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Moyen-Orient - Syrie

Affaire Dabbagh, jour 4 du procès : Et la justice fut

Retour sur la dernière journée consacrée au procès de Ali Mamlouk, Hassan Jamil et Abdelsalam Mahmoud - trois haut placés au sein du régime syrien - condamnés en France pour « complicité de crimes contre l’humanité » et « délits de guerre».

Obeida et Hanane Dabbagh (à droite), Clémence Bectarte, avocate de la famille Dabbagh, de la FIDH et coordinatrice du Groupe d’Action Judiciaire de la FIDH, Mazen Darwish, fondateur et directeur général de SCM et Patrick Baudouin, président d’honneur de la FIDH, le 24 mai, à l'issue d'un procès historique contre de hauts dignitaires syriens. Photo Soulayma Mardam Bey

Il n’y aura pas de clap de fin. Du moins, pas pour l’heure. Nous ne verrons ni le dépit ni la rage creuser leurs visages. Nous n’observerons pas la honte - sous nos yeux - changer de camp. Et pourtant, malgré l’absence de Ali Mamlouk, de Jamil Hassan et de Abdel Salam Mahmoud d’un box des accusés resté désespérément vide au cours du procès, leur condamnation vendredi 24 mai à la réclusion criminelle à perpétuité pour complicité de crime contre l’humanité et délit de guerre revêt un caractère historique. Accompagnée du maintien des effets des mandats d’arrêt internationaux, elle marque, indéniablement, un tournant dans la poursuite des auteurs de violations des droits humains perpétrées en Syrie contre la population civile. Les trois hommes, des caciques du régime Assad,  sont les plus hauts dignitaires jamais jugés depuis le déclenchement du soulèvement syrien en 2011.  Pour symbolique qu’il soit, ce délibéré est d’abord une petite victoire pour Obeida Dabbagh - frère de Mazzen Dabbagh et oncle de Patrick Abdelkader Dabbagh - et son épouse Hanane Dabbagh. Comme cela a souvent été répété au cours de ces quatre jours d’audience, parenter un disparu, c’est vivre dans l’incertitude permanente, ne plus savoir s’il faut espérer qu’il soit vivant ou qu’il soit mort tant sa vie doit être martyrisée par ses bourreaux. Et c’est être confronté quotidiennement à l’impossibilité du deuil, même après avoir reçu des certificats de décès. Les corps ne sont jamais rendus aux familles. Les défunts n’ont pas de sépulture. Leurs proches ne peuvent les pleurer dignement.

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Ce verdict va donc bien au-delà de l’affaire Dabbagh et concerne des dizaines de milliers de disparus. Ainsi que l’a mentionné l’avocate générale dans ses réquisitions, les faits dont ont été victimes Mazzen et Patrick Dabbagh « s'inscrivent dans un contexte dans lequel des dizaines, voire des centaines de milliers de Syriens peuvent se reconnaître ». Car le régime de Bachar el-Assad mène « une politique répressive d'Etat, mise en œuvre par les plus hauts niveaux » de la hiérarchie et « déclinée localement dans chaque gouvernorat ». Selon le Syrian network for Human Rights (SNHR), au moins 110 000 personnes sont identifiées comme « disparues » dans les geôles du pouvoir.  

Au cours de sa plaidoirie, l’avocate des parties civiles, Clémence Bectarte, a rappelé plusieurs éléments qui confirment que Mazzen et Patrick Abdelkader Dabbagh ont été emmenés au centre de détention de Mezzeh, après leur arrestation dans la nuit du 3 novembre 2013. Elle a souligné le flou entourant les raisons de la disparition forcée des deux hommes, indiquant que « le propre de la disparition forcée est de ne jamais savoir ». Et insisté que le père et le fils avaient certainement été torturés. « Cela s’applique à l’ensemble des détenus du centre de Mezzeh, pour ne pas dire à l’ensemble des détenus » tout court. En Syrie, ajoute-t-elle, la torture se pratique à une échelle systématique et industrielle. « Mais on ne sait pas à quels actes précisément ils ont été soumis », précise-t-elle. Son collègue Patrick Baudouin a pour sa part avoué n’avoir « jamais observé un tel degré d’horreur dans la systématicité de la torture ».

Baume au coeur

Dans son livre « Oublie ton nom. Mazen-al-Hamada, mémoires d’un disparu », la journaliste Garance Le Caisne met en exergue une citation de Charlotte Delbo, résistante et rescapée d’Auschwitz qui écrira dans « La mémoire et les Jours » : « elle porte son chagrin depuis qu’elle a porté sa soeur, morte dans la nuit. La nuit de toutes les nuits, d'où ceux qui sont revenus ne sont pas sortis ». Lors de son intervention au cours de la première journée de procès, Garance Le Caisne avait affirmé devant la cour d’Assises que la littérature concentrationnaire est ce qui lui avait permis de comprendre davantage ce que l’archipel syrien de la torture faisait à ses survivants. « Vous pouvez être libérés, mais vous n’en sortez jamais », avait-elle dit.

