Le récit Un film disparaît (Seuil) d’Hippolyte Giradot, c’est La Haine de Mathieu Kassovitz avant l’heure, mais ici, les banlieusards ne montent pas à Paris, mais un jeune Versaillais part à la rencontre de mecs du quartier de Plessis-Robinson. On est en septembre 1977, Hippolyte Girardot n’est pas encore l’acteur français connu qu’il deviendra, mais un jeune étudiant en section « cinéma-animation » à l’École nationale supérieure des arts décoratifs. À sa grande surprise, l’un de ses professeurs lui demande de remplacer un ami pour mener un atelier de cinéma.
« La proposition d’un atelier cinéma n’a pas grand-chose à voir avec le cinéma d’animation et c’est aussi pour ça que je l’accepte. C’est le principe de l’auto-stop : ce n’est pas toujours la bonne destination, mais ça doit aller dans la bonne direction. » Il se rend à Plessis-Robinson, une banlieue dans laquelle il n’a jamais mis les pieds. Lui, c’est plutôt Le Chesnay, une commune près de Versailles, « la campagne encore, avec des champs, des usines (…) des bois, une centaine d’hectares de pépinières et cette chose insensée qu’est l’immense château du Roi-Soleil avec son parc alors sans fin et aux clôtures vagues. »
Dans l’atelier, il rencontre Ali, Tariq et les mecs du Porche. Le Porche, c’est « leur maison », une sorte d’abri sous le premier étage de leur immeuble où se trouve un banc en béton intégré au mur, une architecture étonnante, « d’une autre époque, quand on décidait de perdre de la surface pour créer un lieu de réunion, de palabres, de retrouvailles ». Hippolyte Girardot s’attache à ces jeunes, ils réalisent ensemble un premier film qui ne convainc pas, mais Farid revient à la charge. « On doit absolument faire un film de la vie des mecs du Porche (…) de nos galères, de notre vie quotidienne, de ce que c’est que d’être enfants d’immigrés, d’être la première génération issue d’Algérie et née en France. » Hippolyte se laisse convaincre. « Le film sera la chronique romancée d’un été. Le script se termine au bord d’une plage du Nord où ils offrent à leur pote, qu’ils ont enlevé de force à l’asile, une soirée mémorable. » Le film se tourne, mais sans Farid qui a été convoqué par l’armée algérienne. Il est parti faire son service militaire au bled.
Une affiche se crée, « une affiche de cent vingt par cent soixante-dix centimètres. Percutante comme au premier jour. Les mecs du Porche, tous assis sur leur banc en béton. » Mais alors qu’Hippolyte Girardot monte le film, il se fait voler sa bobine. Comment ? Pourquoi ? Par qui ? Il enquête mais se retrouve face à un mur, on le traîne, on l’aide sans l’aider. En parallèle de ce travail qu’il menait, l’apprenti réalisateur commence sa carrière d’acteur, il tourne dans ses premiers films et c’est de ce côté de la caméra qu’il choisira de poursuivre sa carrière cinématographique.
Il jouera notamment dans Hors la vie de Maroun Bagdadi (Prix du jury au festival de Cannes 1991) le rôle d’un photographe français kidnappé pendant la guerre du Liban. Dans un article du journal Le Monde daté du 15 mai 1991, les mots d’un journaliste sont dithyrambiques sur sa prestation : « Hippolyte Girardot est plus que le formidable comédien de cette tragédie moderne et sans âge : avec son visage, son corps, ses gestes et ses regards, il incarne le délire d’une guerre sans nom, sans but, sans fin. » Est-ce vraiment un hasard ? Un autre pays en guerre a bouleversé la vie de l’acteur, l’Algérie qui est au cœur de son récit et dont la trace reste pour lui indélébile.
« Un film disparaît », Hippolyte Girardot, éditions du Seuil