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Économie - Éclairage

Que dit la nouvelle loi libanaise de libéralisation des loyers commerciaux ?

Les loyers datant d’avant 1992 se situent bien en dessous du prix du marché, grâce à l'ancienne loi de 1963 qui permettait de les geler, ainsi qu’aux dévaluations de la livre libanaise dans les années 1980 et à partir de 2019.

Que dit la nouvelle loi libanaise de libéralisation des loyers commerciaux ?

Un commerce à louer à Beyrouth. Photo M.A.

La controverse persiste quant à la nouvelle loi de libéralisation des loyers commerciaux. Votée en décembre 2023 par le Parlement, cette loi a été présentée vendredi en Conseil des ministres qui l’a renvoyée au Parlement pour une seconde lecture, en vertu d’une prérogative empruntée à la présidence de la République, vacante depuis plus d’un an sur fond de tensions politiques.

Renvoyé donc pour révision, ce texte comporte des mesures qui permettraient aux propriétaires de récupérer leurs biens auprès des locataires et d'augmenter considérablement les loyers pour la première fois depuis des décennies. Dans ce cadre, les locataires critiquent ces changements à venir, tandis que les propriétaires arguent du fait que les anciens contrats de location gelés, qui ont perdu la majeure partie de leur valeur en raison de la crise économique au Liban, amenuisent leurs revenus.

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Une fois cette loi ratifiée et publiée dans le Journal officiel, elle affectera environ 24 900 locataires louant des propriétés en vertu de l'ancienne loi sur les loyers, selon les statistiques du ministère des Finances. L’Orient Today fait le point.

Quelles sont les modifications apportées à l'ancienne loi ?

Les ajustements à l'ancienne loi sur les loyers effectués par le Parlement, lors de sa dernière session législative des 14 et 15 décembre 2023, pourraient libérer les biens commerciaux des contraintes législatives de 1963 en prolongeant soit les baux existants de quatre ans avec des hausses de loyer importantes, soit de seulement deux ans sans augmentation de loyer.

Ainsi, les locataires qui ont signé leur bail commercial avant 1992 paient un loyer bien en deçà du prix du marché, grâce à l'ancienne loi de 1963 qui permettait de geler les loyers et aux dévaluations de la livre survenues dans les années 1980 et à partir de 2019. Cette loi ne s'applique toutefois plus aux contrats de location établis à partir de 1992. La nouvelle loi vise à changer cela.

Voici comment elle fonctionne :

Si le propriétaire choisit de libérer son bien de l'ancienne loi sur les loyers en deux ans, le locataire est tenu de payer le même loyer pendant ce laps de temps.

Si le propriétaire choisit de conserver le locataire pendant quatre ans avant de libérer son bien de l'ancienne loi, celui-ci sera soumis à une augmentation progressive du loyer. Le bail commercial sera réévalué en fonction de son emplacement et d'autres facteurs par des experts mandatés par les tribunaux — et le loyer annuel dû par les locataires équivaudra à 8 % de sa valeur d’estimation.

De ces 8 %, 25 % seront payés par le locataire au cours de la première année suivant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi ; 50 % seront payés la deuxième année ; et 100 % les troisième et quatrième années. Par exemple, si la valeur d'une propriété est estimée à 100 000 dollars, le loyer annuel selon la nouvelle loi sera de 8 000 dollars. Pour la première année, le locataire paiera 2 000 dollars. Pour la deuxième année, il paiera 4 000 dollars, puis, pour les troisième et quatrième années, la totalité de 8 000 dollars.

La rue commerçante de Mar Mikhaël. Photo João Sousa

Après cette période d'extension de deux ou quatre ans, les propriétaires seront libres de relouer, vendre ou utiliser leurs biens commerciaux comme ils le souhaitent. Durant le même laps de temps, les nouvelles modifications exemptent également les propriétaires de 90 % de leurs impôts fonciers, droits de douane et amendes des dix années précédentes, en veillant à ce qu'ils n'aient pas à couvrir les frais impayés par les locataires — mais en les exemptant également du paiement de la plupart de leurs propres dettes impayées.

