Rechercher
Rechercher

Culture - Exposition

Premier cri du nu libanais et arabe : du musée de l’AUB au musée Wallach Art Gallery

Quand, dans une société conservatrice, des artistes ont libéré au grand jour les splendeurs du corps féminin, enfermées jusque-là dans les plis et replis des traditions et des obligations.

Premier cri du nu libanais et arabe : du musée de l’AUB au musée Wallach Art Gallery

Omar Ounsi fracassant les tabous dans son tableau « At the Exhibition »,” circa 1932, au Wallach Art Gallery. Via la collection Samir Abillama

« Dans une société où certaines femmes, si elles ne sont pas voilées, restent souvent cachées, il est difficile pour un artiste de trouver un modèle de nu féminin. Beyrouth a peut-être ses bikinis et ses chemisiers transparents, mais les femmes qui les portent n’acceptent guère de se déshabiller complètement, sauf intimement. » C’est ce qu’écrit la grande peintre libanaise Helen Khal dans son ouvrage The Woman Artist in Lebanon. Néanmoins, dans ces temps de réserve rigide, l’étude du corps humain n’a pas échappé aux pinceaux et au marteau des talents arabes, même en l’absence d’une inspiration directe. Une exposition, organisée aux États-Unis, jusqu’au 14 janvier au Wallach Art Gallery, relevant de la Columbia University et intitulée « Partisans of the Nude : An Arab Art Genre in an Era of Contest, 1920-1960 » (« Les partisans du nu, un genre arabe contesté, 1920 1960), en témoigne. Ce lot d’œuvres de cette veine comporte les signatures d’artistes arabes et libanais de l’époque, dont Omar Ounsi, Saloua Raouda Choucair, Chafik Abboud et Huguette Caland. La curatrice de cette exposition n’est autre que Kirsten Scheid, professeure d’anthropologie et d’études artistiques à l’Université américaine de Beyrouth et ancienne de la Columbia University. Elle avait déjà produit un accrochage du même esprit à l’Université américaine de Beyrouth, en 2016, sous l’intitulé « Le nu arabe : L’artiste comme prise de conscience ». Ici, le but était de mettre en avant les motivations sociales, politiques ou culturelles qui avaient poussé ces artistes à embrasser et à adopter le genre du nu dans leur carrière au début du siècle dernier.

 Omar Ounsi fracasse un terrain miné de tabous

À travers cette exposition, le Wallach Art Gallery souhaite présenter une étude de l’art du nu tel que réalisé par des artistes de régions autrefois ottomanes mais pas encore arabes. « Il s’agit de la première étude complète de ces travaux entreprise aux États-Unis », indique l’institution dans un communiqué. Ce dernier précise également que « bien que souvent considéré comme tabou et pratiquement absent de la production artistique arabe, le nu était un genre important pour ces artistes du début du XXe siècle qui cherchaient à définir leur société postmandat et cosmopolite ». « Ce style a même joué un rôle dans la définition d’une identité et d’une pratique islamiques modernes pour les futurs citoyens arabes », estiment les organisateurs de l’exposition, qui plaident pour de nouvelles façons de penser la formation du public et des subjectivités arabes et musulmanes modernes, et apporte de nouveaux outils d’analyse historique de l’art tout en identifiant des sources alternatives.

Le réalisme extrême de l’Égyptien Georges Hanna Sabbagh : « Nude Lying in Front of a Pporthole », 1923, Wallach Art Gallery. Via la Fondation Ramzi et Saeda Dalloul

Pour illustrer ces changements, le Wallach Art Gallery a opté pour une sélection de plus de 50 peintures et 20 dessins, ainsi que des sculptures, des photographies, des films et des documents traitant l’art du nu dans cette région du monde et témoignant de son impact à la fois populaire et critiqué. À signaler que les œuvres étaient produites à partir de 1920 dans une volonté de renaissance culturelle arabe et de modernisation. Ainsi, dans une société où le « Cachez ce sein que je ne saurais voir» était de rigueur, les œuvres artistiques de nu ont fait florès à l’époque, de l’Égypte à la Tunisie, en passant par l’Irak, la Syrie et le Liban. À noter que le pays du Cèdre est entré avec fracas dans ce territoire miné de tabous à travers le peintre Omar Ounsi. L’une de ses toiles, célèbre entre toutes et intitulée À l’exposition, donne à voir un groupe de femmes voilées et toutes de noir vêtues en train d’admirer la peinture de deux femmes nues, l’une assise nonchalamment et l’autre debout. Ailleurs, ses Oiseaux du paradis représentent six femmes en tenue d’Ève en train de prendre un bain collectif en plein air. On retrouve aussi les courbes dénudées, bien dessinées et saisies de dos de César Gemayel et, sous les pinceaux d’Huguette Caland, juste deux tracés couleur peau baptisés Bribes de corps qui en disent long sur les circonvolutions féminines intimes. Se détache également l’iconique couple nu de Gebran Khalil Gebran. La sculptrice de renom Saloua Raouda Choucair a croqué d’une manière linéaire et naïve quatre silhouettes de femmes nues qu’elle a nommées Les peintres célèbres.


