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Société - Focus

Ces Libanais qui gagent des panneaux solaires sur leurs bijoux

L'investissement dans l'énergie solaire, pour les ménages à faibles revenus, impose des sacrifices.  

Ces Libanais qui gagent des panneaux solaires sur leurs bijoux

Waël Wattar s'occupe de ses panneaux solaires installés sur le toit de son immeuble. Photo João Sousa

Malgré le refus de Souleiman, son mari, Fadwa Naseef l’a fait. Un jour, alors qu'il était au travail, elle a mis en gage ses deux alliances en or auprès de l'institution financière al-Qard al-Hassan, affiliée au Hezbollah, en échange d'un prêt pour acheter un système d'énergie solaire. Son espoir : rétablir l'électricité pour sa famille après des années de coupures intempestives. « Ensuite, je suis allée seule à l'entreprise qui installe l'énergie solaire et je les ai amenés chez nous », explique cette femme au foyer de 50 ans, depuis la banlieue sud de Beyrouth, où elle s'occupe quotidiennement de son beau-père, malade. Avant d'acheter des panneaux solaires, il y a presque un an, le couple partageait un abonnement à un générateur de secours de 5 ampères (A) avec le frère, et voisin, de Fadwa. Chaque foyer payait 50 dollars. 

Si l'utilisation de panneaux solaires s'est répandue ces dernières années dans un Liban largement dépourvu d'électricité, elle est souvent considérée comme limitée aux ménages de classe supérieure, capables de payer pour pallier cette absence de courant due, en partie, à la crise économique multidimensionnelle qui y sévit depuis plus de quatre ans. Mais, dans les faits, des familles à faibles revenus achètent également des systèmes d'énergie solaire photovoltaïque, parfois en vendant leurs biens ou en contractant des dettes pour s'assurer ce bien fondamental qu'est l'électricité. Ainsi, Fadwa Naseef se dit « fière » d'avoir pu aider sa famille.

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Et elle n'est pas seule. Pour Zeinab Khaled, la décision de vendre ses propres bijoux de mariage n'a pas été prise à la légère. « Nous n'avions pas d'autre solution », explique-t-elle à L'Orient Today depuis sa maison à Noueiri, dans la capitale libanaise, où elle vit avec ses trois adolescents. Avec l'argent récolté par la vente de ses bijoux, cette mère de famille a acheté un système d'énergie solaire de six panneaux d'une valeur d'environ 3 500 dollars, qui leur fournit maintenant 5A.

Alors que les autorités libanaises ont échoué pendant des décennies à gérer correctement la société d'électricité publique, Électricité du Liban (EDL), celle-ci ne fournit désormais plus que quelques heures d'électricité par jour, impactant sévèrement la vie quotidienne, les entreprises et les services essentiels. Trouver une alternative à l'électricité fournie par l'État est difficile pour les familles à revenus limités, les foyers étant fortement dépendants de générateurs privés, dont les frais d'abonnement ont augmenté en flèche, à des niveaux inabordables, à mesure que les heures d'alimentation en électricité ont diminué ces dernières années.

Une petite lampe attachée à un interrupteur et alimentée par un ordinateur UPS dans la maison de Waël Wattar. Photo João Sousa

Dans les faits, parmi les 20 % des ménages les plus pauvres, un sur cinq n'a pas accès à un générateur, tandis que parmi les 20 % les plus riches, seulement un sur 50 est confronté à ce problème, selon un rapport de Human Rights Watch, publié en 2023, citant les contraintes financières comme raison principale au fait de ne pas avoir d'abonnement à un générateur. 

Les économies d'une vie

Waël Wattar possède un car-wash à Beyrouth, mais vit à Aramoun, à environ 15 km au sud-est de la capitale libanaise. Payer 150 dollars par mois au propriétaire du générateur de son immeuble pour aussi peu que 5A était déjà assez difficile, mais ce dernier a commencé à réduire progressivement les heures d'alimentation du générateur. Alors, il y a deux ans, il a décidé de dépenser toutes ses économies et d'annuler les assurances-maladie de ses deux filles, ainsi que son assurance automobile, afin d’acheter huit panneaux solaires avec quatre batteries au plomb ; le tout lui coûtant 4 000 dollars. « Nous comptions sur nos économies quand nous manquions un peu d'argent », explique-t-il. « Maintenant, nous ne dépensons que ce que nous gagnons. Nous n'avons plus d'argent de secours. »

