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Société - Reportage

À Mansouriyé, l’insoutenable attente des familles

Les opérations de secours se poursuivent à un rythme soutenu. Plusieurs heures après notre reportage, deux autres corps ont été extraits des décombres. 

À Mansouriyé, l’insoutenable attente des familles

Les équipes de la Défense civile et de la Croix-Rouge travaillent sans relâche pour trouver des survivants sous l’œil angoissé des proches de disparus. Photo Mohammad Yassine

Au lendemain de son effondrement, l’immeuble Edmond Yazbeck E dans le quartier Badran à Mansouriyé (Metn) offre un spectacle saisissant : trois étages fissurés mais tenant encore debout, penchés sur l’immeuble d’à côté, alors que les trois étages d’en dessous ainsi que le parking sont totalement affaissés. Un bâtiment modeste en béton et pierres blanches, comme il y en a tant au Liban, qui a entraîné plusieurs de ses habitants dans sa chute. Dans cette scène d’horreur indicible, des objets, habits, appareils électroménagers… viennent rappeler qu’il y a 24 heures à peine, cet immeuble résidentiel était un lieu de vie.

Tout autour se déroule le drame humain des familles qui vivent l’attente seconde par seconde, les yeux rivés sur les secouristes qui font un travail de fourmi, étant donné le danger de l’opération. Certains de ces proches n’ont pas quitté les lieux depuis l’effondrement, lundi à 13h30. Contrairement à l’effervescence de la veille, qui avait attiré sur le lieu du drame nombre de badauds, l’atmosphère est d’un calme angoissant. Des neuf personnes qu’on pensait bloquées dans les décombres, une a été retrouvée saine et sauve à Achrafieh ; une autre, blessée, a été extraite des décombres dès les premières heures par la Défense civile et la Croix-Rouge libanaise (CRL) ; et trois corps en ont été retirés entre la nuit de lundi à mardi. Quatre autres personnes, toutes des femmes (des Libanaises et une ressortissante srilankaise), restent ainsi disparues. À mesure que le temps passe, leurs proches ont les yeux de plus en plus hagards et rougis, attirés comme un aimant par ce tas de pierres qui piège leurs bien-aimées.

Des amis des familles des disparues, venus en renfort, acceptent de confier quelques bribes sur ces dernières, en demandant cependant l’anonymat pour ne pas heurter leurs amies blessées. Une mère et sa fille figurent parmi les disparues : la jeune femme, C., s’est mariée il y a deux mois à peine. « Elle était tellement heureuse ! Elle attendait ses papiers pour pouvoir rejoindre son mari au Canada », raconte une amie, habitante de Mansouriyé elle-même. Dans la foule, beaucoup de ses camarades n’en croient toujours pas leurs yeux. Une troisième est enseignante dans un grand collège et mère de deux grands enfants : elle rentrait à peine du travail et devait se trouver vraisemblablement dans le parking au moment du drame. La quatrième, encore recherchée, est une mère de famille. 

Parmi les deux femmes retrouvées dans la nuit, l’une venait de la banlieue sud de Beyrouth et avait tout juste loué un appartement dans cet immeuble pour y déménager en cas de guerre avec Israël : elle nettoyait les lieux et a perdu la vie avec son employée de maison, dans un tour tragique du destin.

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Cette funeste journée du lundi a commencé par une secousse ressentie dans l’immeuble vers 10 heures, selon des témoignages de proches et de survivants. Des fissures ont été constatées dans un poteau du parking et les habitants s’apprêtaient à appeler un ingénieur qui a déjà effectué des travaux au niveau des fondations durant l’été. « Mais personne n’aurait pu savoir que l’effondrement était imminent et qu’il serait si rapide, en quelques secondes à peine », lance une résidente sortie indemne, tout comme sa fille, parce qu’elles se trouvaient dans un étage supérieur et qu’elles ont pu sortir par la fenêtre.

Un même parking inondé

Car si l’urgence suprême reste de retrouver d’éventuelles survivantes, le pourquoi d’un pareil drame brûle toutes les lèvres. Le témoignage d’un habitant de l’immeuble voisin offre plusieurs clés de réponse. « Je me trouvais dans mon dépôt au niveau du parking, qui est commun aux cinq immeubles, dont celui qui est tombé, raconte Jamil Eid. Après les pluies diluviennes de cette nuit-là, le sous-sol était recouvert de plusieurs centimètres d’eau. J’ai soudain ressenti une secousse et entendu un bruit sourd. Je me suis précipité chez moi au premier étage et j’ai sorti ma femme de l’appartement juste à temps. Les débris de l’immeuble effondré jonchent toute ma maison, particulièrement la chambre à coucher. S’il y avait eu quelqu’un, il n’en aurait pas réchappé. »

Les secouristes ont creusé des tunnels dans les décombres pour tenter d’arriver jusqu'aux personnes ensevelies. Photo Mohammad Yassine

Même dans cet immeuble D, comme tous ceux du pâté de maisons d’ailleurs (tous évacués depuis lundi), qui date des années 1980, les fondations ont été consolidées cet été. « Les constructions ont été fragilisées par l’explosion de Beyrouth et les séismes de février (dont l’épicentre était en Turquie, NDLR) », affirme Jamil Eid. L’habitante de Mansouriyé citée plus haut fustige « les constructions de piètre qualité et les sols trop humides qui fragilisent les fondations ». L’ingénieur Rached Sarkis, mandaté par le mohafez du Mont-Liban pour suivre l’affaire et qui a déjà inspecté les lieux après le drame, confirme le rôle de l’eau, « véritable ennemi du béton déjà usé ».