« Les peintres célèbres » de Saloua Raouda Choucair. Via la Fondation Saloua Raouda Choucair

Mariam, la première modèle de nu libanaise

Présent aussi sur ces cimaises américaines, le corps tel qu’en lui-même perçu par d’autres peintres libanais, comme Chafik Abboud, Helen Khal, Georges Daoud Corm, Moustapha Farroukh et Juliana Séraphim. Au-delà du Liban, s’impose une composition frappante de réalisme du peintre égyptien Georges Hanna Sabaggh. Il a peint en teintes fortes une femme nue couchée avec indolence sur le dos, regardant la mer par un hublot. Certains y ont vu une inspiration de L’Olympia de Manet, sauf que l’héroïne de Sabbagh n’a rien de diaphane. Elle est bien en chair et sa pose est plus suggestive.


L’épure suggestive d’Huguette Caland intitulée « Bribes de corps » (1973), huile sur toile. Via Huguette Caland Estate

Une équipe d’universitaires d’Algérie, d’Arménie, du Liban, de la Palestine et des États-Unis, composée de Alessandra Amin, Lyn Dabbous, Jessica Gerschultz, May Makki, Sato Moughalian, Alae el-Ouazzini, Iona Stewart, Laura Tibi et Nadia Vvon Maltzahm, a contribué à localiser ces œuvres d’art et à rédiger le texte mural de cette exposition.

Lire aussi

Le corps arabe nu, vecteur d’émancipations

Par ailleurs, et en parallèle à cette exposition, on pourrait se demander qui, en ces temps de pudeur intransigeante et extrême, avait servi de modèle à ces peintres désireux de disséquer l’anatomie féminine. La réponse se trouve dans l’ouvrage d’Helen Khal (cité plus haut) où elle trace le portrait de la première femme libanaise ayant posé nue pour un artiste. On apprend qu’elle se prénomme Mariam, née de parents pauvres, et qu’elle avait été repérée par César Gemayel alors qu’elle n’avait que 13 ans. Elle avait accepté de poser pour lui pour quelques piastres et du chocolat. Pour ne pas l’effaroucher, il l’avait peinte durant plus d’un an avec ses habits et l’avait gardée secrète. Puis, avec l’âge, il y a eu l’effeuillage de la marguerite. Lorsque Mariam a demandé un salaire plus élevé que du chocolat, que son Pygmalion refusera de lui donner, la belle a pris la fuite, disparaissant pendant cinq ans. Quand, à cette époque l’Académie libanaise des beaux-arts avait ouvert ses portes, César Gemayel avait retrouvé Mariam. Pour 150 livres par mois, de 17h à 20h chaque soir, elle avait posé pour des étudiants nommés Michel Basbous, Yvette Achkar, Georges Cyr, Youssef Houayek, Farid Aouad et les autres qui, plus tard, connaîtront la gloire. 

« Dans une société où certaines femmes, si elles ne sont pas voilées, restent souvent cachées, il est difficile pour un artiste de trouver un modèle de nu féminin. Beyrouth a peut-être ses bikinis et ses chemisiers transparents, mais les femmes qui les portent n’acceptent guère de se déshabiller complètement, sauf intimement. » C’est ce qu’écrit la grande peintre...

commentaires (2)

Bof...ce sujet...

Marie Claude

10 h 49, le 03 janvier 2024

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • Bof...ce sujet...

    Marie Claude

    10 h 49, le 03 janvier 2024

  • On sent que ça bouge !

    F. Oscar

    10 h 02, le 03 janvier 2024

Retour en haut