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Lifestyle - Beyrouth Insight

Chérine Saadé : du goût et du bagou

Depuis son atelier de la rue Sursock, la scénographe crée des installations qui ne cessent d’enchanter les soirées et événements de Beyrouth. Portrait.

Chérine Saadé : du goût et du bagou

Chérine Saadé, l’art de recevoir, l’art de faire du beau. Photo Marya Ghazzaoui

Quand Chérine Saadé reçoit chez elle et si l’on est chanceux, sur la terrasse de son appartement, dévorée par une cascade de bougainvilliers fuchsia, une simple réunion improvisée autour d’un café ou d’un verre de vin se transforme en un moment où rien, aucun détail, n’est laissé au hasard et qui exhume une chaleur et une magie particulières. Un arrangement de fleurs de saison, des branches de palmier piquées dans des pots en céramique, une enfilade de bougies, de la vieille vaisselle en porcelaine trouvée aux puces, en deux temps trois mouvements et avec ce geste secret dont Chérine a le secret, le tour est joué…

C’est que cette scénographe libanaise, bien avant de lancer son studio de scénographie et d’événementiel, avait cela dans la peau : l’art de recevoir, l’art de faire (du) beau(coup) avec trois fois rien et surtout, l’art de créer des « ambiances » avec ce qui lui tombe sous la main. Et c’est justement après avoir dûment déployé ce talent inné, ce don qu’elle a en elle depuis son jeune âge, pour ses proches et ses amis et dans l’intimité de chez elle, que Chérine Saadé s’est finalement décidée à lancer son studio à partir duquel elle crée des scénographies et des installations qui n’ont cessé d’enchanter, depuis 2017, les événements et les soirées libanaises, constituant une clientèle fidèle qui fait appel à elle pour ce petit quelque chose qui fait invariablement toute la différence.

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Une question d’ambiance

Lorsqu’on l’interroge sur l’évolution de son goût, d’où il provient et comment elle l’a nourri, Chérine Saadé mentionne comme ça, presque instinctivement, sa chambre d’adolescente. Enfant de la guerre civile et des déplacements forcés, elle se souvient qu’à chaque fois que la famille s’installait dans un nouvel appartement, et même au plus fort des bombardements, elle passait un temps fou à aménager sa chambre (parfois temporaire), à tel point que celle-ci finissait toujours par être la plus belle pièce de la maison où tout le monde venait et se rassemblait. « Cela peut sembler comme un détail, mais pour moi, l’ambiance qu’on se crée et dans laquelle on vit, même si ça se fait très simplement, est la chose la plus importante. C’est ce qui, en ce qui me concerne, me permet de me créer un cocon et de préserver ma sérénité », confie-t-elle.

Après des études en graphic design à la Beirut University College (devenue par la suite LAU), Chérine Saadé se consacre à l’éducation de ses trois filles en faisant de leur maison un lieu de fêtes. « J’exerçais mon métier actuel, mais à partir de chez moi et sans m’en rendre compte. Chaque repas de fête, chaque anniversaire ou fête de famille devenait une sorte de projet où je me donnais tout entière. Recevoir chez moi et à chaque fois réfléchir à une manière de transformer la maison, ça a toujours été ce que j’aime le plus », raconte celle dont les amis lui demanderont alors des coups de main pour leurs dîners, leurs mariages et autres occasions. « C’est là que, encouragée par mon mari, je me suis dit : pourquoi ne pas en faire un métier à proprement dit ? »

En décembre 2016, Iwan Maktabi, troisième génération de créateurs et vendeurs de tapis, familiers avec le talent encore secret de Chérine Saadé, font appel à elle pour la scénographie d’un dîner donné dans leur espace pour des clients et des architectes d’intérieur. « C’était la première fois que je faisais cela en dehors de la zone de confort qu’est mon appartement. J’avais opté pour un parti pris à l’époque, un banquet sans fleurs et avec uniquement des objets et la vaisselle en cristal », dit-elle. L’événement en question a un tel succès que très vite, le téléphone de Saadé ne cesse de sonner, avec des clients de tous bords qui la sollicitent. Et de poursuivre : « C’est là que je me suis dit qu’il fallait quand même que j’aille parfaire ma technique pour pouvoir assurer des événements d’une telle ampleur. »