Se raccrocher à l’espoir

Au-delà du choc de l’effondrement meurtrier, la question du partage des responsabilités devrait être imminente. Déjà lundi soir, une habitante de l’immeuble qui n’était pas présente au moment du drame, Nada Baroud, assurait à L’Orient-Le Jour que la municipalité n’avait lancé aucun avertissement aux résidents et que ceux-ci avaient effectivement fait des travaux au niveau des fondations en été. Ce qui est démenti par la municipalité.

« Il y a quelques mois, quand des fissures ont été constatées dans les poteaux du parking, nous avons mandaté un expert géologue qui a écrit un rapport et recommandé l’évacuation des habitants ainsi que des travaux de consolidation », assure Camille el-Hage, membre du conseil municipal. Les résidents ont préféré confier les travaux à un bureau de leur choix, « et il aurait été délicat de les obliger à travailler avec l’expert que nous leur avons désigné ». Toujours est-il que l’immeuble n’a pas été évacué et que l’impensable est arrivé.

En attendant, les recherches de la Défense civile et de la CRL se poursuivent sur le site, alors que la météo prévoit de la pluie mercredi. Les secouristes creusent des tunnels pour tenter d’arriver aux moindres recoins, évitant d’utiliser un matériel lourd pour ne pas déstabiliser l’édifice encore plus et retirant les décombres à la main, pierre après pierre. « Les travaux sont particulièrement difficiles parce qu’on n’est pas à l’abri d’un effondrement supplémentaire et qu’il faut préserver la sécurité de nos secouristes », déclare le général Raymond Khattar, directeur général de la Défense civile, présent sur place en permanence. Il assure cependant que les recherches se poursuivront tant qu’il y aura un espoir de retrouver des survivants. Un espoir auquel s’accrochent désormais les familles des disparues.

Ce drame, qui d’ordinaire aurait fait la une, est éclipsé par les derniers développements au Sud-Liban. « On est effondrés par ce qu’il nous est arrivé, mais si ça se trouve, on va tous finir ensevelis sous les bombes israéliennes », lâche une voisine…


Cet article a été modifié le 18 octobre 2023 à 17h44. La version précédente faisait état d'une ressortissante éthiopienne encore sous les décombres. 

Au lendemain de son effondrement, l’immeuble Edmond Yazbeck E dans le quartier Badran à Mansouriyé (Metn) offre un spectacle saisissant : trois étages fissurés mais tenant encore debout, penchés sur l’immeuble d’à côté, alors que les trois étages d’en dessous ainsi que le parking sont totalement affaissés. Un bâtiment modeste en béton et pierres blanches, comme il y...

commentaires (2)

Encore un drame de l’irresponsabilité, de la corruption et de l’incompétence au Liban: et ceci remonte même aux temps de la guerre civile et j’y étais: beaucoup de personnes essayaient de s’installer dans les banlieues…Et là, on avait assisté à l’émergence de contracteurs véreux et sans aucune expérience qui se sont mis à construire d’innombrables unités à la va-vite sans avis d’ingénieurs qualifiés et qui, surtout coupaient beaucoup dans les coûts de ciment et d’acier nécessaires selon les normes de sécurité pour un maximum de gains: je voulais moi-même acheter une unité dans un immeuble à Mteileb en 1986, mais après inspection avec des amis ingénieurs en ce temps-là, ils n’en revenaient pas comment on délivrait des permis de construire à ces gens-là qui construisaient dangereusement et en dépit du bon sens: des centaines d’unités pareilles existent et c’est après plus de 40 ans que cette sorte de catastrophe a lieu!

Saliba Nouhad

15 h 12, le 18 octobre 2023

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Commentaires (2)

  • Encore un drame de l’irresponsabilité, de la corruption et de l’incompétence au Liban: et ceci remonte même aux temps de la guerre civile et j’y étais: beaucoup de personnes essayaient de s’installer dans les banlieues…Et là, on avait assisté à l’émergence de contracteurs véreux et sans aucune expérience qui se sont mis à construire d’innombrables unités à la va-vite sans avis d’ingénieurs qualifiés et qui, surtout coupaient beaucoup dans les coûts de ciment et d’acier nécessaires selon les normes de sécurité pour un maximum de gains: je voulais moi-même acheter une unité dans un immeuble à Mteileb en 1986, mais après inspection avec des amis ingénieurs en ce temps-là, ils n’en revenaient pas comment on délivrait des permis de construire à ces gens-là qui construisaient dangereusement et en dépit du bon sens: des centaines d’unités pareilles existent et c’est après plus de 40 ans que cette sorte de catastrophe a lieu!

    Saliba Nouhad

    15 h 12, le 18 octobre 2023

  • Tant qu’on n’a pas de président et que « tout le monde s’en fout », ce genre de drame va se multiplier.

    Citoyen libanais

    08 h 00, le 18 octobre 2023

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