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Culture - Les succès de la rentrée littéraire

Neige Sinno : après l’inceste, écrire plutôt qu’aller mieux

Devenue à son tour symbole de la reconstruction après l’inceste, Neige Sinno, en lice pour le Goncourt, a préféré écrire plutôt que de se battre pour aller bien.

Neige Sinno : après l’inceste, écrire plutôt qu’aller mieux

Neige Sinno, auteure de « Triste Tigre ». Joël Saget/AFP

« Je ne veux pas aller bien », lance-t-elle, interrogée en marge du festival Correspondances de Manosque. Et de corriger : « Je ne veux pas faire tout ce qu’il faut faire pour aller bien. Ce n’est pas que je veux aller mal, bien sûr. »

Elle a publié en août Triste Tigre (éditions POL), récit qui marque les esprits.

Le sujet rebute. Neige Sinno a été victime de viols répétés de la part de son beau-père, à partir d’un âge qu’elle a du mal à déterminer, aux environs de six ou sept ans, jusqu’à ses 14 ans. Elle a porté plainte. Son violeur a été condamné à neuf ans de prison.

Mais la force et l’originalité du livre l’ont propulsé parmi les sélections de tous les grands prix littéraires d’automne, y compris le plus prestigieux, le Goncourt.

« Ce qui me faisait mal » 

Ce n’était pas le but. La littérature, Neige Sinno, 46 ans, l’avait beaucoup étudiée, et pratiquée un peu : un recueil de nouvelles, un roman. Elle était inconnue à Paris, émigrée au Mexique, quand elle s’est mise à ce qui deviendrait Triste Tigre, en gestation depuis des décennies, accouché dans une sorte de frénésie créative en l’espace d’un an et demi.

« Je raconte mon viol. Mes viols. Et mon enfance, et tout, mais si je ne faisais que ça, ce serait impossible de le publier et d’assumer que des gens le lisent », détaille-t-elle.

Ce « récit confession », comme l’appelle son éditeur, se double d’un essai autobiographique et de réflexions poussées, de questionnements, sur l’origine des violences sexuelles intrafamiliales, le devenir de leurs victimes ou encore des thèmes aussi variés que la motivation des criminels, les reconfigurations de la mémoire après un trauma, l’inceste en littérature, les rapports de pouvoir entre enfant et adulte, etc.

À une époque où le milieu de l’édition débat ardemment d’autocensure, et de l’opportunité de heurter ou non la sensibilité du lecteur, Neige Sinno mise sur son intelligence. Tant pis si, pour certains d’entre eux, convoquer l’histoire des génocides, en tant que mal et trauma absolus, paraîtra déplacé.

« J’ai enlevé beaucoup de choses. Tout ce qui me faisait honte. Tout ce qui me faisait mal, tout ce dont je sentais que ça allait faire trop de mal aux autres », précise l’auteure.

Attirer les confidences

En promotion en France, l’auteure, mère d’une fille de 11 ans, vit avec un détachement presque joyeux l’intérêt subit des médias et du monde des lettres. « J’observe. C’est tout nouveau pour moi. »

Puisqu’elle anticipait un peu ce que lui ferait la société du spectacle, elle écrit : « J’ai peur que la seule chose qui m’arrive avec ce livre soit d’être invitée à des émissions de radio sur l’inceste, où l’on me demandera de résumer dans un langage encore plus simple que celui du livre ce qui y est dit. »

« Je suis fière de mon bouquin. Mais je n’ai pas envie de me coincer moi-même », précise-t-elle quand on l’interroge sur les prix littéraires. Un prix comme ceux-là... je n’ai pas envie de rester connue pour ça. »

Lors de ce festival à Manosque, la ville de Jean Giono, au pied d’un massif des Alpes où Neige Sinno elle-même est née, le public, très majoritairement féminin, est venu l’écouter dans le recueillement. Puis elle a attiré beaucoup de confidences.

« Je suis très, très touchée de tous ces gens qui viennent me parler. La moitié sont des proches de victimes, d’anciennes victimes, des victimes, des gens qui ont envie de parler, qui n’en ont pas la possibilité, raconte-t-elle. J’en ferai quelque chose. J’en ai envie. »

« Je ne veux pas aller bien », lance-t-elle, interrogée en marge du festival Correspondances de Manosque. Et de corriger : « Je ne veux pas faire tout ce qu’il faut faire pour aller bien. Ce n’est pas que je veux aller mal, bien sûr. »Elle a publié en août Triste Tigre (éditions POL), récit qui marque les esprits.Le sujet rebute. Neige Sinno a été victime de viols répétés de la...

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