On les croyait définitivement séparés, mais ils ont surpris tout le monde (ou presque). Le Hezbollah a fait le premier pas et l’ancien président de la République Michel Aoun a ouvert sa porte... et tendu ses oreilles. Sans chercher à aller plus loin. Il en faut en effet beaucoup plus pour rétablir la relation qui existait entre le CPL et le Hezbollah depuis février 2006 et qui a été sérieusement mise à mal vers la fin du mandat Aoun, d’abord en raison de la priorité accordée par le Hezbollah à son alliance avec le président de la Chambre Nabih Berry, ensuite en raison du soutien des deux formations chiites à la candidature du chef des Marada pour la présidence de la République. Mais un pas a été accompli dans ce sens, dicté par la crainte du Hezbollah d’une coalition chrétienne contre lui.
Au début des tensions, le Hezbollah était resté très discret. Puis il avait commencé à en parler ouvertement, considérant que le CPL a franchi une ligne rouge en médiatisant le conflit et en présentant le parti chiite comme celui qui l’a poignardé dans le dos. De leur côté, les cadres du CPL ne cachaient pas non plus leur choc de voir le peu de cas fait par le commandement du Hezbollah de leur colère. Ils ont alors commencé à parler d’un complexe de supériorité chez le Hezbollah qui, selon eux, « se sent désormais tellement fort qu’il n’éprouve plus le besoin d’avoir un allié chrétien ». C’est ainsi que le thème du « partenariat » a refait surface, le CPL accusant le Hezbollah de ne plus tenir compte de ses partenaires chrétiens. Les autres partis chrétiens, notamment les Forces libanaises et les Kataëb, qui se positionnent dans le camp de l’opposition au Hezbollah, ont aussi accusé ce dernier de mettre la main sur le pouvoir, allant même jusqu’à exprimer des craintes d’un grand compromis international et régional qui engloberait le Liban et donnerait le pouvoir au Hezbollah en contrepartie d’une trêve durable avec Israël. Le patriarche maronite a joint sa voix à celle des partis chrétiens en critiquant le « front de soutien à Gaza » ouvert au sud du Liban, suivi par d’autres dignitaires religieux chrétiens. Le spectre du scénario des législatives de 1992, boycottées par les différentes composantes chrétiennes soutenues par le patriarche maronite de l’époque, le cardinal Nasrallah Sfeir, qui avait alors permis à des candidats chrétiens ayant obtenu un nombre dérisoire de voix d’être élus députés, a refait surface.
La récente rencontre entre l’émissaire présidentiel américain Amos Hocshtein et des députés de l’opposition au Parlement a confirmé les craintes du Hezbollah. Sans avoir obtenu de détails précis sur la teneur de cette rencontre, le parti en a déduit qu’un scénario de troubles internes – néfaste pour lui et pour le pays – pourrait l’attendre sur fond de mobilisation chrétienne contre lui. Même si ces informations ne sont pas confirmées (selon certains échos, l’émissaire américain aurait conseillé aux députés de l’opposition de dialoguer avec le président de la Chambre), le Hezbollah a décidé de réagir. Parmi les différentes options, il a choisi celle qui lui paraissait le plus logique : tendre la main à l’ancien président de la République Michel Aoun et lui exposer son point de vue sur la guerre à Gaza et sur sa propre participation à ce conflit. Dans l’optique du Hezbollah, le président (Aoun) – qui avait déclaré à la tribune de l’Assemblée générale des Nations unies que la paix ne peut pas être basée sur la force mais sur le droit et que pour qu’il y ait une paix au Moyen-Orient, il fallait donner leurs droits aux Palestiniens – ne pouvait pas rester indifférent face « à l’injustice faite à ces derniers » et au fait que si les Israéliens parviennent à éradiquer le Hamas et à mettre Gaza sous leur contrôle, le tour du Liban viendra ensuite.
De son côté, le CPL attendait ce geste depuis longtemps. De son point de vue, le parti en général, et M. Aoun en particulier, a beaucoup donné au Hezbollah et en a subi les conséquences, en payant un prix fort, au niveau de sa popularité interne, des sanctions et sur le plan du pays en général. Il estime ainsi que le Hezbollah lui doit une plus grande considération, surtout qu’il est attaqué de toutes parts et qu’il se sent victime d’une « guerre d’élimination » politique. Il avait donc besoin d’une attention particulière de sa part, qui rappellerait qu’il est le seul à pouvoir mener un véritable dialogue avec lui.
C’est donc ce qui s’est passé, dans un moment propice pour les deux parties. Le Hezbollah a expliqué son point de vue sur les développements à Gaza et au front du Sud. Selon des sources proches du CPL, il a même considéré qu’il aurait dû venir dès le début de la guerre à Gaza et s’est donc excusé d’avoir tardé, mais les exigences du terrain étaient alors primordiales. Il a aussi précisé qu’il n’y a pour lui aucun lien entre ce qui se passe au Sud (et à Gaza) et le dossier présidentiel, qui reste une question purement interne. De son côté, l’ancien président a affirmé que le Liban ne supporterait pas une guerre d’envergure et qu’il faudrait tout faire pour l’éviter. Selon des sources concordantes, les échanges étaient « cordiaux et francs », et les contacts devraient se poursuivre. Le Hezbollah a sciemment voulu se rendre chez l’ancien président d’abord en raison du symbolisme de cette visite, ensuite parce que c’est lui qui avait tenu les propos les plus critiques contre l’ouverture du front du Sud dans un entretien accordé à la OTV. Pour le Hezbollah, le pas le plus important a été ainsi accompli, car, avec le chef du CPL, Gebran Bassil, les échanges restent, contrairement à ce qui se dit dans les médias, plus faciles.
commentaires (8)
Taktak hajalna jawabou hassounikom... et les deux négocient la répartition des ghanaèm une fois la patrie anéantie..
Wlek Sanferlou
15 h 49, le 10 mars 2024