Brusquement, le ton général a changé. D’abord du côté américain, avec des propos rapportés par la chaîne américaine CNN sur la probabilité d’une attaque israélienne d’envergure contre le Liban au printemps ou au début de l’été, ensuite avec l’éditorial de Steven Cook dans Foreign Policy à travers lequel l’auteur explique que la guerre totale entre Israël et le Hezbollah est inévitable dans les six à huit prochains mois. Ces affirmations ne pouvaient pas passer inaperçues alors que tout au long des 4 derniers mois, les responsables américains ne cessant d’insister – et d’envoyer des messages en ce sens aux Libanais – sur leur volonté de ne pas voir la guerre s’étendre sur le front du Liban.
Face à ces menaces à peine déguisées, le Hezbollah commence à afficher un changement de tactique. Jusqu’à présent, les sources proches de la formation ne cessaient de répéter que même si le risque d’extension de la guerre est réel, celle-ci ne croit pas beaucoup à ce scénario pour diverses raisons et, en tout cas, elle n’en veut pas. Désormais, les sources proches du Hezbollah affirment au contraire que dans leurs réunions closes, les cadres du Hezbollah appellent de leurs vœux un élargissement de la guerre. « Si les Israéliens décident de lancer une agression terrestre contre le Liban, car c’est là qu’on peut parler d’une guerre de grande envergure, affirment ces sources, les combattants du Hezbollah sont prêts à s’y engager et ils pensent qu’elle sera courte, en raison de la nature des armes qu’ils possèdent et qui n’ont pas encore été utilisées. » Selon les sources précitées, les cadres du Hezbollah préfèrent désormais l’éclatement d’une grande guerre décisive qui ouvrirait la voie à une solution durable à cette hémorragie qui peut traîner en longueur, pour aboutir à un compromis qui provoquera à un certain moment un nouveau conflit, lorsque les Israéliens se sentiront de nouveau en mesure de le faire. Les mêmes sources précisent que de plus en plus de voix s’élèvent au sein du Hezbollah pour constater que la guerre commencée le 8 octobre sur le front du Sud est extrêmement coûteuse pour le parti. Même si, pour diverses raisons, il ne veut pas être celui qui l’élargit, il s’est vu contraint à accepter le grand nombre de « martyrs » ainsi que les destructions et l’exode de nombreux habitants des localités du Sud. Certes, selon ces mêmes sources, le Hezbollah fait de son mieux pour limiter les conséquences de « cette confrontation contrôlée » sur la population, et il pousse les habitants qui quittent les localités frontalières à ne pas trop s’éloigner pour maintenir un certain rythme économique dans la région, mais il ne cache pas, dans ses réunions closes, le fait que cette situation devient pesante pour lui. D’abord, il a un grand nombre de « martyrs » à cause justement de son souci de maintenir le conflit dans des limites géographiques précises. Ensuite, il n’est pas en train d’utiliser les grands moyens qu’il a mis si longtemps à obtenir et qui devraient surprendre les Israéliens. Selon les sources précitées, le Hezbollah a jusqu’à présent réussi à détruire le système de surveillance installé par les Israéliens à la frontière, avec des missiles traditionnels de courte portée. Les Israéliens ont pallié cette déficience en utilisant les avions et surtout les drones. Et voilà que le Hezbollah a réussi à en abattre un ultrasophistiqué, qui commence même à livrer ses secrets technologiques. La chute de ce drone a mis les Israéliens dans tous leurs états et ils ont lancé par réaction des raids multiples, sans cible précise. Que serait-ce alors si le Hezbollah utilisait ses missiles sol-air et parvenait à atteindre un avion militaire israélien ? Que se passerait-il aussi si le Hezbollah rééditait la bataille de Bint Jbeil en 2006, lorsque ses combattants ont surpris les soldats israéliens qui se déployaient dans la ville, croyant l’avoir conquise ?... Les cadres du Hezbollah commencent donc à se poser des questions sur la justesse de la décision de maintenir cette situation, alors que le prix à payer est lourd et les bénéfices minimes.
Avec la multiplication des menaces israéliennes et américaines, les cadres s’expriment plus clairement, réclamant une grande guerre au lieu de cette situation floue. Mais il est clair que le Hezbollah ne veut pas être celui qui la déclenche, pour des raisons déjà connues, certaines internes, par égard à la délicatesse de la situation interne libanaise, et d’autres régionales, liées au fait qu’il s’agit de la guerre des Palestiniens et qu’elle doit le rester pour que ceux-ci puissent compenser autant que faire se peut toutes les souffrances subies par la population de Gaza, à travers une solution qui leur rendrait justice. Il ne faudrait donc pas créer une diversion sur le terrain qui ferait passer au second plan leurs souffrances. En dépit de ces considérations, les cadres du Hezbollah se sentent malgré tout frustrés et leur message est désormais clair aux Israéliens et aux Américains qui les menacent : « Vous voulez la guerre, nous sommes prêts ! » Toutefois, au sein du Hezbollah, certains restent convaincus que les Américains ne veulent pas d’un élargissement de cette guerre, en dépit des menaces, tout simplement parce qu’ils savent qu’un tel scénario entraînerait l’éclatement d’une guerre généralisée dans la région qui finirait par le départ de leurs troupes... un peu comme cela s’est passé en Afghanistan.
Une journaliste de haut vol la Scarlet. Autant en emporte le vent.
08 h 12, le 05 mars 2024