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Culture - Récompense

Neige Sinno, ni vainqueur ni victime

Elle a reçu hier le prix Goncourt des Lycéens pour son roman sur l'inceste « Triste tigre ». 

Neige Sinno, adoubée par la critique littéraire. Photo AFP

Neige Sinno, couronnée jeudi par le Goncourt des lycéens pour son récit Triste tigre sur l'inceste, sort de cette rentrée littéraire largement consacrée, sans se considérer comme vainqueur de quoi que ce soit, tout comme elle veut délaisser son statut de victime.

Neige Sinno partait de loin. Elle ne connaissait presque personne dans le milieu de l'édition, elle qui vit très loin, dans la campagne à l'ouest de Mexico.

Et son sujet donnait envie de se dire qu'après Le Voyage dans l'Est de Christine Angot, prix Médicis 2021, ou l'onde de choc de La Familia grande de Camille Kouchner la même année, il allait être difficile de faire mieux.

Et pourtant... Adoré par la critique, adoubé du prix littéraire du quotidien Le Monde, de celui des Inrockuptibles et puis du prix Femina, l'ouvrage a suscité une unanimité assez rare.


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Cette quadragénaire n'avait aucune certitude qu'un éditeur puisse s'intéresser à elle quand elle s'est attaquée à ce sujet longuement mûri : les viols répétés de la part de son beau-père, à partir d'un âge qu'elle a du mal à déterminer, aux environs de six ou sept ans, jusqu'à ses 14 ans. Qu'importe, elle a écrit.

« Ce qui domine dans ce que j'ai ressenti, c'est un enthousiasme : une fois que j'ai trouvé ma forme, que j'ai compris de quelle façon j'allais écrire ce livre, j'étais extrêmement enthousiaste. Il y avait une joie d'écriture », racontait-elle à des adolescents jurés du prix Goncourt des lycéens à Paris début octobre.

« Ça ne veut pas dire que ça n'a pas été difficile. Évidemment ça l'a été, ajoutait-elle. Évidemment j'ai honte. J'ai honte d'exposer devant tout le monde cette histoire affreuse qui a été la mienne. Et en même temps, je suis fière de mon intelligence. »

Quasi inaperçue avant 

Neige Sinno, docteure en lettres à 28 ans, a choisi l'émigration, loin des Hautes-Alpes où elle a grandi. Elle enseigne aujourd'hui dans une branche de l'Université nationale autonome du Mexique, à Morelia. Elle a une fille.

Avant Triste tigre, elle était passée quasi inaperçue dans la littérature, avec un recueil de nouvelles en 2007 (La Vie des rats) et un roman en 2018 (Le Camion), publiés par de petits éditeurs.

Sa vie a changé le jour où les éditions POL ont ouvert le manuscrit qu'elle leur avait fait parvenir via internet. Au sein de cette maison, on s'est empressé d'offrir un contrat à une autrice que des concurrents avaient refusée.

« Vous vous êtes remis de ce texte ? Moi toujours pas ! » lançait en septembre le directeur commercial, Jean-Paul Hirsch.

Bouleversés eux aussi, beaucoup de lecteurs ont fait part à la romancière de leur émotion à la lecture de ce texte au style vigoureux.

Neige Sinno, au moment de le défendre dans les médias, a tâché de briser l'image de victime, celle de la petite fille qui n'avait pas de moyen de s'opposer à son beau-père et qui a fini par porter plainte contre lui, adulte. Son violeur a été condamné à neuf ans de prison.

Face à certains journalistes, « j'ai eu des expériences assez mauvaises où, puisque c'est un texte autobiographique, on essayait de me ramener vers le sordide et de me faire raconter à nouveau les violences que j'ai subies, devant tout le monde. Et ça, oui, je le redoutais », expliquait-elle aux lycéens.

Mais elle rejette aussi l'idée du livre comme thérapie, qui lui aurait apporté du bien-être. 

« Ce texte ne m'a pas servi. Je ne me sers pas des lecteurs et lectrices pour déverser ce que j'ai dans la tête, et moi aller mieux. Ce n'est pas un dépotoir, la littérature. »

Neige Sinno, couronnée jeudi par le Goncourt des lycéens pour son récit Triste tigre sur l'inceste, sort de cette rentrée littéraire largement consacrée, sans se considérer comme vainqueur de quoi que ce soit, tout comme elle veut délaisser son statut de victime.

Neige Sinno partait de loin. Elle ne connaissait presque personne...

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