Le délibéré de la cour n’effacera pas les crimes du passé. Il ne réparera ni les corps, ni les esprits. Mais il reconnaît le calvaire des victimes de l’enfer carcéral assadien. Il leur reconnaît une humanité qui leur a si longtemps été dérobée par l’arbitraire du pouvoir. Il réaffirme leur droit inaliénable à la justice et la très nécessaire lutte contre l’impunité : cette plaie qui ravage la Syrie et l’ensemble de la région. Cette décision s’inscrit dans la continuité d’autres procès menés devant la Cour internationale de Justice, aux Pays-Bas, en Suède ou encore en Allemagne. Elle isole davantage le régime à l’heure de la tentation normalisatrice. Et donne espoir dans le droit international. Certes, le chemin est encore long. Mais il est bel et bien entamé.

Dans la salle Vedel, au 8 boulevard du palais, à Paris, sur l’île de la Cité, le président de la cour d’Assises déclare l'audience levée. Le public applaudit. Certains sont émus aux larmes. D’autres affichent des sourires victorieux. Beaucoup se prennent dans les bras. Sur le chemin vers la sortie, un homme semble quelque peu remué. « J’ai passé plusieurs années en prison. Je sais que ce n’est qu’une petite étape. Que pour le moment, c’est symbolique. Mais franchement, ça met du baume au coeur ».

Il n’y aura pas de clap de fin. Du moins, pas pour l’heure. Nous ne verrons ni le dépit ni la rage creuser leurs visages. Nous n’observerons pas la honte - sous nos yeux - changer de camp. Et pourtant, malgré l’absence de Ali Mamlouk, de Jamil Hassan et de Abdel Salam Mahmoud d’un box des accusés resté désespérément vide au cours du procès, leur condamnation vendredi 24 mai à...
commentaires (7)

Toujours la même rengaine : 2 poids, 2 mesures dans le monde occidental. Les méchants dirigeants du Moyen-Orient qui n'acceptent pas de se soumettre à leur impérialisme, se voit traîner dans l'opprobre. Tandis que certains mènent des "procès au Tribunal judiciaire expéditif ", provoquant des blessures mortelles pour obtenir des éléments de preuve de haute trahison, l'occident, délivre des "réclusions criminelles à perpétuité" à des absents (sans défense entendue) au Nom des droits du judiciable à plaider sa cause. Du cinéma !

peacepeiche@gmail.com

08 h 03, le 26 mai 2024

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Commentaires (7)

  • Toujours la même rengaine : 2 poids, 2 mesures dans le monde occidental. Les méchants dirigeants du Moyen-Orient qui n'acceptent pas de se soumettre à leur impérialisme, se voit traîner dans l'opprobre. Tandis que certains mènent des "procès au Tribunal judiciaire expéditif ", provoquant des blessures mortelles pour obtenir des éléments de preuve de haute trahison, l'occident, délivre des "réclusions criminelles à perpétuité" à des absents (sans défense entendue) au Nom des droits du judiciable à plaider sa cause. Du cinéma !

    peacepeiche@gmail.com

    08 h 03, le 26 mai 2024

  • Très bel article, émouvant. Combien de Libanais aussi, "disparus" par les soins du régime syrien, torturés à Mezzeh...

    Yazbek Youmna

    06 h 55, le 26 mai 2024

  • ""Pour symbolique qu’il soit, ce délibéré est d’abord une petite victoire, ..."" mais la grande victoire, quand les Syriens verront la clique encore au pouvoir dans le box des accusés, si par chance elle survivra indemne au démantèlement du système baasiste mis en place depuis longtemps. Ils retrouvent leur dignité et pleureront leurs morts…

    NABIL

    17 h 25, le 25 mai 2024

  • Le timing est étonnant : s’agit-il de décentrer l’horreur à Gaza et le banaliser par l’horreur en Syrie?

    Joe Kassarjian

    16 h 46, le 25 mai 2024

  • Merci Soulayma Mardam-Bey pour la qualité constante de vos articles!

    Makhlouf Georgia

    11 h 34, le 25 mai 2024

  • En attendant, le Boucher est toujours le President de ses victimes et les bourreaux continuent leur sale besogne de tortures et de terreur comme si de rien n’était. Le pire c’est que dans notre pays, les fossoyeurs procèdent de même a Eire mais à plus petite échelle, pour le moment, en attendant de mettre la main sur tout notre pays et sévir comme leurs amis bouchers (de Damas et de Téhéran) sur la population pour la réduire au silence et l’obliger à obéir sans broncher sous peine d’être traînés dans, les tribunaux militaires chers à leur cœur puisque complices, pour finir dans une cellule.

    Sissi zayyat

    11 h 21, le 25 mai 2024

  • Oui, vraiment, cette région a besoin d'une justice musclée, à l'initiative, pour sauver une société sclérosée, bloquée et soumise à ce qu'elle considère comme une fatalité..

    Jules Lola

    10 h 55, le 25 mai 2024

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