« Les prix dans les restaurants sont plus chers que ceux de 2019 » ; « Non mais c’est abusé, je n’arrive même pas à réserver des places » ; « Et on dit que le Liban est un pays pas cher… » ; ou encore : « Je ne comprends pas comment les restaurants sont pleins à craquer. » Que des expressions que répètent les Libanais étonnés de la situation du secteur de la restauration.
En se basant sur les composantes de l’indicateur des prix à la consommation, calculé par l’Administration centrale des statistiques, il ressort qu’entre avril 2019 et avril 2023 les prix en livres libanaises dans les restaurants et les hôtels ont augmenté de près de 225 fois, alors que le taux de change entre la livre et le dollar n’a été multiplié que 65 fois. Concrètement, cela voudrait dire que les prix en dollars dans ces établissements ont plus que triplé en l’espace de quatre ans. Mais comment cela est-il possible dans un pays toujours en crise ?
Cette question, L’Orient-Le Jour l’a posée à trois experts :
Tony Ramy, président du syndicat des propriétaires de restaurants, boîtes de nuit et cafés au Liban
Les prix pratiqués dans les cafés et les restaurants représentent aujourd’hui entre 65 et 75 % de leur valeur d’avant-crise de 2019, tandis que les bars et boîtes de nuit affichent des tarifs équivalant à ceux de 2019, malgré l’augmentation des frais de fonctionnement et la hausse des frais des services publics (qui comprennent notamment le gaz, l’électricité, l’eau et le traitement d’eau). Ces charges sont ainsi passées de 8 % – ce qui est considéré comme un niveau normal – à 25 % ou même 30 % en basse saison, ce qui n’est évidemment pas durable.
En parallèle, la part du coût des marchandises vendues (cost of goods sold – COGS) a, elle aussi, augmenté sur fond d’inflation mondiale et d’augmentation des coûts d’énergie et de transport, qui ont par exemple fait majorer les prix de 50, voire 100 %, dans les restaurants des pays étrangers. À quoi s’ajoute aussi l’augmentation du dollar douanier (soit le taux de change pour calculer en livres le montant des droits de douane à prélever sur un produit en fonction de son prix hors taxe en dollars, NDLR), alors que le Liban reste un pays largement importateur. S’il se situait entre 25 et 30 %, ce ratio se situe désormais entre 35 et 37 %.
En se basant sur toutes ces données et en tenant compte de l’endroit où est établie l’enseigne, de son image de marque, de la qualité des plats et du fait que nous sommes dans une économie libre, le restaurant établit sa tarification. Ensuite, c’est la concurrence et la qualité du service proposé qui vont assurer l’équilibre sur le marché.
Aucune institution n’a pour intérêt d’augmenter ses prix plus que nécessaire et plus que la marge de profit acceptable, parce qu’il fera fuir ses clients, ce qui est contreproductif. Nous avons un tourisme saisonnier et, pour le reste de l’année, les restaurants comptent sur leurs clients habituels et réguliers. Proposer des prix justes est le meilleur moyen pour les fidéliser et assurer une continuité à long terme.
En fin de compte, c’est le client qui décide de récompenser ou non les institutions en décidant d’y retourner ou pas, et de la façon dont il parle du restaurant à son entourage et sur les réseaux sociaux. Mais, pour cela, il faut que les prix soient clairement affichés, que ce soit sur les menus, à l’entrée des restaurants et sur les réseaux sociaux, de sorte à permettre aux clients de décider du restaurant où ils veulent aller. En tant que responsable du syndicat, je peux vous dire que ce qui compte pour nous, c’est qu’il y ait beaucoup de choix pour tous les budgets.
Nagi Morkos, cogérant du cabinet de conseil en tourisme et hôtellerie Hodema
Ce n’est pas vrai. Certes les prix ont augmenté depuis un an, mais ils ne sont pas plus élevés qu'avant la crise. Selon un indice des prix que nous calculons, il ressort que les tarifs en dollars pratiqués dans les restaurants sont entre 20 à 30 % moins élevés que ceux de 2019. Et cela malgré l’inflation mondiale et la flambée des prix de l’énergie.
