Les femmes qu’elle donne à voir pourraient lui ressembler ; des femmes grandes, présentes, à ce qui se passe autour et en elles, composées de mille histoires et collages en lien avec l’histoire des lieux. Elles cartonnent ; s’exposent avec leur look unique que l’on distinguerait parmi mille aux Émirats, en Europe ou à New York. Elles sont faites de collage, le mode d’expression privilégié de l’artiste mixed media qui investit de plus le monde des NFT. Magda Malkoun a récemment présenté au FTnft Phygital Space, à Dubaï, une exposition solo intitulée « Metamorphosis », qui comptait cinq toiles et onze animations digitales. Scannées avec le téléphone, les œuvres physiques elles-mêmes s’animaient aussi, prenant une nouvelle vie et proposant par-là même une nouvelle expérience aux visiteurs. L’artiste se délecte elle aussi de cette exploration ; de la construction, la déconstruction et la reconstruction de son propre travail, car pour parvenir à la version numérique, elle doit en passer par là ; une aventure à l’image de la condition humaine qui n’a de cesse de la fasciner dans « son oscillation ». Cette passion et cet engagement lui valent de participer avec sa toile Hope au Pavillon des femmes dans le cadre de l’événement COP28 qui s’ouvre à Dubaï le 6 décembre prochain.
La façon de travailler de l’artiste elle-même reflète cette espérance tous azimuts. En effet, c’est à la suite de la double explosion du 4 août que Magda Malkoun « se met à prendre des photos de Beyrouth pour sa propre consolation », dit-elle. Elle vient de Dubaï où elle réside depuis dix-sept ans et elle marche dans la ville en prenant des photos sans interruption. « J’ai recommencé à reconstruire ces photos une par une pour sentir que j’aidais à ma manière à reconstruire la ville. Cela m’a donné espoir de voir que l’on peut reconstruire quelque chose de beau à partir de la destruction. C’était mon message d’espoir à travers mon travail ». Ce sont d’ailleurs les travaux créés en particulier à la suite de cet événement tragique qui la lanceront. Le succès qu’ils connaissent lui donnent envie de mettre les bouchées doubles. L’artiste autodidacte, qui vient au départ du monde de l’entreprise, s’investit totalement dans son art. Elle raconte avoir eu cette passion pour le collage depuis son enfance. « Quand je veux faire de la recherche sur un thème, ma méthode est de faire beaucoup de photos ou d’en collectionner et ensuite de faire des collages. C’est un truc de l’enfance, cette façon de procéder. C’est une façon de penser. » Son procédé artistique consiste à créer des collages à partir de fragments choisis de ses propres photos, en se focalisant sur la forme, la couleur et le symbole. « C’est comme un parcours initiatique visuel à travers mes expériences personnelles. Chacun de mes portraits est constitué d’un mix de photos que je choisis en fonction du récit que je cherche à déployer, lequel je souhaite au bout du compte contribuera à créer une mémoire collective basée sur la tolérance et l’espoir », explique l’artiste. « Mon travail est une invitation à regarder de plus près les détails et à comprendre que tout un chacun est fait d’expériences et d’histoires multiples ; et de ce fait, une invitation à chercher les ressemblances plutôt que les dissemblances », poursuit-elle.