Un couple a installé six panneaux solaires sur son balcon au lieu du toit de l'immeuble, inaccessible à tous. Photo João Sousa

Néanmoins, cet investissement de l'énergie solaire a eu de nombreux avantages. « Au lieu de 7h d'électricité, nous en avons maintenant presque 24... et, au lieu de 5A, nous en avons maintenant 16 », dit-il. Halima, son épouse, ajoute qu'ils ont maintenant également une connexion internet constante. Avant, ils dépensaient une grande partie de leurs revenus pour des cartes de recharge 3G. « Cela a fait une grande différence car le système scolaire de nos enfants repose fortement sur internet, toutes leurs tâches et leçons sont envoyées via une application sur le téléphone. »

Alors, l'énergie solaire réduit-elle effectivement les dépenses mensuelles moyennes d'électricité des ménages ? Selon Rony Karam, président de la Lebanese Foundation For Renewable Energy, « c'est évident ». « L'énergie solaire coûte cinq fois moins cher que l'électricité normale », explique-t-il, ajoutant que les personnes qui adoptent l'énergie solaire récupèrent généralement leur argent en deux à trois ans en moyenne. Les systèmes de bonne qualité, tels que les panneaux solaires et les onduleurs, durent jusqu'à 25 ans, tandis que les batteries ont une durée de vie de trois à dix ans, selon le type.

Remises familiales et dettes

Ingénieur et fondateur de Dawtec, une entreprise à Baabda qui importe, vend et installe des systèmes de panneaux solaires, Wissam Daou déclare à L'Orient Today que bien que les ventes de systèmes photovoltaïques aient explosé plusieurs fois au cours des deux dernières décennies, rien ne se compare au boom solaire des trois dernières années, lorsque la crise de l'électricité, alimentée par les troubles économiques, a frappé le Liban.

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En parallèle de ce boom, certaines institutions financières ont ainsi mis en place des prêts aux ménages souhaitant adopter l'énergie solaire. Par exemple, l'association affiliée au Hezbollah, al-Qard al-Hassan, a accordé 20 000 prêts en 2022 dans le cadre d'un programme de financement de l'installation de panneaux solaires. Elle propose des services de prêts sur gage à ses clients, payant pour déposer des bijoux et autres biens précieux, et les conservant en toute sécurité jusqu'à ce qu'ils aient l'argent nécessaire pour les récupérer. 

Mais la hausse des ventes de panneaux solaires « commence désormais à ralentir », note Wissam Daou, « car de nombreux ménages ont déjà installé (des systèmes solaires) ». D'après son expérience, il affirme que parmi ses clients à faibles revenus, certains ont payé leurs systèmes d'énergie solaire avec des envois de fonds de membres de la famille vivant et travaillant à l'étranger. D'autres empruntent l'argent nécessaire pour l'énergie solaire et s'endettent.

Des panneaux solaires installés sur des toits surplombant l'Aéroport international de Beyrouth, à Aramoun, au sud de Beyrouth. Photo João Sousa

Il y a trois ans, Mazen Tamim était dans une situation financière désespérée. Il travaillait comme coursier, tandis que sa femme, enseignante, avait dû quitter son emploi en raison d'une intervention chirurgicale au dos. Son salaire n'était plus suffisant pour couvrir les dépenses de subsistance de sa famille de quatre personnes en plus de la facture élevée du générateur. « Ma femme a suggéré que j'emprunte de l'argent à mon frère et que ce que nous payions pour le générateur, nous pourrions le rembourser mensuellement pour régler le prêt », déclare le quadragénaire qui vit à Naameh, au sud de Beyrouth.

Aujourd'hui, les huit panneaux solaires de la famille leur fournissent environ 20 A au lieu des 5A qu'ils obtenaient d'un abonnement mensuel à un générateur privé pour 120 dollars. Mais il doit toujours rembourser 1 580 dollars à son frère. Il affirme que l'adoption de l'énergie solaire finira par être rentable, réduisant la consommation d'électricité et les dépenses des ménages, « s'ils installent des systèmes de bonne qualité ». De plus, « les gens aujourd'hui sont de plus en plus conscients de leur consommation d'énergie et de la consommation électrique de chaque appareil, et ils cherchent des produits moins énergivores – cela a un impact positif sur les habitudes des gens », ajoute-t-il.