Les locataires font donc valoir que la nouvelle hausse de loyer, via cette loi, est trop drastique et qu’ils ne peuvent pas se permettre une telle augmentation. Parmi eux, Bassam Moukheiber, qui a participé à une manifestation des droits des locataires à Beyrouth le 9 janvier, loue un magasin à Beyrouth depuis 1958 et acquitte actuellement un loyer annuel de 5 millions de livres, soit environ 55 dollars. « Nous sommes en faveur des hausses de loyer, mais pas sur la base des 8 % », souligne-t-il. « Nous voulons trouver une solution qui fonctionnerait pour nous et le propriétaire. »

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Cependant, les propriétaires affirment que certains locataires, y compris ceux qui sont à la tête d'entreprises lucratives comme des bijouteries et des cliniques, seraient en mesure de payer le nouveau tarif. Ils estiment que cela leur donnerait un coup de pouce financier bien nécessaire.

Pourquoi les locataires sont-ils contre la loi ?

De leur côté, les locataires affirment que le fait que les propriétaires reprennent leurs biens, que ce soit en deux ou quatre ans, est injuste. La plupart d'entre eux avaient versé une somme forfaitaire, appelée « frais de vacance », au début de leur bail, dans le cadre d'un accord informel avec les propriétaires, en plus du loyer annuel. Ces frais de vacance représentaient environ 15 à 20 % de la valeur du bien. Bassam Moukheiber déclare ainsi qu'il avait payé 275 000 livres en tant que frais de vacance en 1958, ce qui équivalait alors à environ 87 000 dollars, au taux de change de l'époque de 3,16 livres pour un dollar. « Qu'il me rende les frais de vacance que j'ai payés et je partirai », a-t-il déclaré. « Parce que partir en deux ans sans argent, ce serait une humiliation. »

Autre problème épineux, le fait que les locataires auront sans doute du mal à trouver une alternative, surtout dans le contexte d'effondrement économique et bancaire au Liban. Les pharmaciens en particulier seront confrontés à un dilemme si les propriétaires mettent fin à leurs baux commerciaux. Leurs licences les contraignent à établir des pharmacies dans une zone spécifique de 300 m au sein de la municipalité où ils sont installés, explique Joe Salloum, président de l'ordre des pharmaciens, contacté. « Si un pharmacien était contraint de quitter son emplacement commercial, il pourrait ne pas être en mesure d'ouvrir une autre pharmacie dans le même quartier », a-t-il ajouté. De plus, « si le pharmacien souhaite transférer sa licence d'un endroit à un autre, il est tenu d'obtenir une autorisation financière et une autorisation de sécurité », ajoute M. Salloum. « Ces processus pourraient prendre un an ou plus... soit un autre obstacle. »

 « J'attends qu'ils meurent »

« L'entreprise vend et échange sa marchandise en dollars, mais paie son loyer à l’ancien taux de la livre », rétorque Patrick Rizkallah, président du syndicat des propriétaires de biens loués. « C'est une forme d'injustice vieille de 50 ans », regrette-t-il, en référence à la loi de 1963. Le syndicaliste rejette l'idée selon laquelle 8 % de la valeur de la propriété en tant que frais de loyer représente un chiffre excessif. Parmi ceux qui louent encore des espaces commerciaux en vertu de l'ancienne loi, figurent des médecins, argumente-t-il : « Ils facturent des centaines de dollars à leurs patients pour leurs consultations, mais paient le loyer en livres... c'est une blague ! » Il accuse les locataires d'être « cupides », déclarant que son syndicat demande à l’exécutif de publier « immédiatement » les nouvelles modifications de la loi.