Ainsi, c’est le coût des marchandises vendues qui augmente, sans que les prix ne soient revus à la hausse. Une situation qui réduit par conséquent les marges de profit des restaurateurs, lesquels luttent depuis plusieurs années pour leur survie. En effet, bien qu’une partie des restaurants fonctionne et affiche plein, certains ont été obligés de mettre la clé sous la porte en raison de la crise économique.
Si le prix moyen d’un croissant dans les cafés se situait à 3,5 dollars avant le début de la crise, il se trouve aujourd’hui entre 2 et 2,5 dollars ; si le prix moyen d’un burger était compris entre 10 et 12 dollars, il coûte aujourd’hui entre 9 et 11 dollars. De même, le prix des boissons se retrouve aussi, dans la majorité des cas, inférieur aux niveaux d’avant la crise.
Les Libanais ont l’impression que les prix ont augmenté pour deux raisons. Premièrement, parce que le pouvoir d’achat d’une grande partie d’entre eux a baissé, et qu’ils ne peuvent donc plus se permettre les mêmes habitudes d’avant la crise. Deuxièmement, pour le simple fait que les prix étaient affichés en livres libanaises et qu’ils ne cessaient d’être revus à la hausse, parallèlement à la dépréciation de cette monnaie (qui a perdu plus de 98 % de sa valeur depuis fin 2019, NDLR). Mais, depuis que les tarifs sont libellés en dollars, les clients peuvent plus facilement comparer et font beaucoup plus attention aux variations, ce dont les restaurateurs sont conscients.
En ce qui concerne une éventuelle augmentation des prix dans les restaurants à l’approche de la saison d’été et de l’arrivée en masse des touristes attendus, je ne pense pas qu’elle aura lieu, du moins pas dans la majorité des établissements. Cela serait contreproductif à long terme, décourageant certains habitués de les fréquenter de nouveau.
Rudy Abdallah, chef et consultant culinaire
Considérer que les prix dans les restaurants aujourd’hui sont supérieurs à ceux d’avant la crise résulte simplement d’une illusion qu’une grande partie des Libanais ont à cause de l’effondrement de la livre libanaise par rapport au dollar, qui a entraîné une baisse de leur pouvoir d’achat et à cause de la baisse de la valeur réelle de leurs salaires.
Par exemple, un chef cuisinier qui touchait 2 000 dollars par mois en 2019 a aujourd’hui en moyenne un salaire de 1 000 dollars. À noter, qu’il y a aussi une importante partie de travailleurs dont les salaires sont toujours versés en livres libanaises et qui sont calculés à un taux bien inférieur qu’à celui en vigueur sur le marché parallèle. Ce qui in fine résulte parfois en des salaires très bas, inférieurs à 100 dollars par mois.
Mais pour les personnes dont le revenu n’a pas été affecté ces quatre dernières années, manger dans un restaurant coûte aujourd’hui moins cher qu’en 2019. Si on fait une comparaison des prix des plats dans les restaurants, on se rend compte qu’ils sont dans la plupart des cas moins chers que ceux de 2019, certains restaurants affichant des prix qui peuvent parfois être jusqu’à 40 % inférieurs à ceux d’avant la crise. Cependant, il existe aussi quelques restaurants qui, depuis le début de la crise, ont indexé leurs prix au dollar et dont les tarifs sont quasiment équivalents à ceux de 2019.
En parallèle, un autre aspect qui explique cette impression de cherté est que la majorité des restaurants avaient tardé à ajuster leurs prix dans la même mesure que la dépréciation de la livre, avant de les augmenter ensuite progressivement. Ce scénario s’est d’ailleurs reproduit dans plusieurs secteurs. Par conséquent, si la somme de 100 dollars pouvait suffire à assurer les dépenses nécessaires pour une semaine ou dix jours en 2021, ce même montant ne permet plus de couvrir ce genre de dépenses que pour à peine trois à quatre jours.
Si l’on voit les choses sous cette optique, alors oui les prix ont augmenté. Avec un même montant et dans le même restaurant, on pouvait se permettre plus de plats il y a deux ans. Toutefois, malgré ces hausses, les prix actuels restent encore moins élevés qu'en 2019.
commentaires (18)
Quel est le % des personnes dont le revenu n'a pas ete affecte ?
Kammoun Hilda
14 h 58, le 16 juin 2023