Magda Malkoun est admirative de la résilience des femmes dans cet Orient dur et complexe, et de leur capacité à se réinventer. Les temps de conflits et de violences ne la laissent pas de marbre, elle a grandi durant la guerre. Elle s’attaque ainsi à sa propre version du Guernica de Picasso « pour portraiturer la perspective des mères, des sœurs, des filles et des épouses au Moyen-Orient, lesquelles en dépit de la perte et de la douleur sont prêtes à envisager un jour nouveau ». Sa toile représente « la peine collective due à une histoire marquée par les conflits et la destruction et est un appel passionné pour la paix. La composition n’est pas conventionnelle ; les faces perturbantes créées par un collage méticuleux d’images réelles de bâtiments ravagés par la guerre servent d’archive historique, pour prévenir la répétition de telles tragédies ». Ainsi, l’artiste est-elle nominée deux fois, en mai 2022 et en juillet 2023, pour représenter le Liban dans le camp d’art sponsorisé par l’Unesco pour promouvoir la paix et le développement durable. Ce camp, intitulé « Colors of the Planet », qui a rassemblé pendant dix jours 25 artistes internationaux en résidence et qui s’est tenu à Ajman aux Émirats arabes unis en 2022 et à Andorre en 2023, symbolise les efforts de l’organisation pour rapprocher les hommes à travers le dialogue et les échanges interculturels. Ambassadrices de paix, deux œuvres de Magda Malkoun font déjà partie de la collection permanente de l’Unesco exposée au siège à Paris et des collectionneurs de nationalités diverses les acquièrent : Libanais, Saoudiens, Français, Indiens et Émiratis. Magda Malkoun pense que c’est le message qu’elle cherche à transmettre qui attire ces acquéreurs, à savoir notamment l’espoir. D’ailleurs, sa première série Scars of History est inspirée des mots du Prophète de Gebran Khalil Gebran : « De la souffrance ont émergé les âmes les plus fortes ; les tempéraments les plus marqués sont empreints de cicatrices. »
Modigliani, Klimt et Picasso...
Pour son art, elle se dit directement inspirée de Modigliani pour ses portraits de femmes sensuelles, de Klimt pour son style hautement décoratif et de Picasso avec ses portraits cubistes. Cela ne l’empêche pas de combiner à cette inspiration les possibilités que donne la technologie, grâce à quoi elle trouve un positionnement qui la distingue. « Dans ma transition du collage traditionnel et de la photographie vers l’art numérique, j’ai trouvé un nouveau processus méditatif qui me permet de déconstruire mon travail en plusieurs niveaux, en animant des fragments individuels, dit-elle. Ceci rajoute de la vie et de l’énergie à mes pièces. Dans mes compositions physiques, j’ai toujours prêté attention au mouvement ; le passage à l’art numérique était ainsi naturel (…) Chacun des medium, physique et numérique, a enrichi mon art. J’ai appris de nouvelles techniques que j’ai ramenées à ma peinture physique. Maintenant, dès lors que je la crée, je pense à comment la toile va se mettre en mouvement. Mon parcours dans l’art numérique a influencé et amélioré ma pratique artistique en entier. »
Mère de trois enfants, la Libanaise basée à Dubaï qui porte son pays et ses blessures dans son cœur et dans son travail, a de l’ambition et des émotions et ne s’en cache pas. Ses portraits sont prétextes à transcrire des émotions plutôt que des figures stricto sensu ; de traquer l’âme derrière les visages et les silhouettes. C’est sans doute cette âme qui se dégage de son travail qui lui vaut d’être repérée par exemple par le Sotheby’s Institute of Art dans le cadre d’un open call intitulé Roots, pour sa toile Contemplation qui a été exposée à New York en octobre 2022, à la suite de quoi sa toile numérique Détermination a été exposée sur des panneaux publicitaires de la galerie Vellum à Los Angeles, spécialisée dans l’art digital. Toujours aux États-Unis, c’est son œuvre Storm Rider qui s’exposera en décembre à Miami dans le cadre de la foire d’art Red Dot Miami.
Les femmes de Magda Malkoun traversent les frontières grâce aux transformations multiples qui les ont faites. C’est cette humanité partagée et la nostalgie d’une certaine mémoire collective qui sont le fil d’Ariane de l’artiste. Et c’est le courage de composer, de décomposer et recomposer son propre travail et l’audace non seulement de l’accepter, mais aussi de chercher cette transformation, qui donne de ce fait une portée universelle à son travail et fait d’elle un nom dont on entendra sans doute beaucoup parler. Pour découvrir ses premières éditions de prints, rendez-vous dans les locaux de l'ONG Rebirth Beirut (Gemmayzé, de 14h à 19h) du 24 novembre au 2 décembre dans le cadre de l’exposition collective Artists of Beirut.