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Les femmes interdites de vote par leurs époux

Les femmes interdites de vote par leurs époux

Des femmes marchent dans une rue de Dhurnal, dans la province du Pendjab, le 29 janvier 2024, à l'approche des élections générales. Photo AFP/FAROOQ NAEEM

Juchée sur son "charpai", un lit traditionnel en bois, patiné par le temps, Naeem Kausir confesse timidement qu'elle souhaiterait voter aux élections législatives de jeudi au Pakistan. Si seulement les hommes de sa famille lui en donnait la permission.

Cette ancienne directrice d'école, âgée de 60 ans, est diplômée de l'enseignement supérieur, et six de ses sept filles sont également allées à l'université. Mais, comme toutes leurs voisines, les anciens du village leur interdisent l'accès au scrutin. "Que ce soit par son mari, son père, son fils ou son frère, une femme est contrainte. Elle n'a pas l'autonomie pour prendre des décisions indépendamment", explique Mme Kausir, le visage voilé, dans la cour de sa maison. "Ces hommes n'ont pas le courage d'accorder aux femmes leurs droits", assène cette veuve à l'AFP.

La Constitution garantit le droit de vote à tous les Pakistanais, indépendamment de leur genre. Mais certaines zones rurales conservatrices restent soumises à un code patriarcal permettant aux anciens du village d'exercer une grande influence sur leur communauté.

Le village de Dhurnal, dans la province du Pendjab (centre-est), s'étend autour de terres agricoles et abrite des milliers de personnes. Ici, le vote est interdit aux femmes depuis plus d'un demi-siècle.

"Il y a plusieurs années, à une époque où le taux d'alphabétisation était faible, un président de conseil a décrété que si les hommes allaient voter et que les femmes faisaient de même, il n'y aurait personne pour s'occuper du foyer et des enfants", raconte Malik Muhammad, un membre du conseil de village. "Ce chambardement, juste pour un vote, a été considéré comme inutile", conclut-il.

Muhammad Aslam, un commerçant, affirme qu'il s'agit de protéger les femmes des "guéguerres locales" liées à la politique, comme cette fois, dont peu de villageois semblent se souvenir encore, où une dispute avait éclaté dans un bureau de vote.

La religion est détournée 

Pour d'autres, cela relève simplement de la "tradition".

La Commission électorale a souligné qu'elle dispose de l'autorité pour annuler le résultat d'une élection dans toute circonscription où les femmes seraient empêchées de voter.

En réalité, les progrès ont été lents en dehors des villes et dans les zones sous l'influence des normes tribales, où des millions de femmes ne sont toujours pas inscrites sur les registres électoraux.

Dans chaque circonscription, au moins 10% des suffrages exprimés doivent l'être par des femmes pour que le scrutin soit validé. Dans celle de Dhurnal, ce n'est possible que grâce au vote des femmes dans d'autres villages. Mais les électrices se voient alors souvent forcer la main et obligées de voter pour le candidat choisi par un homme de leur famille.

En janvier, dans la région montagneuse du Kohistan (nord-ouest), des religieux ont édicté qu'il est contraire à l'islam pour les femmes de prendre part aux campagnes électorales.

Fatima Tu Zara Butt, une avocate et défenseuse des droits des femmes, explique que l'islam ne leur interdit pas de voter mais que la religion est souvent détournée ou mal comprise au Pakistan. "Qu'importe leur niveau d'éducation ou leur stabilité financière, les femmes au Pakistan ne peuvent prendre de décisions qu'avec +l'appui+ des hommes autour d'elles", dit-elle.

Le Pakistan a élu en 1988 la première femme à diriger un pays musulman - Benazir Bhutto - qui a mené des politiques visant à favoriser l'accès des femmes à l'éducation et au travail.

"Mais je m'en fiche"

Elle a aussi combattu l'extrémisme religieux, après la mort du dictateur militaire Zia-ul-Haq, qui avait favorisé une islamisation radicale du pays et restreint les droits des femmes.

Toutefois, plus de 30 ans après, seulement 355 femmes sont en lice pour un siège de député aux législatives de jeudi, contre 6.094 hommes, selon la Commission électorale. Celles qui se présentent le font généralement seulement parce qu'elles sont soutenues par un homme déjà établi en politique. "Je n'ai jamais vu de candidates indépendantes concourir seules aux élections", observe Zara Butt.

Le Pakistan, pays très majoritairement musulman, réserve 10 des 342 sièges de l'Assemblée nationale aux minorités religieuses et 60 aux femmes. Mais en dehors de ce quota, les partis politiques autorisent rarement les femmes à se présenter.

Robina Kausir, une travailleuse médicale de 40 ans, souligne qu'un nombre grandissant de femmes à Dhurnal veulent exercer leur droit de vote. Mais elles craignent une réaction violente de la communauté, en particulier le risque d'être poussées au divorce, source de grande honte dans la culture pakistanaise.

Cette évolution tient selon elle à un meilleur accès à l'information, via les smartphones et les réseaux sociaux. "Ces hommes instillent la peur chez leurs femmes; beaucoup menacent leurs épouses", reproche Mme Kausir. Soutenue par son mari, elle est l'une des rares prêtes à se battre.

Aux élections de 2018, elle avait trouvé un minibus pour emmener des femmes au bureau de vote local. Une poignée seulement s'étaient jointes à elle. Elle avait tout de même considéré cela comme un succès et renouvellera l'expérience jeudi. "J'avais été insultée, mais je m'en fiche. Je continuerai à me battre pour le droit de chacun à voter".



Juchée sur son "charpai", un lit traditionnel en bois, patiné par le temps, Naeem Kausir confesse timidement qu'elle souhaiterait voter aux élections législatives de jeudi au Pakistan. Si seulement les hommes de sa famille lui en donnait la permission.

Cette ancienne directrice d'école, âgée de 60 ans, est diplômée de l'enseignement...