
Vue sur les silos détruits du port de Beyrouth, le 27 juin 2024. Photo Mohammad Yassine / L'Orient-Le Jour
Dès la prise en charge de ses fonctions, le nouveau chef du parquet s’était promis de faciliter la relance de l’enquête en cherchant les moyens pour y arriver. Or la procédure jugée la plus efficace serait une annulation par Jamal Hajjar de la mesure de son prédécesseur. Il est vrai que celle-ci ne constitue pas le seul obstacle face à l’action du juge d’instruction, lequel est ciblé par des dizaines de recours en dessaisissement et en responsabilité de l’État. Mais de telles actions judiciaires sont considérées comme pouvant être dépassées, du fait que Tarek Bitar avait publié en janvier 2023 une jurisprudence basée sur des études juridiques selon lesquelles, en vertu du principe du parallélisme des formes, il ne peut être dessaisi du dossier que par une décision conjointe du ministre de la Justice et du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) qui l’avaient eux-mêmes désigné.
À ce jour, les discussions entre les juges Hajjar et Bitar ne semblent pas avoir franchi un seul pas vers une levée de l’interdiction faite par Ghassan Oueidate. La condition que pose le juge Hajjar pour permettre à Tarek Bitar de traiter de nouveau avec les services sécuritaires est que le dossier d’enquête soit subdivisé en trois parties : l’une serait consacrée aux poursuites contre les actuels et anciens ministres, pour lesquels seule serait compétente la Haute Cour de justice chargée de juger les ministres ; la deuxième concernerait les magistrats mis en cause par le juge Bitar, et qui seraient jugés par une instance judiciaire que le Conseil des ministres aura à désigner ; la troisième, destinée aux poursuites des fonctionnaires du port de Beyrouth et d’autres justiciables ne bénéficiant pas d’un statut spécial, et qui serait confiée au juge Bitar. Celui-ci rejette fermement cette proposition, estimant que la loi l’habilite à se pencher sur l’ensemble du dossier. On en est donc « au point mort », commente pour L’Orient-Le Jour une source du Palais de justice.
« Non » aux arrangements politiques
Questionné par notre journal sur son avis quant à la procédure à suivre pour les ministres suspectés, Me Youssef Lahoud, membre du bureau de plaintes au sein du barreau de Beyrouth, estime que « c’est seulement en cas de manquement aux obligations rattachées à leurs fonctions », que la Haute Cour de justice peut les poursuivre. « Or, en l’espèce, les actes qui leur sont reprochés sont délictueux, et relèvent donc de la compétence du juge d’instruction près la Cour de justice », explique-t-il.
Un juriste qui s’intéresse au dossier rappelle dans ce cadre que jamais la Haute Cour de justice n’a mis en accusation un ministre. L’enclenchement d’une telle procédure nécessite d’ailleurs une majorité des deux tiers des membres de la Chambre des députés, difficile à obtenir, vu la convergence d’intérêts de diverses parties représentées au Parlement, fait-il observer sous anonymat.
Quant aux magistrats mis en cause par Tarek Bitar, Youssef Lahoud affirme que la proposition du juge Hajjar de confier leurs poursuites à une instance nommée par le Conseil des ministres n’est pas valable. « Ces juges n’occupent pas l’un des cinq plus hauts postes du corps de la magistrature, pour lesquels une telle instance est compétente », affirme-t-il, citant le code de procédure pénale. « Si les chambres de la Cour de cassation et son assemblée plénière sont chargées normalement de juger tous les autres magistrats, ces juridictions ne sont pas non plus compétentes en l’espèce, car dans une affaire confiée à la Cour de justice, leurs prérogatives sont transférées à cette dernière instance », affirme-t-il. Il soutient plus généralement que le bureau de plaintes dont il fait partie réclame « l’application de la loi ». « Nous rejetons toute idée d’arrangements politiques, et n’accepterons jamais que les responsables de la catastrophe du 4 août échappent à la justice, même s’ils ont ministres », souligne-t-il.
Quel plan B ?
Que se passerait-il si le chef du parquet et le juge d’instruction s’attachent à leurs positions respectives et si chacun ne parvient pas à convaincre l’autre ? Selon des informations médiatiques non confirmées, le juge Hajjar pourrait penser à se désister, ce qui permettrait à Nada Dakroub, magistrate la plus haut gradée du parquet et nièce du président du Parlement Nabih Berry, de prendre la relève.
Le juge Bitar souhaiterait de son côté que les concertations en cours réussissent, d’autant qu’une bonne relation avec le procureur près la Cour de cassation est nécessaire, notamment pour que le parquet réceptionne l’acte d’accusation qu’il aura à rendre. Un acte qu’il devrait publier avant la fin de l’année courante, supputent plusieurs parties intéressées à l’affaire, selon lesquelles le juge Bitar ne pense nullement à se dessaisir du dossier. « Si l’interdiction de Ghassan Oueidate à l’encontre du juge d’instruction n’est pas levée, ce dernier pourrait trouver d’autres moyens légaux pour finaliser son enquête et s’acquitter de sa mission », assurent-elles.
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11 h 40, le 25 juillet 2024