Une scénographie toute en nuances. Photo DR

L’ampleur de Beyrouth

Entre 2017 et 2018, Saadé participe à cinq ateliers floraux à Londres et Paris. Dès l’aube, elle sillonne les marchés de fleurs pour déchiffrer les nuances et « le comportement de chacune » puis, après ses heures de « cours », elle fait la tournée des hôtels londoniens et parisiens pour se frotter à la manière dont les grands floristes et scénographes opèrent. Armée de cette formation, elle rentre à Beyrouth où elle est aussitôt appelée à organiser des installations pour des vitrines, des mariages, des fiançailles, des dîners et des événements d'entreprise. « J’ai commencé à travailler dans ma cuisine, puis dans le jardin, jusqu’à aménager un premier atelier et ensuite un second, où je suis actuellement et où j’emploie cinq personnes à temps plein », explique-t-elle.

Et il conviendrait à juste titre de s’arrêter un instant sur l’atelier de Chérine Saadé, niché dans un immeuble Art déco de la rue Sursock. Là, entre des camions qui déversent à l’arrière l’arrivage des fleurs du jour, le plan de travail qui agit comme une fourmilière, la scénographe reçoit ses clients dans une ambiance ouatée et feutrée qui, à elle seule, convoque le rêve des événements à venir. « Pour moi, rencontrer les clients, les comprendre et les inviter à découvrir mon univers est l’élément le plus important de mon travail. Sans contact humain, je ne sais pas créer », confie-t-elle. C’est dans cet atelier aussi que Chérine Saadé recèle une impressionnante collection d’ornements, de vases, de vaisselle, de céramique, de porcelaine et autres objets glanés dans les marchés aux puces, mais aussi auprès d’artisans libanais et qui, une fois assemblés, constituent son langage.

Du spectaculaire et de l'élégance. Photo DR

Et ce langage-là, elle n’a cessé de le déployer, le moduler au fil des installations et scénographies privées et publiques à Beyrouth, notamment pour des clients tels que Maison Rabih Kayrouz, le restaurant Liza, Maison Tabbah, Sylvie Saliba, Nissan et Sandra Mansour. « Et même si, pendant longtemps, j’étais réticente à l’idée de faire des mariages, plus les choses allaient mal dans le pays et plus je me rendais compte à quel point ma contribution pour ces moments heureux, cette “farha”, était importante », souligne-t-elle. Amoureuse du doré, des nuances d’orange qui lui rappellent les couleurs du coucher au Liban et qu’elle fait contraster avec du noir intense, Chérine Saadé aura, en l’espace de quelques années seulement, installé sa signature et ce quelque chose d’à la fois baroque et brut avec lequel elle enrubanne les événements qu’on lui confie. « J’aime travailler pour le Liban parce qu’il y a quelque chose d’ample, de vaste et de généreux qu’on ne retrouve nulle part ailleurs. »

C’est sans doute ce qui l’a conduit, après deux ans d’exil à Paris entre 2020 et 2022 – suite à la double explosion du 4 août qui lui a coûté son appartement et son atelier ei lui a causé de graves blessures au corps –, à revenir à Beyrouth et y déposer la magie qui est la sienne. Originaire du Sud-Liban, Chérine Saadé, quoique évoluant dans l’épitomé du beau, est loin d’être « loin » de ce qui se passe actuellement dans le pays. Mais elle fait partie de ces Libanais qui conjurent le sort à la force de ces petites belles choses qui font toute la différence…

Quand Chérine Saadé reçoit chez elle et si l’on est chanceux, sur la terrasse de son appartement, dévorée par une cascade de bougainvilliers fuchsia, une simple réunion improvisée autour d’un café ou d’un verre de vin se transforme en un moment où rien, aucun détail, n’est laissé au hasard et qui exhume une chaleur et une magie particulières. Un arrangement de...

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