Critiques littéraires Récit

Le Clézio par lui-même

Le prix Nobel de littérature 2008 publie un livre tout simple en apparence, très personnel, où il passe en revue des thèmes qui lui sont chers, de ses origines jusqu’au pouvoir de la littérature.

Le Clézio par lui-même

D.R.

Dès ses débuts en littérature, à vingt-trois ans, en 1963 avec Le Procès-verbal, Le Clézio a désorienté. Il flottait une atmosphère de mystère autour de cet homme qui ne se mêlait pas à la comédie littéraire hexagonale (ses livres parvenaient souvent aux critiques avec la mention « Hommage de l’auteur absent de Paris ») et dont les initiales J.-M. G. puis J. M. G. intriguaient. À la manière des Anglo-saxons, T.E., D.H., W.B. ou même J.F. On apprit que c’était simplement l’abréviation de Jean-Marie Gustave, mais que l’auteur préférait son seul patronyme, Le Clézio. Des Bretons partis chercher fortune à l’île Maurice, alors française, et qui y ont plutôt bien réussi en tant que commerçants, même s’ils ont connu des revers de fortune. Comme son père, leur descendant, né quand Maurice faisait encore partie de l’Empire britannique, donc anglais, et qui devint médecin colonial en Afrique. C’est au Nigeria que le jeune Le Clézio, né à Nice pendant la guerre, est parti, à huit ans, avec sa mère, mauricienne francophone, et son frère, faire la connaissance de ce père pas comme les autres. Et c’est sur le bateau qui les y conduisait que le gamin précoce écrivit son premier roman, Oradi noir. Pour l’enfant qui venait de vivre des années d’angoisse, de privation, l’Europe symbolisait la pénurie, la faim, et l’Afrique l’abondance, et la liberté donnée aux jeunes blancs de jouer avec leurs copains ibos.

Tout cela a bien changé aujourd’hui, mais l’écrivain se considère comme français et mauricien, et cette double identité, presque triple, si on lui ajoute le Maroc de sa femme Jemia, Saharaouie descendante d’un grand saint soufi, a fondé sa démarche, son attitude face à la vie : résolument plurielle, « nomade », voire métisse, tournée vers l’Autre et les ailleurs. Tout sauf franco-français. « Je ne sais pas qui je suis », écrit-il à un moment. Il tente toutefois de le comprendre, et de l’expliquer, dans ce nouveau livre, collection de vingt-cinq courts chapitres autobiographiques, écrits simplement, avec de volontaires prosaïsmes, comme sur le ton de la confidence, de l’intime. Après un « j’écris pour pouvoir voyager », qui est un peu sa devise, à rebours de nombre d’autres écrivains qui voyagent pour pouvoir écrire, il en vient à quelques grands sujets qui lui tiennent à cœur : « À quoi sert la littérature ? », notamment ce qu’on appelle la « littérature engagée ».

Si les mots peuvent consoler, servir une cause, voire tenter de « changer le monde », il y voit une sorte d’illusion, et plaide pour « l’extrospection » : chercher à connaître l’autre, les autres, et les aider concrètement quand on le peut. Comme à l’île Maurice où il a créé une Fondation pour la scolarisation des enfants les plus pauvres, en général les créoles, descendants d’esclaves africains, des sortes d’« intouchables » discriminés tant par les descendants blancs d’Européens, que par les Indiens descendants de coolies, ces travailleurs « volontaires » importés à Maurice au XIXe siècle par les Anglais afin de travailler dans les plantations de canne à sucre.

Apprendre à lire, maîtriser la langue, atouts fondamentaux pour se faire une place dans le monde.

On ne peut qu’adhérer à cette philosophie, saluer l’universalisme de l’écrivain Le Clézio, récompensé à juste titre par le prix Nobel de littérature en 2008. Lequel conclut sa réflexion par cette maxime tirée du Hamlet de Shakespeare : « Be true to yourselves », soyez fidèles à vous-mêmes. La preuve qu’il peut exister une littérature qui ne triche pas avec le réel.

Identité nomade de J.M.G. Le Clézio, Robert Laffont, 2024, 140 p.

Dès ses débuts en littérature, à vingt-trois ans, en 1963 avec Le Procès-verbal, Le Clézio a désorienté. Il flottait une atmosphère de mystère autour de cet homme qui ne se mêlait pas à la comédie littéraire hexagonale (ses livres parvenaient souvent aux critiques avec la mention « Hommage de l’auteur absent de Paris ») et dont les initiales J.-M. G. puis J. M. G....

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut