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Lifestyle - Sahtein

Le taboulé : du fruit défendu au plat favori des Libanais

Cet article fait partie de « Sahtein », une série consacrée au patrimoine culinaire lancée dans « L’Orient Today ». 

Le taboulé : du fruit défendu au plat favori des Libanais

Un plat de taboulé et toutes les couleurs du Liban. Photo João Sousa

Du confort de la cuisine familiale à la « street-food », nous vous proposons cette promenade sensorielle à travers l’histoire culinaire riche et savoureuse du Liban. Dans l’édition d’aujourd’hui, nous nous penchons sur les origines du taboulé pour vous faire découvrir des choses inattendues. Alors, bon appétit, ou plutôt, « sahtein ! »

La nourriture nous raconte l’histoire de notre héritage préservé, grâce aux recettes que nous apprécions encore. Chaque jour, nous consommons, sans même savoir l’histoire, au sens figuré comme au sens propre. Les recettes sont vivantes, elles voyagent au gré du temps, conservent certains ingrédients, en perdent d’autres en cours de route. Mais surtout, la nourriture que nous consommons nous en dit beaucoup sur nous-mêmes. Elle nous décrit, parfois malgré nous, dans une sorte de « dis-moi ce que tu manges, je te dirai ce que tu crois ». Place aujourd’hui au taboulé. Parfumé, piquant et frais, le taboulé est un plat reconnu pour sa simplicité, qui reste la salade préférée des Libanais. Le chef Ramzi Choueiri, personnalité appréciée de la télévision, confiait à L’Orient Today que c’était sa salade préférée et qu’il détenait le record mondial du Guinness pour le plus grand plat de taboulé jamais réalisé. Selon lui, c’est celui qui représente le mieux la cuisine libanaise. Kareem Shuhaibar, connu sur Instagram sous le nom de «The voice note chef » et que L’Orient-Le Jour a interviewé la semaine dernière, partage également ce sentiment. « C’est un peu une obsession. Je suis un fanatique de taboulé, nous avoue-t-il, je pense que c’est la plus belle salade du monde et qu’elle est incroyablement saine ».

Le taboulé de Georgina, avec un supplément de citron. Photo João Sousa

Élément essentiel de la table libanaise, le mot taboulé est dérivé du mot arabe tabbil, qui signifie « assaisonner ». Il est assaisonné avec de l’huile d’olive, du sel et du citron. Certains y ajoutent du poivre, d’autres des épices comme la cannelle. Parfois, dans les montagnes libanaises, le husrom (jus de raisin acide) ou la mélasse de grenade remplacent le jus de citron. Certains ajoutent de la menthe, d’autres du concombre. « Quand je regarde le taboulé, j’y vois les couleurs du Liban. Il s’en dégage une certaine poésie qui ne se trouve pas dans la fattouche ou dans toute autre salade », affirme Shuhaibar. « Certaines recherches montrent que le persil contient des substances chimiques puissantes capables de réduire les toxines de fumée des incendies de forêt que nous avons inhalée dans le Nord-Est », s’exclame-t-il, en référence aux incendies de forêt qui ont ravagé le Canada et enveloppé la ville de New York, où il réside actuellement.

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Outre les subtiles variations locales d’un coin à l’autre du Liban, les ingrédients de base d’un taboulé classique sont les mêmes : du persil frais, des tomates, du burghol fin et, dans la plupart des cas, de l’oignon. Le meilleur des ingrédients frais et locaux. Le persil est une herbe endémique au Liban, disponible en abondance. Le burghol, dont l’existence remonte à l’époque romaine, est le produit d’une technique mise au point pour conserver le blé après la récolte annuelle. Il ajoute de la substance à la salade, qui était souvent consommée comme un repas à part entière. Les tomates, en revanche, sont une autre histoire.

Georgina servant son assiette de taboulé à Tawlet, Souk el-Tayeb. Photo João Sousa

« Tiz el-cheitan »

Sans doute serait-il surprenant d’apprendre que le taboulé était préparé sans tomates jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle. Cet ingrédient, qui est aujourd’hui un produit central de la recette, est originaire d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud. Sa diffusion dans le monde a commencé avec les conquistadors espagnols dans les années 1400. Au Levant, « les tomates sont arrivées avec les Britanniques qui les ont d’abord introduites à Alep au XIXe siècle », explique Tylor Brand, historien du Moyen-Orient au Trinity College de Dublin. « Lorsque les gens voyaient des tomates, ils n’y étaient pas habitués et en étaient effrayés. Pareil en Europe », ajoute M. Brand.

