Critiques littéraires Roman

Léonor de Récondo : Incandescence musicale

Avec Le Grand Feu qui paraît chez Grasset, Léonor de Récondo signe un éblouissant portrait de femme. Recluse de la Pietà, austère institution religieuse, la jeune Ilaria s’initie au cœur de la Venise du début du XVIIIe siècle au violon. Quand la musique est un brasier où l’âme se consume…

Léonor de Récondo : Incandescence musicale

© Emilie Dubrul

Au XVIIIe siècle, la Sérénissime a perdu de son faste mais elle tient encore à son rang. Les parents d’Ilaria, Francesca et Giacomo, sont couturiers. Ils travaillent la soie. Parce qu’ils veulent que leur dernière fille – la sixième – bénéficie de la meilleure éducation qui soit, ils placent dès sa naissance la petite dans la plus prestigieuse institution religieuse de la ville. À la Piétà, bâtisse de pierre aussi grande qu’austère, non seulement Ilaria sera à l’abri des désordres du monde (la peste fait encore des ravages dans la ville) mais encore apprendra-t-elle la musique, puisque le lieu est réputé pour former les meilleures chanteuses et musiciennes célestes.

Au fil du temps, malgré l’implacable rigorisme imposé par l’intransigeante Prieure qui commande d’une main de fer l’établissement, Ilaria trouve ses marques puis sa place dans cette petite communauté qui vit à part. Surtout, dès qu’elle se trouve au contact de la musique, son cœur s’enflamme. « Ce qu’Ilaria préfère par-dessus tout, c’est écouter le chœur de filles chanter. Elle pourrait rester des heures dans un coin de la salle. Elle voudrait que son corps soit assez grand pour créer de tels sons. Les vibrations traversent son épiderme. »

Depuis ce jour, son destin est scellé. Ilaria ne veut vivre que pour et par la musique. Elle saura les notes avant même de connaître les lettres. Maria, chanteuse prodige de l’établissement, une grande de quinze ans, lui paraît plus grande qu’une déesse. « À la fin de chaque répétition, Ilaria va la voir et, de ses petits bras, enlace ses genoux. » Et la petite Ilaria, elle à peine âgée de six ans, de s’enflammer : « Prends-moi avec toi, prends-moi avec toi partout. Je veux devenir toi. »

Un beau jour, le maître de musique, un certain Antonio Vivaldi, apporte les violons. L’envie qu’Ilaria a de s’en saisir est irrépressible. Par miracle, un tirage au sort la désigne. Elle aura droit d’apprendre l’instrument. C’est une grande responsabilité, et peut-être trop d’honneur pour ses frêles épaules. Il faudra s’employer à l’apprentissage avec « dévotion et respect », lui martèle-t-on. Dans son for intérieur, Ilaria se dit : « dévotion et respect qui n’empêchent ni la tendresse ni la patience. » Cette petite a tout compris, la musique est autant question de technique que de sentiments. « Quatre cordes, et toute la musique sous ses doigts. »

Magnifique et délicat roman sur l’éveil à la musique, Le Grand Feu est aussi un grand roman d’amour. L’un ne peut aller sans l’autre, surtout dans le cœur de jeunes gens qui découvrent la vie.

Lors d’une des rares sorties qui lui est accordée, Ilaria fait la rencontre de Paolo. Elle n’a pas quinze ans, il en a à peine vingt. Le jeune homme tombe fou amoureux d’elle. Un regard, un ruban dérobé comme celui que Rousseau vole à Madame de Warrens dans les Confessions, et c’est tout le monde de l’amour qui se met à tourner autour d’un bout de tissu. Le vertige commence. L’étincelle devient feu.

Léonor de Récondo a été lauréate du prix du roman des étudiants France Culture – Télérama pour son roman Point cardinal en 2017. Violoniste baroque professionnelle, elle a débuté le violon à l’âge de cinq ans.

Pour Le Grand Feu, son dixième roman, Léonor de Récondo réussit le tour de force non pas de décrire mais de faire sentir le grand émoi que provoque la musique. L’écriture du roman parfois tenue, parfois haletante, retranscrit l’oscillation d’un cœur et d’un corps en quête de liberté. Ilaria s’éveille en même temps à la vie, à l’amour et au drame. « Que me restera-t-il si cette vibration profonde disparaît de mes jours ? Si cette existence tangible de mon corps s’éclipse ? Vivante, serai-je encore vivante ? », se demande la jeune prodige quand elle a fini de jouer. Comme si la musique était pour elle la vie menée à son plus haut point. Incandescent !

On aime que cette folle histoire d’une jeune femme éperdue de musique et d’amour renoue avec la veine d’un romantisme qui n’est pas de pacotille. Le romantisme c’est l’entrechoquement des sentiments et l’exaltation du chant de l’âme. Entre pudeur et ardeur, la passion naît. Le Grand Feu est une célébration et un très beau roman. Sensuel et profond. Sa vibration nous ramène à l’émoi d’une éternelle jeunesse en nous.

Le Grand Feu de Léonor de Récondo, Grasset, 2023, 234 p.

Au XVIIIe siècle, la Sérénissime a perdu de son faste mais elle tient encore à son rang. Les parents d’Ilaria, Francesca et Giacomo, sont couturiers. Ils travaillent la soie. Parce qu’ils veulent que leur dernière fille – la sixième – bénéficie de la meilleure éducation qui soit, ils placent dès sa naissance la petite dans la plus prestigieuse institution...

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