Cette fois, ce fut la pression de trop. Le patriarche chaldéen Louis Raphaël Sako, influent cardinal et architecte du voyage du pape François en Irak en 2021, a annoncé qu’il quittait le patriarcat de Bagdad pour s’installer dans un monastère au Kurdistan autonome, le 15 juillet. La raison ? La révocation du décret de reconnaissance légale, qui lui conférait une immunité religieuse et l’administration des biens de l’Église. Ce statut agissait comme une garantie de sécurité dans un pays dominé par les milices pro-iraniennes, qui continuent de semer la violence après des décennies de conflit. Le président de la République, Abdel Latif Rachid, a révoqué le décret le 3 juillet, sous prétexte qu’il n’était pas conforme à la Constitution. Il avait été émis en 2013 par l’ancien chef de l’État Jalal Talabani.
Le patriarche chaldéen y a surtout vu la main de la Brigade de Babylone, une organisation militaire pro-iranienne qu’il a accusée d’avoir orchestré une campagne « intentionnelle et offensive » contre lui, après la décision du président, dénonçant un « jeu immonde ». Avec l’enjeu du leadership chrétien en toile de fond, le chef de la brigade, Rayan al-Kildani, et le cardinal Sako se livrent depuis longtemps une guerre des mots. Le leader militaire a maintes fois accusé le religieux, critique notoire des milices en Irak, de s’immiscer dans la politique et de prendre des positions pro-américaines, appelant au retrait de ses habits d’Église. De son côté, Louis Raphaël Sako condamne Rayan al-Kildani comme un chef de milice qui ne représente pas les intérêts des chrétiens, dissociant publiquement l’Église du groupe. La révocation du décret a été prononcée après une réunion entre ce dernier et le président irakien, selon le média kurde Rudaw
L’accusation du patriarche Sako intervient alors que la Brigade de Babylone tente de régner par la force sur les chrétiens d’Irak. Tout d’abord, en se présentant comme une milice de cette communauté, fondée par le chaldéen Rayan al-Kildani, dont le frère Osama dirige les opérations militaires. Mais en réalité, elle fait partie des Unités de mobilisation populaire (Al Hachd ach-Chaabi), une coalition d’une soixantaine de milices armées et financées par l’Iran, formée en 2014 pour combattre l’État islamique et considérée comme une force publique légitime. La Brigade de Babylone compte quelque 300 ou 400 membres, en majorité chiites, selon Michael Knights, chercheur au Washington Institute. « D’après les estimations, on compte à peu près 20 chrétiens parmi les éléments armés, poursuit ce spécialiste des milices irakiennes, qui a tiré ce chiffre de ses entretiens. Les milices soutenues par l’Iran ont décidé de recruter des chefs de guerre de cette communauté et de les utiliser comme figure de proue pour prendre le contrôle d'une partie des plaines de Ninive. » Quelque 45 000 chrétiens vivent dans cette région du nord de l’Irak, sur une population estimée entre 300 000 et 500 000 de fidèles – soit environ 1% des Irakiens, selon l’Œuvre d’Orient.
« Une fausse organisation chrétienne »
Pour éliminer toute concurrence et renforcer son étiquette communautaire, la Brigade de Babylone cherche aussi à absorber les membres chrétiens d’autres groupes armés. Comme les Unités de protection de Ninive (UPN), une troupe de 500 hommes créée en 2015 pour défendre les assyriens et les chaldéens contre l'État islamique. À Hamdaniya, en 2021, l’UPN a été réorganisée contre son gré en sous-unité des Babyliyoun. « Ils essaient de passer d'une fausse organisation chrétienne à une unité qui compte beaucoup de membres de cette communauté pour forcer les fidèles à les rejoindre ou les soutenir, détaille Michael Knights. Mais la réalité est qu'ils seront toujours contrôlés par un cadre de coordination chiite à Bagdad et qu'ils auront toujours des liens étroits avec la Force al-Qods du Corps des gardiens de la Révolution islamique ». La milice a d’ailleurs été créée par la Brigade de l’Imam Ali, étroitement liée à l’Organisation Badr, un mouvement islamiste chiite irakien actif depuis la guerre Iran-Irak (1980-1988).
C’est d’ailleurs dans cette même plaine de Ninive, déjà éprouvée par le régime brutal de l’État islamique, que la Brigade de Babylone a commis la plupart de ses exactions après la libération de Mossoul. La milice a pillé les maisons, les églises et les monastères pour en revendre les biens dans le sud du pays, d’où sont originaires une majorité de ses combattants, rapporte encore Michael Knights. Elle a saisi des terres agricoles, extorqué les habitants, harcelé les femmes, comme le relève le Trésor américain, qui a placé son chef sous sanctions en 2019 pour de graves atteintes aux droits de l’homme. Rayan al-Kildani avait été filmé en train de couper l’oreille d’un détenu menotté. « La 50e brigade (des Unités de mobilisation populaire, la Brigade de Babylone) serait le principal obstacle au retour des personnes déplacées dans la plaine de Ninive », note le département américain. « C'est un effort pour garder les intérêts kurdes, turcs et occidentaux hors de cette région », complète Michael Knights.
Mainmise politique
Le Mouvement de Babylone, parti politique affilié au groupe armé, s’est aussi imposé par la force au Parlement irakien, écrasant toute concurrence autour des cinq sièges réservés aux chrétiens. Ils en occupent quatre depuis les élections de 2021, contre deux à celles de 2018. « La milice a pu contrôler les isoloirs lors de ces élections, ce qui explique ce résultat élevé », recadre cependant Michael Knights. « Ils peuvent aussi intimider les candidats alternatifs jusqu’à les faire renoncer, donc ils ont une capacité très importante à empêcher les concurrents d'émerger pour ces votes chrétiens », poursuit le chercheur.
Face à la Brigade de Babylone, qui accroît chaque jour sa mainmise sur la communauté chrétienne, le patriarche Sako apparaissait comme un dernier rempart. Il est l’une des rares personnes à encore exprimer publiquement son opposition aux milices en Irak. « Son départ signale que Bagdad n'est plus un endroit sûr, même pour un chrétien de haut rang, le plus haut responsable religieux chrétien d'Irak, souligne Michael Knights. En attaquant Sako, la Brigade de Babylone commence à attaquer le dernier point de résistance, qui est l'Église ». Selon le chercheur, les communautés sunnite et kurde se voient, elles aussi, de plus en plus contraintes par les ordres des milices. « Et Le gouvernement de Mohammad Chia al-Soudani, lui, ne fait rien pour leur tenir tête. »
commentaires (9)
Belle Ninive, j’espère que tes habitants naturels reprendront le pouvoir sans tomber dans le piège du prédateur iranien qui rôde depuis des siècles autour de Mossoul , longtemps défendue par de braves familles syriaques et Assyro-Chaldéennes établies depuis le début du christianisme sur cette terre. Les assyriens sont nombreux en Europe et USA , Que font-ils pour empêcher l’influence néfaste iranienne ?
Wow
12 h 07, le 21 juillet 2023