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Waël Wattar, par exemple, indique qu'il a remplacé l'une des pièces électriques de son chauffe-eau avec une version qui utilise quatre fois moins d'énergie, ce qui lui permet de l'allumer grâce à l'énergie solaire. Une fois qu'il aura économisé assez d'argent, il prévoit également de mettre à niveau ses unités de climatisation pour les rendre moins énergivores.

« Je peux allumer les lumières dès que je rentre ! »

Fadwa Naseef affirme que sa vie s'est améliorée depuis qu'elle a mis en gage son or de mariage pour des panneaux solaires. Elle attend avec impatience de récupérer ses bagues en or une fois qu'elle aura remboursé le prêt qu'elle a obtenu d'al-Qard al-Hassan. Son mari, lui, qui travaille comme gardien d'entrepôt, rembourse lentement ce prêt en versant une mensualité de 45 dollars à l'institution. Le couple a installé son système solaire il y a 11 mois.  Néanmoins, si cela a changé leur vie, selon Fadwa Naseef, « ce n'est pas suffisant ». Ainsi, ils ont dû renoncer complètement à leur abonnement au générateur car ils ne pouvaient pas se permettre les deux. « Quand il fait nuageux, nous ne pouvons allumer que les ampoules », dit-elle. « J'ai éteint le réfrigérateur depuis plusieurs jours maintenant. »

De son côté aussi, malgré une électricité plus stable, Zeinab Khaled éteint également le réfrigérateur pendant les périodes de faible ensoleillement et attend l'électricité de l'État pour faire la lessive et allumer le chauffe-eau. « Cependant, Dieu merci, au Liban, nous avons du soleil même en hiver », rit-elle. Presque un an après avoir adopté l'énergie solaire pour l'électricité et mis fin à son abonnement au générateur, elle affirme que sa famille et elle ont connu une augmentation de 80 % du nombre d'heures d'électricité. « Je peux allumer les lumières dès que je rentre à la maison maintenant ! » s'exclame-t-elle. 

Malgré le refus de Souleiman, son mari, Fadwa Naseef l’a fait. Un jour, alors qu'il était au travail, elle a mis en gage ses deux alliances en or auprès de l'institution financière al-Qard al-Hassan, affiliée au Hezbollah, en échange d'un prêt pour acheter un système d'énergie solaire. Son espoir : rétablir l'électricité pour sa famille après des années de coupures...

commentaires (4)

Mieux vaut investir dans le solaire que de nous laisser matraquer à nouveau par le ministère de l'énergie. $45 milliards sans résultats, l'arnaque du siecle!

CW

13 h 22, le 28 janvier 2024

Tous les commentaires

Commentaires (4)

  • Mieux vaut investir dans le solaire que de nous laisser matraquer à nouveau par le ministère de l'énergie. $45 milliards sans résultats, l'arnaque du siecle!

    CW

    13 h 22, le 28 janvier 2024

  • Les citoyens libanais ont réussi à faire en presque deux ans, depuis le chaos et le vide politique, ce que l’état n’a pas fait en 40 ans. Bravo. Ça prouve que nous n’avons pas besoin de tous ces bras cassés qui ne sont là que pour nous racketter et nous rendre la vie encore plus insupportable, depuis que les incapables ont usurpé le pouvoir pour se servir et s’enrichir.

    Sissi zayyat

    15 h 06, le 25 janvier 2024

  • La question à laquelle personne ne peut répondre: Est-ce que les panneaux vont tenir leur promesse de 15 ans de vie et de bon rendement? à mon avis la performance baissera progressivement. N'empêche, ce que cette dame a fait est héroïque, bravo à elle.

    Céleste

    14 h 37, le 25 janvier 2024

  • L’illustration parfaite de ce qui appelé Etzt Libanais qui ne rend AUCUN SERVICE à ces citoyens mais qui les matraque de taxes et d’impôts qui augmentent de façon exponentielle grâce au génie du PM désigné mais démissionnaire chargé de gérer les affaires qui courent beaucoup plus vite que lui. Il n’arrive qu’à s’occuper des taxes et rien d’autre

    Lecteur excédé par la censure

    14 h 12, le 25 janvier 2024

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