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Un avocat spécialisé dans les affaires de loyers, qui possède plusieurs propriétés commerciales et parle sous le couvert de l'anonymat pour protéger sa pratique juridique, explique qu'il recevait des loyers de 600 000 et 700 000 livres par an de ses locataires, ce qui équivaut aujourd'hui à 7 à 8 dollars. « Les locataires vont chez le notaire, paient environ 2 millions de livres de frais (soit plus du double du loyer) pour déposer le loyer afin que je puisse aller le récupérer », observe-t-il. « Assez, c'est assez ! » s’exclame-t-il : « Ils paient 10 dollars pour louer mes propriétés et veulent ensuite que je les récupère chez le notaire... Je ne veux pas de ce loyer. » Et d’ajouter : « C'est de l'exploitation. » « Le propriétaire devrait avoir le droit d'investir dans sa propriété sans qu'une loi d'extension de loyer lui soit imposée », juge cet avocat, alors que les autorités ont prorogé la loi sur les anciens loyers pendant des décennies.

D'autant qu'en vertu de cette ancienne loi, certains locataires sont eux-mêmes devenus rentiers en sous-louant la propriété à d'autres locataires, bien que cela soit illégal. « Les locataires exploitent la situation et commercent avec les biens des gens ! Imaginez que vous êtes propriétaire d'un bureau et que le locataire le sous-loue sans votre permission », illustre Patrick Rizkallah. C’est ce qui est arrivé à Lia Nurpetlian qui a hérité, avec son frère et sa sœur, d'un immeuble à Bourj Hammoud de ses parents décédés. Construit par son grand-père, ce bien immobilier se compose de trois appartements et de deux magasins. « Un homme y louait un magasin depuis l'époque de mon père. Quand il est mort, la location a été automatiquement transmise à ses enfants, et vous ne pouvez rien y faire », explique-t-elle.

Un commerce à Gemmayzé. Photo João Sousa

Lia Nurpetlian raconte avoir essayé de libérer l'immeuble du vieux contrat de location plusieurs fois par l'intermédiaire d'avocats, ce qui lui a finalement coûté « plus que le loyer », avant d’arrêter car « j'étais vraiment fatiguée », admet-elle. « L'un des locataires ne gérait même pas le magasin. Alors j'ai engagé un autre avocat et pris des photos (comme preuve)... mais une fois que ce locataire l'a découvert, il a recommencé à ouvrir le magasin », dit-elle. L'un des magasins vend des vêtements pour enfants : « Ils vendent leur marchandise en dollars mais paient 2 millions de livres par an de loyer », soit environ 21 dollars au taux de change actuel. La propriétaire attend désormais « qu’ils meurent, c'est horrible à dire, pour que je puisse récupérer le magasin », avoue-t-elle, les locataires ne pouvant transmettre la propriété qu'à la deuxième génération mais pas à la troisième.

Un clou dans le cercueil des petites entreprises ?

Mona Fawaz, cofondatrice du Beirut Urban Lab à l'Université américaine de Beyrouth, estime auprès de L’Orient Today que l'ancienne loi sur les loyers est « obsolète » et qu’« il ne fait aucun doute que certains propriétaires ne reçoivent pas le loyer approprié. » Cependant, elle soutient également que plusieurs problèmes doivent être abordés avant d'appliquer les nouvelles modifications. « Quelles sont les données qui étayent cette nouvelle loi ? Avons-nous réalisé une enquête auprès de toutes les entreprises pour découvrir que 80 % des locataires gagnent beaucoup d'argent et ne paient pas le loyer ? Ou est-ce 10 %, et nous allons priver la seule source de revenus de, peut-être, des milliers de familles qui autrement iraient mourir de faim ? Nous ne le savons vraiment pas », dit-elle, affirmant qu'aucune enquête de ce type n'a été menée avant l'adoption des nouvelles modifications de la loi.

Imad el-Hout, député impliqué dans l'élaboration des nouvelles modifications de la loi sur les anciens loyers et ayant fait pression pour leur promulgation, souligne auprès de L'Orient Today que des commissions parlementaires ont réalisé des études et pris en compte les différents points de vue avant d'écrire la loi, sans pour autant détailler les éventuels résultats de cette étude. « Qui décide de la valeur (de la propriété) ? Comment savons-nous qu'il s'agit d'une valeur équitable ? Combien de magasins vont fermer ? Quelle est la stratégie du gouvernement pour soutenir les petites entreprises ? » interroge encore Mona Fawaz. « Proposer une loi comme celle-ci sans chiffres ni données, sans prévision pour certaines petites entreprises qui pourraient mourir à un moment où notre économie nationale est presque inexistante, revient à tuer potentiellement certaines économies et certaines sources de subsistance vitales », ajoute-t-elle.

