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Récits et aphorismes de Fawzi Yammine

Récits et aphorismes de Fawzi Yammine

© Samih Zaatar

«Un matin, la matinée s’est attardée. Elle fut empreinte de confusion tout au long de la journée, demeurant comprimée tel un estomac vide. (…) L’avant-midi devenu exactement comme l’après-midi. (...) Ce jour-là, le coucher du soleil se fit timide, n’osant même pas effleurer la mer, car il demeura voilé derrière les sommets montagneux. On suggéra que cette étrangeté aurait pu surgir de l’esprit d’un poète en proie à l’ennui, assis, en train de fumer et de compter ses rêves sur ses doigts, en comptant avec la cigarette sans s’en apercevoir. »

Fawzi Yammine, journaliste, traducteur et enseignant à l’université Libanaise, est un poète qui s’ennuie, tel l’espace qu’il habite. Un espace qui contemple le temps qui s’écoule. Un temps qui s’alourdit infiniment, échappant à la capacité perceptive des passants. Des êtres qui ont perdu leur supériorité inhérente sur les autres êtres vivants (et non-vivants).

Ce même poète s’écrie : « Arrêtez ! Je veux descendre. » Je veux abandonner l’espace, le temps et les gens qui les occupent, ces individus qui ont eux-mêmes créé cet espace et ce temps à leur mesure. Pourquoi alors ne pas établir un lien ludique avec les objets et les espaces qui les séparent ? Pourquoi ne pas incarner même une fusion organique entre le vivant et le bâti ?

« C’est ainsi que le bûcheron rentre chez lui le soir, totalement imprégné de la teinte verdoyante de la forêt qu’il a arpentée le matin. » Cet environnement nous transforme autant que nous cherchons à le transformer. Ce corps résonne avec l’esthétique de l’espace, dessiné par des lignes épurées, une palette de couleurs, et un jeu d’ombres. Dans son habitat, l’espace construit est une entité qui respire. Chaque pierre et chaque recoin sont imprégnés d’une âme. « Je ferme la pièce, la porte et les fenêtres pour que la maison ne sorte pas. » Mais plus tard, « les fenêtres [se sont] ouvertes, et les pièces se sont mises à déployer leurs regards vers l’extérieur. » Dans cette quasi-réalité qui englobe une multitude d’entités, l’objet devient sujet, et le sujet, objet. Les êtres deviennent figés, inanimés, intangibles. « Notre voisine Lucie est malvoyante. Elle ne parvient pas à distinguer sa fenêtre de sa porte de son mari. »

Le poète clarifie : « Quand la clarté m’a entièrement enveloppé, la scène m’a observé. » Et pourtant, « j’étais ici, là-bas et partout, et je n’étais pas ». Je l’ai rencontré, où il n’était pas, sur « un chemin qui choisit ses routiers ». Je lui ai demandé s’il parlait au nom des objets et de leur vide, ou au nom des êtres humains et de leurs vides. Il répliqua : allons nous asseoir pour en discuter, car « une nation peut naître autour d’une tasse de café, puis ensuite périr ». Périr, puis renaître, car il y aurait une autre tasse. Nous trouvons le café fermé. Son propriétaire est passé ce matin, a vu l’horloge accrochée en face de la porte d’entrée arrêtée, sans son. Sans bruit, il est retourné chez lui, ce qui a surpris sa maison par son retour précoce. Nous occupons alors une partie du trottoir que les tables du café avaient l’habitude de prendre. Je m’adresse à lui, ce poète, cet habitat formé de quatre cloisons : un mur aveugle, miroir des ombres et toile blanche des récits à venir  ; un mur à trous, percées qui encadrent des morceaux de la nature environnante, et des parties de personnes qui circulent  ; un mur en verre, tableau vivant, observateur de la coexistence entre l’intérieur et l’extérieur, la vie nocturne et la vie diurne  ; un mur absent, un vide qui absorbe les murmures du non-dit, la symphonie du silence, et qui façonne les contours de l’invisible. Son plafond est revêtu de parquet et au sol surgit une lampe à incandescence déconnectée. Dedans se trouve « quelques sandwichs, des bouteilles d’eau, des livres, et un peu de divertissement » qui suffisent pour la survie. Un seul meuble, un lit, qui est « une table qui s’est endormie après le déjeuner ».

Et alors, ce voyage dans l’imaginaire, à quoi sert-il ? Peut-être à savourer, même brièvement, l’idée que l’homme ne soit pas forcément au centre de l’univers ni au centre de toute attention. Ou même, à exposer l’idée que « nous ne recherchons pas la vérité, mais la connaissance » et que, s’excusant de Dostoïevski, « c’est l’imagination qui sauvera le monde, pas la beauté ».

Les citations mentionnées ont été traduites par l’auteur et empruntées à

Tawaqafou, ouridou an anzel de Fawzi Yammine, Dar an-Nahar, 2003, 190 p.

Fi al-waqt bayna sijaratayn de Fawzi Yammine, éditions al-Nahda al-‘Arabiyya, 2019, 210 p.

Al-este’nas bel ‘adam de Fawzi Yammine, éditions al-Nahda al-‘Arabiyya, 2024, 299 p.

«Un matin, la matinée s’est attardée. Elle fut empreinte de confusion tout au long de la journée, demeurant comprimée tel un estomac vide. (…) L’avant-midi devenu exactement comme l’après-midi. (...) Ce jour-là, le coucher du soleil se fit timide, n’osant même pas effleurer la mer, car il demeura voilé derrière les sommets montagneux. On suggéra que cette...

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