Critiques littéraires

Pionnières et libres : les féministes arabes

Pionnières et libres : les féministes arabes

D.R.

En Occident aussi bien que dans le monde arabe, on semble avoir oublié que les sociétés arabes et musulmanes ont, dès la seconde moitié du XIXe siècle, vu émerger des mouvements féministes et des figures féminines avant-gardistes. C’est pour réparer cet oubli que René Otayek propose un ensemble de portraits de femmes engagées dans la lutte pour leurs libertés, à qui il veut rendre hommage appuyé pour leur clairvoyance, leur constance et leur courage.

Vue d’Occident, souligne Otayek, l’image de la femme dans le monde arabe et musulman reste en effet prisonnière d’un ensemble de préjugés et de stéréotypes tenaces, mais la situation n’est guère meilleure dans les pays arabes et musulmans. « Le déclin des idéologies séculières y a laissé le champ libre à l’islamisme et à la diffusion de modèles religieux rigoristes, d’inspiration sunnite ou chiite, porteurs de conservatisme social. » L’émergence des pionnières du féminisme levantin à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, rappelle l’auteur, s’inscrit dans la dynamique modernisatrice culturelle, sociale et politique de la Nahda. En effet, l’accès des filles à l’éducation s’élargit, une presse féminine se développe à toute vitesse aux quatre coins du Levant, portée par des femmes d’exception telles que Marie Ajami, Houda Chaaraoui, May Ziadé, Labiba Hachem, Najla Abillama ou Rose al-Youssef, et les plus audacieuses parmi ces féministes ouvrent des salons littéraires, à Beyrouth, Le Caire, Alexandrie, Alep ou Damas.

L’inscription de la question féminine dans le débat public s’accélère au début du XXe siècle et singulièrement après la Première guerre mondiale. Sans cesser d’être féministe, le combat devient également nationaliste et anticolonial et s’inscrit de plus en plus dans une dynamique panarabe. La tragédie palestinienne donnera à la question nationale une acuité supplémentaire.

Mais par ailleurs, le féminisme arabe prend, dès 1923, une dimension universelle avec la participation de plusieurs féministes égyptiennes, dont Houda Chaaraoui, au Congrès féministe international de Rome. Par la suite, cette inscription des luttes dans la dynamique des organisations internationales ira en s’amplifiant.

Une fois posées les grandes lignes du contexte historique des féminismes arabes, Otayek propose quatorze biographies de pionnières et de femmes engagées. On y retrouvera certes des figures connues, telles que Houda Chaaraoui, Nawal al-Saadaoui ou Laure Moghaizel. Mais le mérite de l’ouvrage est de nous faire découvrir quelques inconnues telles l’énigmatique Zaynab Fawwaz, issue d’une modeste famille paysanne du Sud-Liban qui, après trois mariages, militera pour l’éducation des femmes et publiera des écrits marquants  ; l’Égyptienne Nabawiyya Musa à qui on reproche de se rendre coupable de blasphème parce qu’elle lit le Coran en solitaire et qui fera « l’éloge de la laideur »  ; ou l’alépine Maryana Marrach qui publie un recueil de poésie en 1893 alors qu’à cette époque, on croit dur comme fer que les femmes sont incapables de penser.

Georgia Makhlouf

Féministes arabes du Levant. Portraits de femmes libres de René Otayek, L’Orient des Livres / Éditions Non-Lieu, 2023, 224p.

René Otayek au festival :

Féministes arabes du Levant, rencontre avec René Otayek, Nada Moghaizel Nasr et Georgia Makhlouf (modératrice), dimanche 8 octobre, à 12h15, ESA, Grande Scène du festival.

En Occident aussi bien que dans le monde arabe, on semble avoir oublié que les sociétés arabes et musulmanes ont, dès la seconde moitié du XIXe siècle, vu émerger des mouvements féministes et des figures féminines avant-gardistes. C’est pour réparer cet oubli que René Otayek propose un ensemble de portraits de femmes engagées dans la lutte pour leurs libertés, à qui il...

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