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Dans son livre From Arab Renaissance to Apostasy, l’écrivain syrien Georges Tarabishi explique que, lorsque les tomates sont arrivées dans la ville syrienne d’Alep à la fin du XIXe siècle, ses habitants ont refusé de les consommer ou de les cultiver, car leur couleur rouge était en contradiction avec l’idée qu’il s’agissait de légumes (khodra signifiant « verts » en arabe). « À Alep, les gens passaient devant les tomates et récitaient la chahada (serment islamique) pour se protéger », s’amuse Brand. Rondes et d’un rouge lascif, les tomates étaient autrefois considérées comme vénéneuses, voire, pour certains, comme un dangereux aphrodisiaque. C’est pourquoi les habitants les surnommaient « dos de satan » (tiz el-cheitan) et le mufti d’Alep en avait même interdit la consommation, écrit Tarabishi. Cette interdiction n’a toutefois pas duré longtemps. Les gens s’y sont rapidement habitués et les tomates de la région ont été appelées baladiya (locales). Le mot arabe levantin désignant les tomates, banadoura, qui vient de l’italien pomodoro, rappelle leur origine étrangère. Les tomates occupent aujourd’hui une place importante dans la cuisine levantine. La plupart des plats libanais contiennent des tomates sous une forme ou une autre, et l’on peut difficilement imaginer le taboulé sans elles.

Le mot taboulé est dérivé du mot arabe « tabbil », qui signifie « assaisonner ». Photo Kareem Shuhaibar

Souvenirs

Pour goûter au taboulé, nous nous sommes rendus au restaurant Tawlet, dans le quartier de Mar Mikhaël à Beyrouth. Chaque jour, un cuisinier d’une région différente du Liban y sert des recettes spéciales aux citadins avides d’une authentique cuisine familiale. Georgina Bayeh, de Zghorta, à Tawlet depuis le lancement de l’initiative en 2009, précise : « Un taboulé reste un taboulé. Tout le monde le prépare de la même manière mais il varie en fonction des goûts personnels. Moi, je l’aime très acide, alors j’ajoute du citron », dit-elle en remplissant une assiette. Outre le taboulé que nous connaissons et aimons tous, il existe des variantes locales et saisonnières du plat. « Il y a ce qu’on appelle le taboulet el-chetté “taboulé d’hiver” », explique Kamal Mouzawak, fondateur de Tawlet et de Souk el-Tayeb. « En hiver, à l’époque, nous n’avions pas de persil, alors, dans les montagnes, on le préparait d’une manière complètement différente, avec des lentilles germées et du burghol rugueux bouilli pour lui donner un peu de chaleur. » Finalement, tout dépend des habitudes de chacun. « Nous le mangeons avec du malfouf (choux) ou de la laitue romaine. En été, ma grand-mère cueillait des feuilles de vigne fraîches et en faisait des bouchées », se souvient Kareem Shuhaibar. « Chacun possède son propre taboulé auquel il ne faut pas toucher, parce que le toucher... le modifier, c’est modifier les souvenirs qui y sont rattachés ».

Cet article est paru en anglais dans L’Orient Today le 17 juin.

Du confort de la cuisine familiale à la « street-food », nous vous proposons cette promenade sensorielle à travers l’histoire culinaire riche et savoureuse du Liban. Dans l’édition d’aujourd’hui, nous nous penchons sur les origines du taboulé pour vous faire découvrir des choses inattendues. Alors, bon appétit, ou plutôt, « sahtein ! »La nourriture nous raconte...

commentaires (4)

J'en ai goutée dans plusieurs pays, la meilleure est au Liban.

Eddy

10 h 05, le 23 juin 2023

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Commentaires (4)

  • J'en ai goutée dans plusieurs pays, la meilleure est au Liban.

    Eddy

    10 h 05, le 23 juin 2023

  • perso, je l’aime très acide, alors j’ajoute du citron ou encore de la melasse de grenade, Debs remmen...

    Jack Gardner

    12 h 46, le 20 juin 2023

  • Dommage que les Libanais n'aient pas oeuvré à faire du nom" taboulé" une appellation contrôlée. C'est affreux de voir les immondes salades au couscous additionné de tout et n'importe quoi que les Occidentaux osent appeler "taboulé"!

    Politiquement incorrect(e)

    21 h 14, le 19 juin 2023

  • Merci pour cet article. Vive la bonne cuisine libanaise ! Intéressant aussi de lire de Georges Tarabichi qui aurait écrit dans son livre "De la renaissance au retour en arrière: Déchirements de la culture arabe à l'époque de la mondialisation, Dâr al-Sâqî, 2000" que les gens d'Alep résistaient à la tomate, ce qui me semble une réaction normale (et bonne réaction en plus). Pour prépare le taboulé traditionel, on peut donc faire sans tomate.

    Stes David

    21 h 10, le 19 juin 2023

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