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Moyen-Orient - Focus

La responsabilité des journalistes pour promouvoir l’abolition de la peine capitale

L’espace médiatique est malheureusement donné à ceux qui sont pour la condamnation à mort, exprimant ainsi une culture majoritaire parmi la population.

La responsabilité des journalistes pour promouvoir l’abolition de la peine capitale

Un dessin dénonçant la peine de mort affiché au cours de la conférence de Amman sur l’abolition de la peine capitale organisée par l’ECPM, les 11 et 12 juillet. Photo Antoine Ajoury

Le scénario se répète inlassablement : un crime crapuleux a lieu, les réactions populaires relayées par les médias appellent à l’application de la peine capitale contre l’agresseur, la voix pacifiste des abolitionnistes reste imperceptible.

Au Moyen-Orient, la condamnation à mort a le vent en poupe. En juin 2022, la mort d’une étudiante poignardée à plusieurs reprises devant son université à Mansoura près du Caire par un jeune homme parce qu’elle aurait refusé ses avances a provoqué une colère généralisée sur les réseaux sociaux en Égypte et au-delà. Son meurtrier a été exécuté un an plus tard – en juin 2023 –, une rapidité justifiée par les autorités pour « dissuader le plus grand nombre ».

En avril 2022, le quadruple féminicide dans la localité d’Ansar, au Liban-Sud, a secoué l’opinion publique et ravivé le débat sur la peine capitale, les proches des victimes réclamant la condamnation à mort des criminels.

Dans ce contexte violent, « l’espace médiatique est malheureusement donné à ceux qui sont pour la peine de mort, exprimant ainsi une culture majoritaire parmi la population », explique Asem Rababa, président du Adaleh Center for Human Rights Studies en Jordanie, au cours d’une conférence organisée à Amman les 11 et 12 juillet par l’organisation ECPM (Ensemble contre la peine de mort). « On entend ainsi les discours de colère et de haine appelant à l’application de la peine capitale comme une forme de vengeance, alors que les abolitionnistes n’ont pas de voix dans ces conditions », poursuit-il.

Couvertures des crimes crapuleux

En effet, le rôle des médias et des journalistes est capital dans la couverture du dossier relatif à l’abolition de la peine de mort. Parler de la peine capitale revient souvent dans les médias chaque fois qu’il y un crime crapuleux, quand il y a un assassinat ou des heurts relatifs au terrorisme. C’est aussi le cas souvent dans des cas de féminicide. Le débat ressort souvent entre les pro et les antipeine de mort dans ces contextes où l’émotion et la colère sont à leur comble.

Pour le journaliste et l’activiste iranien Kambiz Ghafouri, « un tel débat peut avoir lieu au Liban par exemple, où il y a une certaine liberté. Rappelons en outre que le pays du Cèdre est en situation de moratoire de fait depuis 19 ans – la dernière exécution capitale remonte à janvier 2004. Ce n’est pas le cas en Iran où les journalistes sont poursuivis et condamnés à mort pour leur couverture de la contestation populaire » qui a lieu à travers le pays depuis la mort suspecte de Mahsa Amini l’année dernière.

Dans d’autres pays du Moyen-Orient, qui tous appliquent la condamnation à mort, rares sont les journalistes qui osent critiquer les jugements relatifs à la peine capitale ou qui tentent d’argumenter sur l’inefficacité de cette dernière, au risque d’être accusés de défendre le criminel ou de ne pas avoir d’empathie pour les proches des victimes.

Sur le terrain, certains médias, notamment télévisés, comme dans les talk-shows, vont souvent dans la surenchère, soutenant haut et fort l’exécution des criminels. Autre problème majeur, les réseaux sociaux. Il y a un phénomène de plus en plus grave et récurrent : en se cachant derrière leur écran, les gens deviennent violents, et les inhibitions disparaissent. Les messages de haine deviennent plus visibles que les voix qui appellent à la retenue et à la justice, et surtout à l’abolition de la peine de mort.

Campagnes de sensibilisation

Les médias et les journalistes jouent par ailleurs un rôle important dans les campagnes de sensibilisation visant à abolir la peine de mort : célébration de la Journée internationale pour l’abolition de la peine de mort le 10 octobre, couverture des événements (ateliers ou autres) relatifs à cette cause, publication d’interviews ou de tribunes de personnalités politiques, juridiques ou de la société civile qui appuient l’abolition…

Pour Ogarit Younan, sociologue, initiatrice depuis 1979 de la Campagne nationale pour l’abolition de la peine de mort au Liban, « le rôle des ONG et des associations de défense des droits humains est important. C’est elles qui doivent fournir aux médias la matière nécessaire pour faire campagne contre la peine de mort. Les journalistes sont naturellement les alliés des militants abolitionnistes ». Mme Younan revient ainsi sur sa stratégie de coopération avec les médias, en leur fournissant les documents, les études et les statistiques relatifs au sujet. « Nous invitions souvent les journalistes pour couvrir nos activités dans les écoles, en prison, ou en visitant des proches des victimes mais aussi des inculpés pour leur montrer les conséquences humaines sur la vie des gens », explique-t-elle au cours d’un atelier consacré au rôle des journalistes et des réseaux sociaux pour promouvoir l’abolition de la peine capitale, à la conférence de Amman. « Enfin, nous organisons des ateliers et des séminaires à l’intention des journalistes pour leur expliquer les arguments pour combattre la peine de mort, sans pour autant les obliger à suivre notre démarche, sachant que chacun peut avoir son avis sur le sujet », ajoute-t-elle.

Pour l’avocat et militant libanais Rafic Zakharia, « les journalistes ont une responsabilité importante devant l’opinion publique. Ils ne doivent pas exciter les instincts de haine chez les gens, mais au contraire promouvoir un discours rationnel et pacifiste ». Dans ce contexte, une charte pour les journalistes et les médias pour ne pas mettre de l’huile sur le feu en temps de drame ou de crise est vivement conseillée.

Le scénario se répète inlassablement : un crime crapuleux a lieu, les réactions populaires relayées par les médias appellent à l’application de la peine capitale contre l’agresseur, la voix pacifiste des abolitionnistes reste imperceptible.Au Moyen-Orient, la condamnation à mort a le vent en poupe. En juin 2022, la mort d’une étudiante poignardée à plusieurs...

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