
Le secteur des carrières au Liban échappe en grande partie à toute réglementation digne de ce nom. Régi par un décret qui détermine les conditions d’octroi de permis de carrières – qui supposent le paiement d’une garantie bancaire en vue de la réhabilitation future du terrain, le respect de l’environnement et de la santé des riverains, etc. –, ce secteur continue de souffrir d’une gestion chaotique et des influences politiques qui offrent aux exploitants la chance d’échapper à toute règle et d’exploiter des superficies considérables sans permis, ou avec des permis non adaptés comme ceux de la bonification de terrains ou l’ouverture de routes, à titre d’exemple. Résultats : les impayés des exploitants de carrière s’élèvent à 2,4 milliards de dollars, selon le ministre de l’Environnement, qui avait lancé un plan pour récupérer ces fonds en septembre 2023, sans succès jusque-là.
Quant aux carrières des cimenteries en particulier, elles provoquent régulièrement des remous avec les populations et les activistes locaux.
les impayés des exploitants de carrière s’élèvent à 2,4 milliards de dollars… et le ministère concerné est dans l’impossibilité de récupérer ces fonds…
00 h 34, le 02 août 2024