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Moyen-Orient - éclairage

Le mirage des investissements saoudiens dans la tech en Chine

Les montants sont incomparables à ceux injectés dans la Silicon Valley, dont l’Arabie saoudite reste largement dépendante pour son développement numérique.

Le mirage des investissements saoudiens dans la tech en Chine

Le prince héritier saoudien Mohammad ben Salmane accueille le président chinois Xi Jinping lors d'une cérémonie dans la capitale Riyad, le 8 décembre 2022. Photo AFP

Dans la grande stratégie de modernisation de son royaume, Mohammad ben Salmane a un projet qui lui tient particulièrement à cœur : faire de l’Arabie saoudite le hub technologique du Moyen-Orient. Cela inclut pêle-mêle la couverture de la 5G sur tout le territoire et le développement tous azimuts de l’intelligence artificielle dans les mégalopoles futuristes, du cloud computing (stockage des données) dans Oracle, une région de Neom dédiée à cette activité, et pourquoi pas d’une industrie de semi-conducteurs, ces micropuces présentes dans tous nos appareils électroniques, capables de déstabiliser le commerce mondial en cas de pénurie.

Depuis le rapprochement affiché avec la Chine, et la visite historique du président Xi Jinping à Riyad en décembre dernier, les annonces de coopération et les signatures d'accords à plusieurs dizaines de milliards de dollars se sont multipliées. Le chef de la Bourse de Hong Kong a même prédit que les grands fonds souverains du Golfe pourraient allouer entre 1 000 et 2 000 milliards de dollars de leurs investissements à la Chine d'ici à 2030, selon le Wall Street Journal. Des fonds qui seraient en partie alloués au secteur de la tech, sans qu’aucun montant ne soit précisé pour autant. Pour l’heure, un accord de 5,6 milliards de dollars entre le ministère saoudien de l’Investissement et Human Horizons, une société chinoise de voitures électriques, a récemment été signé dans le but de développer la fabrication de ces véhicules dans le royaume. « Les Chinois ont fait un effort important pour se positionner comme l'un des gros leaders mondiaux en termes d'innovation et de tech. En ce qui concerne les technologies innovantes, comme l’intelligence artificielle (IA), l’Arabie saoudite n’a pas intérêt à aller les chercher que dans un seul pays ou une seule compagnie », souligne Camille Lons, chercheuse à l’International Institute for Strategic Studies, en référence à la diversification des partenariats lancée par le prince héritier dans le cadre de sa Vision 2030 et de sa politique du « Saudi First ».

Normaliser la surveillance

L’année dernière, la Saudi Company for Artificial Intelligence a ainsi annoncé un investissement de 776 millions de dollars dans une joint-venture avec SenseTime, une entreprise chinoise d’IA. Selon le média Business Insider, les nouvelles villes intelligentes saoudiennes pourraient en effet avoir recours aux hautes technologies chinoises de surveillance, comme la reconnaissance faciale liée aux informations biométriques, que la Chine vise à « normaliser » dans le monde. Or Pékin est beaucoup moins regardante sur l’utilisation des données que les États-Unis ou les pays de l’Union européenne, et pourrait ainsi fournir des technologies aux conditions plus souples à l’Arabie, régulièrement épinglée pour des arrestations d’utilisateurs des réseaux sociaux critiques du pouvoir.

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Malgré cette convergence d’intérêts, l’avantage revient ici aux États-Unis, alors que les pays du Golfe tentent de développer leurs propres laboratoires d’IA. « Quand on regarde les partenariats, on trouve énormément de labos de recherche américains, note Camille Lons. Il y a aussi des universités chinoises, mais c'est de l’ordre d’une pour cinq universités américaines ou plus. » Malgré les annonces choc sur la coopération saoudo-chinoise et toute l’encre qu’elle a fait couler, une réalité demeure : les investissements du royaume dans la technologie en Chine sont incomparables aux sommes injectées dans la Silicon Valley.

Logiciel malveillant

Entre 2016 et 2018, avant l’assassinat du journaliste saoudien Jamal Khashoggi dans le consulat de son pays à Istanbul, MBS a investi au moins 11 milliards de dollars d’argent saoudien dans les start-up tech outre-Atlantique. À la même époque, Uber a reçu 3,5 milliards de dollars du PIF (Fonds d’investissement saoudien), qui a également injecté 1 milliard dans Lucid, le concurrent de Tesla. SoftBank Fund (un conglomérat japonais détenu à près de 50 % par le PIF) a en outre consacré 4,4 milliards de dollars à WeWork, 680 millions à DoorDash et 250 millions à Slack lors d’un cycle de financement alors que les trois sociétés se trouvaient dans une situation critique. « La Silicon Valley reste l’écosystème le plus innovant au monde », souligne Camille Lons.

Outre cet intérêt pragmatique, les liens de Riyad avec le secteur américain de la tech sont d’autant plus importants que les États-Unis pourraient sanctionner un rapprochement trop étroit avec la Chine. Les Émirats arabes unis, connectés à la 5G de Huawei, en ont d’ailleurs fait les frais : Washington a refusé en partie pour cette raison de leur vendre des avions F-35, chasseurs furtifs de dernière génération qu’Abou Dhabi essaie d’obtenir depuis des années. Le déploiement du réseau par l’entreprise de Shenzhen est considéré par les Américains comme un risque sécuritaire envers deux de leurs bases militaires majeures dans la région, celle du Centcom au Qatar et de la Ve flotte à Bahreïn. La question de l’utilisation de la technologie chinoise par des alliés de Washington est d’autant plus sensible que l'administration Biden recherche actuellement un logiciel malveillant que la Chine est soupçonnée d’avoir caché dans les connexions électriques, les systèmes de communication et l'approvisionnement en eau de bases militaires américaines, vient de révéler le New York Times.

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Paradoxalement, Washington n’a cependant toujours pas énoncé clairement de lignes rouges quant à la coopération technologique entre le Golfe et la Chine. Ainsi, Riyad et Abou Dhabi vont jusqu’à collaborer avec des entreprises d’AI chinoises sous sanctions, comme SenseTime et 4Paradigm, sans réaction nette côté américain. « Nous ne sommes pas sur le même type de sanctions que celles envers la Russie, explique Robert Mogielnicki, chercheur au Arab Gulf State Institute de Washington. Beaucoup d'acteurs commerciaux comprennent qu'il existe une hiérarchisation des sanctions selon les priorités politiques du moment. Celles contre l’Iran sont quelque peu assouplies dans le cadre des négociations actuelles (autour du nucléaire). Dans une certaine mesure, nous voyons la même chose avec la Chine. » De quoi laisser une certaine marge de manœuvre aux pétromonarchies.

Dans la grande stratégie de modernisation de son royaume, Mohammad ben Salmane a un projet qui lui tient particulièrement à cœur : faire de l’Arabie saoudite le hub technologique du Moyen-Orient. Cela inclut pêle-mêle la couverture de la 5G sur tout le territoire et le développement tous azimuts de l’intelligence artificielle dans les mégalopoles futuristes, du cloud...

commentaires (2)

Se diversifier c’est bien mais trop risqué de donner le tournis. Attendit on de pêcher par excès c’est mauvais pour tout le monde.

Sissi zayyat

20 h 27, le 31 juillet 2023

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Commentaires (2)

  • Se diversifier c’est bien mais trop risqué de donner le tournis. Attendit on de pêcher par excès c’est mauvais pour tout le monde.

    Sissi zayyat

    20 h 27, le 31 juillet 2023

  • Toujours relire Abdul Rahman Mounif...

    IBN KHALDOUN

    14 h 15, le 31 juillet 2023

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