« Nous ne pouvons même pas dire si la loi est bonne ou équitable dans l'absolu en l'absence de données scientifiques » qui permettraient d'avoir une image plus claire de la situation, poursuit l’universitaire qui relève que le gouvernement pourrait commencer par examiner les cas des locataires sous-louant leurs magasins, par exemple. « Cela réduirait en réalité les plaintes, car il y a actuellement de nombreuses poursuites contre des personnes sous-louant et louant des propriétés sans avoir le droit de le faire », souligne-t-elle.

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De grandes questions demeurent sans réponse quant au sort des locataires qui dépendent de leurs petites entreprises. Par exemple, Bassam Moukheiber ignore s'il pourra continuer à exploiter l'entreprise qu'il a depuis des décennies si la nouvelle loi est appliquée. « Cette loi donne exclusivement au propriétaire le droit de mettre fin à une entreprise qui existe depuis plus de 40 ans », tonne-t-il. Mona Fawaz souligne également que les propriétaires pourraient ne pas être en mesure de louer leurs propriétés au prix du marché une fois que l'espace sera libéré des anciens baux commerciaux, « parce qu'il n'y a pas d'économie » pour que les locataires potentiels puissent se permettre d'acquitter les nouveaux loyers.

Au lieu de cela, les propriétaires pourraient simplement choisir de vendre leurs biens à des promoteurs qui démoliront le bâtiment et construiront un nouvel établissement, avertit-elle, précisant toutefois qu'il ne reste pas beaucoup de promoteurs au Liban.

La controverse persiste quant à la nouvelle loi de libéralisation des loyers commerciaux. Votée en décembre 2023 par le Parlement, cette loi a été présentée vendredi en Conseil des ministres qui l’a renvoyée au Parlement pour une seconde lecture, en vertu d’une prérogative empruntée à la présidence de la République, vacante depuis plus d’un an sur fond de tensions...

commentaires (4)

Triste et honteux de voir que notre premier ministre ose prendre le role du président de la république , et rejette de sang froid la loi des loyers toujours injuste au Parlement ,et refuse en plus toute négociation . Il faudra vite finir de tout ce qui est anciens loyers .

Antoine Sabbagha

19 h 29, le 16 janvier 2024

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Commentaires (4)

  • Triste et honteux de voir que notre premier ministre ose prendre le role du président de la république , et rejette de sang froid la loi des loyers toujours injuste au Parlement ,et refuse en plus toute négociation . Il faudra vite finir de tout ce qui est anciens loyers .

    Antoine Sabbagha

    19 h 29, le 16 janvier 2024

  • On peut inventer des lois "protegeant les locataires" pour 2, 3 ans. Mais cette loi d'avant 1992 qui traine pendant 30 ans est completement inadmissible. C'est une abherration honteuse pour le Liban. Et les locataires qui en profitent sont des filous qui squattent les locaux des autres. Il faut mettre fin a cette mascarade et rendre leur biens a ceux qui l'ont acheté.

    Tina Zaidan

    17 h 56, le 16 janvier 2024

  • Je trouve insultant que des locataires de bureaux bénéficiant d'anciens baux , facturent leurs prix en usd et qu ils ne trouvent que les propriétaires des immeubles où ils logent à prendre en partie,pour protester et se révolter !! Pourtant, ils paient avec un grand sourire le restaurant, le marché, l essence, le moteur et j"en passe, sans ciller. Qd je pense que nous touchons des loyers de 10$ par an, j'admire leur schizophrénie.

    Gemayel GABRIEL

    13 h 28, le 16 janvier 2024

  • yalla yalla videz ces sang sues qui louent a des broutilles les locaux et laissez le marche trouver son equilibre.

    Elementaire

    12 h 33, le 16 janvier 2024

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