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Société - Témoignages

Le Liban leur a « tout pris »... mais ils n’arrivent pas à s’en défaire

Qu’ils vivent à Londres, en Arabie saoudite, à Dubaï, aux États-Unis ou à Paris, la séparation reste une déchirure pour ces Libanais qui ont quitté le pays depuis la crise.

Le Liban leur a « tout pris »... mais ils n’arrivent pas à s’en défaire

Des voyageurs à l'Aéroport international de Beyrouth. Photo d'archives AFP

On lui avait promis que ce sentiment ne serait que passager. Que très vite, elle s’adapterait à son nouveau « chez soi ». Deux ans plus tard, le mal du pays « ne fait que grandir », souffle Malak, 26 ans, qui réside à Dubaï depuis 2021, pour des raisons économiques. « Depuis le 15 septembre 2021 à 22h30, pour être exacte », tient-elle à préciser.

Malak fait partie de ces plus de 240.000 Libanais qui ont décidé de plier bagage depuis 2019, selon les estimations du centre de recherche « Information internationale ». Ils ont dû tout lâcher : leur job, leur maison, leurs amis, leur famille. « J’ai le sentiment d’avoir été forcé de partir, car la vie était devenue insoutenable », explique Georges*, 48 ans, qui s’est installé avec sa famille à Paris en 2021. Qu’ils vivent à Londres, à Paris, en Arabie saoudite, à Dubaï ou aux États-Unis, pour chacun d’entre eux, la séparation se vit différemment.

Au fil du temps, le vent de la « gherbé » (émigration) souffle autrement. Tout d’abord, c’est se retourner lorsque l’on entend quelqu’un parler notre langue dans la rue, raconte Georges. « Puis ça s’affine, on remarque ce qui nous manque en France, et c’est surtout la proximité avec nos proches. »

Infographie Guilhem Dorandeu

Après plus de deux ans à Dubaï, Lina et Malak, qui n’avaient jamais envisagé de quitter le pays avant la crise, ne rêvent que d’une chose : revenir au Liban. Si toutes deux apprécient cette nouvelle vie « enrichissante », qui permet à leur carrière professionnelle d’évoluer, l’ombre du Liban n’est jamais loin. « J’ai commencé à m’adapter, mais ce sentiment ne me lâche pas. Tout me manque », raconte Lina, qui travaille dans la communication.

Jad* vit en Arabie saoudite depuis 2020. Sabine a posé ses bagages aux États-Unis en 2022. Ils ont toujours su qu’ils devraient partir ailleurs pour des raisons professionnelles. « Mais il est vrai que la crise a été le catalyseur. Je ne voulais plus me soucier des tracas du quotidien comme l’électricité ou l’insécurité », explique Jad, qui travaille dans l’investissement bancaire. Pour lui, comme pour la plupart, c’est la famille, les amis, les souvenirs, le sentiment d’appartenance, la culture et ses habitudes qui lui manquent… « J’adore ma vie en Arabie saoudite, je n’ai aucun regret, mais c’est impossible que le Liban ne nous manque pas », explique le jeune homme d’une vingtaine d’années.

La colère et la nostalgie

Sabine est partie emplie de colère. « Ce pays nous a tout pris avec le Covid-19, la crise, la double explosion... Tout ce que je voulais, c’était échapper à cette réalité », raconte celle qui habite Pittsburgh depuis 2022 pour continuer ses études après avoir obtenu un diplôme en médecine à l’Université américaine de Beyrouth. Son lien avec le pays est une « sorte de relation toxique ». « Même si tous mes besoins sont satisfaits aux États-Unis, ce n’est pas mon chez-moi. Ici, on se sent isolé. » Pour elle, comme pour Amanda, c’est « l’ancien Liban » qui leur manque le plus. « Je sais maintenant que c’était en fait une illusion. Nous pensions que nous étions en pleine expansion, alors que c’était tout le contraire… » raconte, la voix serrée, Amanda, « maman à plein temps » qui s’est installée à Londres depuis 2020 pour l’éducation de ses petits de 7 et 5 ans. Aujourd’hui, la trentenaire ne reconnaît plus son environnement. « J’ai davantage d’amis libanais à l’étranger, la majorité ont quitté le pays », dit-elle.

