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Nos Lecteurs ont la Parole

Un projet national pour le Liban, l’approche difficile

Extrait d’une causerie donnée dans le cadre des rencontres de la Fondation Najjar « Culture et liberté ».

Le concept de patrie est conçu sur la base du vivre en commun entre ses différentes composantes, et il n’est pas de patrie définitive sans un projet national dans lequel se reconnaissent tous ses enfants.

Accéder à une patrie n’est pas un droit acquis pour les entités jeunes, i.e. nées à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, mais un droit à acquérir. Il n’y a guère de place pour un projet qui ne représente pas une valeur ajoutée civilisationnelle ou géopolitique.

Le projet national est la pierre angulaire qui régit le cadre du vivre et faire en commun.

La vie politique, perçue par chacun d’entre nous, peut schématiquement être divisée en deux parties, que je me permets d’appeler constitutive et constructive. La première touche donc à l’essence, tout ce qui fait de nous ce que nous sommes, un peu la résultante du passé : l’histoire, la langue, la religion, la famille, le village, la mythologie, etc., tout ce qui nous prend aux tripes et qui fait que nous sommes prêts à la défendre au prix de notre vie quand on la sent menacée, un peu en légitime défense.

La seconde concerne le présent et l’avenir, et représente ce que nous faisons de notre vie avec nos partenaires. C’est en clair la gestion des moyens de production et la distribution des richesses, et qui en termes simples est soumise à l’onction démocratique.

La volonté, au-delà du besoin, de vivre en commun est aussi vieille que la civilisation.

Mais, comment se constituent les nations et sur quelle base ?

Pour éviter les considérations trop théoriques, je vais prendre l’exemple abouti de la création des sociétés commerciales pour développer par analogie la formation des nations autour d’un projet national.

Dans le cas des sociétés commerciales, des personnes ou des groupes décident de se mettre en commun pour réaliser un projet déterminé et apportent chacun sa part pour constituer un capital. Une des notions les plus importantes, et non écrite mais pourtant éliminatoire, est ce qu’on appelle l’affectio societatis, i.e. la volonté de se retrouver et de faire en commun. L’objet social qui est la raison du faire en commun est très difficilement modifiable.

Par contre, la gestion de la société est prévue par les statut et est soumise au contrôle des actionnaires qui tiennent des assemblées périodiques et nomment, contrôlent et révoquent les organes de direction et le conseil d’administration.

La démarche est la même dans le cas national.

La constitution d’un pays est basée sur la volonté du vivre en commun, que j’appelle l’affectio nationalis, qui est déterminée par le projet national.

Le reste, évidemment, c’est la gouvernance, qui est soumise au contrôle démocratique à travers les élections, et qui peut amener à l’alternance.

Examinons le cas du Liban à la lumière de ce qui précède.

D’abord la géographie, en termes politiques, donc pas en termes strictement topographiques, nous avons une référence qui est celle du territoire sous l’émirat Fakhreddine. On parlera ainsi de frontières historiques ou naturelles, en respectant la partie essentielle et fondamentale. C’est ce qui a été retenu dans le texte du mémorandum présenté à la conférence de Versailles par la délégation nationale présidée par Mgr Hoayek.

Voilà donc le capital défini par analogie et les actionnaires identifiés. L’objet, quant à lui, doit intégrer la « partie constitutive » de ses actionnaires.

Pour cela, il faut recenser les dominantes dans leur histoire sur cette terre.

Trois éléments ressortent. D’abord, cette terre a été administrée pendant de longs siècles par les empires, musulman et byzantin. Deuxième réalité, sur cette terre se sont regroupés dans l’hinterland tous les refuzniks, les rebelles à ces empires, notamment les maronites, les chiites et les druzes. Enfin, ce territoire est un littoral. La mer a imposé tout au long de l’histoire une ouverture culturelle et commerciale marquantes ayant ancré le concept de liberté.

Le projet national doit se lire à partir de cette diversité.

À partir de ce qui précède, quelles possibilités pour un projet national ? Je n’ai recensé que quatre cas homogènes possibles que je ne détaillerai pas ici, me contentant de ne retenir que le seul réaliste et viable qui a servi de base au pacte national et aux accords de Taëf. Ce projet vise la citoyenneté absolue (al-mouwatana) dans le cadre de la fécondation des contraires, qui va au-delà de la fécondation des religions et englobe celles de la ville et de la campagne, la rencontre de populations peu nanties, centrées autour de leurs croyances et de leurs terres, et les fidèles des empires flamboyants ouverts sur le monde.

C’est ainsi une voie très difficile par « construction » et qui porte en ses gènes la graine de crises cycliques…

C’est le prix à payer pour espérer tirer la richesse de ces oppositions.

Je me contente de citer, en dépit des piètres gouvernances, tous les acquis culturels, scientifiques, sanitaires que ce modèle a permis, sans oublier, apport unique, que c’est le seul pays au monde où l’islam gouverne paritairement avec les chrétiens. Qu’on ne s’y méprenne pas, ce projet national n’implique pas du tout une gestion communautaire de partage du pouvoir. La gouvernance reste à actualiser…

Aucune cause ne surpasse l’entente nationale, garante de la sauvegarde de la nation et du vivre en commun.

Les crises qui ont pesé dans la vie de notre pays ont débuté dès 1943, et s’organisent entre l’appartenance à l’État et la relation avec Israël.

Quand une partie accuse l’autre d’un manque d’adhésion forte à l’État, l’autre reproche la tiédeur et le manque d’implication avec la cause arabe.

Les relations ont certes évolué et l’appartenance structurelle au monde arabe a été actée constitutionnellement et toutes les parties ont reconnu la pérennité de l’État libanais et adopté le slogan « le Liban d’abord ».

Mais le chemin n’a pas encore abouti.

En synthèse, il est clair que toutes les crises trouvent leur racine dans ces deux positions politiques.

Le conflit est entre le degré d’implication avec la cause palestinienne et la reconnaissance de l’appartenance exclusive à l’État libanais.

Il ne sert à rien de s’évertuer à imaginer des projets fondateurs alternatifs, des Constitutions ou autres aménagements. Il s’agit uniquement de se retrouver en sincérité et bonne foi autour d’une position commune qui sauvegarde l’unicité et la souveraineté de l’État en même temps que la détermination dans la défense réelle et efficace de notre territoire.

Aucun groupe ne peut éliminer l’autre et comme l’a répété un homme politique la solution réside dans le compromis et dans le terme compromis il y a concessions.

La tâche n’est pas impossible, à condition d’engager un dialogue honnête et sincère.

Ibrahim HANNA-EL-DAHER

Ancien ministre

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Extrait d’une causerie donnée dans le cadre des rencontres de la Fondation Najjar « Culture et liberté ». Le concept de patrie est conçu sur la base du vivre en commun entre ses différentes composantes, et il n’est pas de patrie définitive sans un projet national dans lequel se reconnaissent tous ses enfants.Accéder à une patrie n’est pas un droit acquis pour les entités jeunes, i.e. nées à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, mais un droit à acquérir. Il n’y a guère de place pour un projet qui ne représente pas une valeur ajoutée civilisationnelle ou géopolitique. Le projet national est la pierre angulaire qui régit le cadre du vivre et faire en commun.La vie politique, perçue par chacun d’entre nous, peut schématiquement être divisée en deux parties, que je me permets d’appeler...
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