Mort de Navalny : « Poutine fait un nouveau pas sur la même voie que Kadhafi » en éliminant ses ennemis politiques

La Russie a annoncé que l'opposant russe et adversaire numéro un de Vladimir Poutine, Alexeï Navalny, était mort vendredi à 47 ans dans la prison de l'Arctique où il purgeait une peine de 19 ans. 

Selon les services pénitentiaires russes, Alexeï Navalny est mort après avoir eu un malaise soudain. Le secrétaire général de l'ONU Antonio Guterres a demandé une "enquête complète, crédible et transparente" sur la mort de l'opposant numéro un au Kremlin, a déclaré vendredi son porte-parole, Stéphane Dujarric.

Les proches d'Alexeï Navalny ont qualifié samedi les autorités du Kremlin de « tueurs » cherchant à « couvrir leurs traces » en refusant de leur remettre son corps, Moscou gardant le silence malgré les accusations de l'Occident et des rassemblements en hommage à l'opposant, selon l'AFP.

Quel sera l'impact de sa mort ? L'Orient-Le Jour s'est entretenu avec Aglaé Achechova, chargée des collections du domaine russe à la Bibliothèque universitaire des langues et de civilisations, et trésorière de la Bibliothèque russe Tourguenev à Paris, pour en discuter.

Que représente en Russie la mort de Navalny ?

La mort d’Alexeï Navalny fixe un nouveau regard sur l'avenir du pays. La plupart de ceux qui sont venus dans la soirée du 16 février déposer des gerbes à Moscou auprès du monument aux victimes des répressions politiques sont des jeunes, qui ont acquis leur conscience politique au moment où Alexeï Navalny est devenu une star sur YouTube et dans des meetings politiques. Il a su désacraliser le pouvoir par ses investigations sur la corruption et cela avec l’utilisation de moyens de communication de pointe et sur un ton d’ironie acerbe, mortelle pour le sérieux ambiant du pouvoir vieillissant.

Navalny n’était pas seul à représenter l’opposition russe, mais il en était l'un des plus emblématiques, capable de lancer des défis pleins d'esprit, celui qui a su créer un réseau de partisans, afin de leur montrer qu’ils ne sont pas seuls. Maintenant vient une période de défi pour cette structure qui doit apprendre à agir sans son leader, bien qu'ils aient déjà travaillé à titre autonome pendant son incarcération. Il ne faut pas non plus ignorer le fait qu'il existe plusieurs réseaux de citoyens opposés au pouvoir, qui ont des sensibilités politiques différentes.

Quel peut être l'impact sur l'opposition dans le pays à l'approche de l'élection présidentielle ?

Depuis l’arrestation d'Alexeï Navalny en janvier 2021, les pouvoirs russes se sont efforcés de réduire ses possibilités de communication (limiter sa présence dans les salles du tribunal, limiter le temps de correspondance, restreindre les conditions d'accès des avocats, le placer dans l'une des prisons les plus éloignées de Russie…). Malgré tout, il arrivait par ses avocats à faire parvenir des messages à son équipe, qui les publiait sur les réseaux sociaux. Enfin, en octobre 2023, trois de ses défenseurs ont été arrêtés.

Ces agissements montrent l’inquiétude du pouvoir vis-à-vis d’une expression au minimum indépendante.

Bien sûr, la question de la sécurité et de la survie d’autres opposants et prisonniers politiques, tels que Ilya Yachine, Vladimir Kara-Mourza, Alexeï Gorinov, Sacha Skotchilenko et autres, se pose et l’inquiétude grandit. D’autant plus, qu'en temps de guerre l’échelle de la tragédie est inévitablement revue à la baisse et que la fatigue gagne la société.

Que dit cet épisode sur le pouvoir en Russie et sur Vladimir Poutine plus particulièrement ?

Premièrement, il faut se souvenir qu'Alexeï Navalny n’a survécu que par miracle à l’attaque au moyen de l’agent toxique Novitchok en août 2020. Son retour en Russie et sa détention sont devenus une suite de mauvais traitements et de torture. Dans ce sens, il s’agit d’un assassinat programmé, mais à retardement.

Deuxièmement, l’investigation sur cet empoisonnement, menée par Alexeï Navalny lui-même avec l'aide de Hristo Grozev (du site d'investigation Bellingcat) a démontré qu’il s’agissait d’une tentative d'assassinat avec préméditation, organisée par des structures d’État russe. Après un sursis, ce meurtre a été désormais effectué.

Vladimir Poutine a fait un nouveau pas sur la même voie que Mouammar Kadhafi (le dictateur libyen déchu et tué en 2011), si on peut le dire ainsi. L'élimination ou la mise à l'écart de ceux qu’il considère comme ses ennemis politiques à long terme condamne le pays à l'absence de toute relève en cas de l’effondrement de l’appareil d’État. L’histoire russe a connu une situation comparable au début du XVIIe siècle, après le règne d’Ivan le Terrible, quand l’État russe a cessé d’exister en tant qu'entité. Cette désertification du champ politique quand viendra le moment du départ (naturel ou forcé) de Poutine est un vrai danger, à mon avis.