
Dalal Mawad. (Photo : Tarek Moukaddem)
« Le parti d'extrême-droite des Forces libanaises, opposé au Hezbollah, et qui serait désormais financé par l'Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, a également acquis un pouvoir considérable ». Cette phrase à la page 128 de son livre « All She Lost » qui raconte l'histoire d'un Liban et de femmes en souffrance, après les explosions du 4 août 2020 au port de Beyrouth a suffi pour que les autorités émiraties censurent l'ouvrage de la journaliste Dalal Mawad.
Le livre de Dalal Mawad, qui se veut un travail de mémoire essentiel, est sorti en librairies le 3 août 2023, à la veille de la troisième commémoration des explosions qui ont fait plus de 200 morts et 7.000 blessés. « J'ai été surprise d'apprendre la raison derrière la censure. Seule une ligne les a poussés à censurer l'intégralité du livre, affirme Dalal Mawad à L'Orient-Le Jour. Nous savions qu'il y a un comité de censure aux Emirats et cela faisait plus d'un mois que nous attendions que le livre soit approuvé. Cela prend du temps surtout quand il s'agit de livres politiques et sachant que le mien est un essai politique ». C'est finalement son éditeur, Bloomsbury, qui lui a communiqué la décision des autorités émiraties.
Dans cette phrase qui dérange les autorités émiraties, concernant leur éventuel financement des Forces libanaises, Dalal Mawad utilise le mot « reportedly » (apparemment, d'après ce qui est rapporté). « Cette phrase s'appuie sur des sources que les journalistes ont le droit d'utiliser, en particulier dans une partie du monde où le financement politique n'est malheureusement pas transparent », note-t-elle. « Il est un peu ridicule qu'ils aient interdit tout un livre à cause d'une simple ligne, dénonce l'auteure. Si un pays estime qu'une déclaration le concernant est inexacte, il peut publier une déclaration ou une correction, accompagnée de preuves pour étayer sa position. Il n'a pas besoin d'interdire un livre entier. »
Un long chemin à parcourir
« Je regrette profondément cette censure », confie-t-elle. Pour elle, «All she lost » est un « mémoire collectif ». « C'est un livre qui documente l'effondrement du Liban, la détresse du peuple libanais face à l'explosion, ajoute-t-elle. C'est une histoire racontée par des femmes, ce qui est essentiel dans notre partie du monde ». « Aux Emirats, il y a une diaspora libanaise très importante qui aurait pu bénéficier de la lecture de ce livre qui met vraiment en lumière la situation difficile des Libanais et qui constitue un cri d'alarme contre l'establishment politique qui a conduit à l'effondrement du Liban », affirme Dalal Mawad.
Aujourd'hui la censure de son oeuvre « reflète véritablement l'état de la liberté d'expression dans le monde arabe au moment où les Émirats arabes unis affirment qu'ils s'ouvrent au monde, qu'ils jouent un rôle de médiateur, et se placent sur un piédestal très progressiste sur le plan économique, technologique et même en ce qui concerne les droits des femmes ». « La liberté de la presse, et les libertés en général, ont encore un long chemin à parcourir dans le monde arabe, dit l'auteure. Nous ne pouvons pas prétendre évoluer économiquement, adopter des réformes libérales, nous ouvrir au monde tout en restreignant la liberté d'expression ».
Selon l'auteure, son éditeur a décidé de ne pas contester la décision des Émirats. « Le droit d'appel n'existe pas vraiment. Ils ne vont pas revenir sur leur décision », affirme-t-elle.
Diplômée de la London School of Economics et de l’Université de Columbia, Dalal Mawad est une journaliste indépendante qui a reçu le Prix de la Fondation Samir Kassir en 2020 et le Prix Joan Konner pour ses nombreux reportages remarquables à la radio et la télévision. Elle a travaillé pour les Nations unies, puis avec l’agence Associated Press. Elle collabore actuellement avec CNN à Paris tout en assurant des enseignements de vidéo-journalisme à Sciences Po. Elle s’intéresse tout particulièrement aux thématiques des droits de l’homme, aux problèmes des réfugiés et aux questions environnementales.
commentaires (6)
Pour ceux qui se font des illusions : Les Emirats Arabes Unis NE SONT PAS une democratie. Comme toutes les dictatures, on y censure ce qui derange les gouvernants. Que ce soit vrai ou faux n'entre pas en ligne de compte.
Michel Trad
15 h 20, le 29 septembre 2023