Pour mémoire

Pourquoi ils ont décidé de rester au Liban

Et c’est en allant à la recherche de la diaspora que la plupart gardent le lien. Si Lina a choisi Dubaï, ce n’est pas pour son bling-bling, mais surtout parce que beaucoup de ses amis s’y sont réfugiés avec la crise, pour la langue, la proximité… Même son de cloche pour Sabine qui a retrouvé des amis qui se sont installés à Pittsburg. « Nous restons tous ensemble », ajoute-t-elle.

Quant à Georges et sa famille, ils s’impliquent autant que possible dans des initiatives libanaises. « On se rend à des événements culturels, à des rencontres politiques, on se mobilise pour envoyer des médicaments. Et on aide aussi ceux qui viennent s’installer à Paris », explique-t-il. Mais les voyages de retour au pays se font rares. « Se déplacer devient plus difficile à cause du prix des billets d’avion. Finalement on se sent loin… » poursuit-il.

« La vie est faite de choix difficiles »

Pour ceux qui en ont les moyens, les séjours express permettent de se ressourcer. « À chaque fois que j’ai le mal du pays, je rentre pour le week-end… Cela me permet de voir à quel point la situation est difficile, et je repars l’esprit léger d’avoir pris la bonne décision », explique Jad, dont deux frères vivent également en Arabie saoudite. Amanda et ses enfants, quant à eux, rentrent toutes les six semaines. « Je veux que mes enfants voient leurs grands-parents… Et puis ça me permet de profiter des rayons de soleil, de la mer, de la chaleur humaine », rapporte-t-elle. Malak aussi ne lésine pas sur les trajets. « Je ne veux pas que mes nièces me voient uniquement comme la tante qui vient durant les fêtes. Je veux faire partie de leur vie », rapporte-t-elle.

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Mais malgré tous les allers-retours, difficile d’être présent dans les bons comme dans les mauvais moments. Une semaine après être arrivé en Arabie saoudite, Jad, qui attendait toujours sa carte de séjour, perd l’un de ses proches. « Je ne pouvais pas me rendre aux funérailles ou être là pour ma famille… C’est le moment où tu comprends que la vie est faite de choix difficiles. » Lui, a dû choisir sa carrière professionnelle. « Je déteste le fait de passer des années loin de mes parents et de mes amis. Mais je suis également reconnaissant du fait d’être capable de soutenir ces personnes chaque fois qu’elles ont besoin de moi », raconte-t-il.

Amanda, elle, a décidé de rentrer au pays dans un avenir proche pour être près de ses parents. Lina aussi. Mais pour toutes les deux, aucune date n’a été fixée. « Je sais tout ce qui va mal, mais je ne pourrai pas tenir plus longtemps », lâche Lina. Pour Amanda, ce retour ne se fait pas sans appréhension. « Le pays est instable, j’ai peur de la chute du niveau d’éducation et de devoir repartir à nouveau. Mais je veux que mes enfants sentent qu’ils ont un foyer », explique celle qui est elle-même enfant d’émigrés. « Depuis toute petite, je sais que lorsque l’on décide de vivre au Liban, il faut un plan B. »

Jad reviendra aussi, mais pour sa retraite… « Ou si j’ai des enfants. Je veux qu’ils soient attachés à leur terre natale. »

Georges, de son côté, s’était déjà installé à Paris une première fois, mais avait décidé de revenir au Liban en 2010 pour se rapprocher de sa famille et de ses racines. « Nous avons vécu suffisamment de difficultés pour ne plus avoir envie de rentrer. Et on ne s’éloigne pas que géographiquement mais aussi sentimentalement, et c’est ce que je commence à ressentir. »

On lui avait promis que ce sentiment ne serait que passager. Que très vite, elle s’adapterait à son nouveau « chez soi ». Deux ans plus tard, le mal du pays « ne fait que grandir », souffle Malak, 26 ans, qui réside à Dubaï depuis 2021, pour des raisons économiques. « Depuis le 15 septembre 2021 à 22h30, pour être exacte », tient-elle à préciser.Malak fait partie de ces plus de...

commentaires (10)

Les libanais chassés de leur pays de force viennent constater la déchéance à vitesse grand V exercée par l’effort incessant de la majorité des gouvernants qu’ils ont voté. Ils viennent voir leurs famille et proches et prendre une bouffée de pollution ambiante et récurrente qui se propage dans le pays pour créer une atmosphère suffocante qui représente bien la vie au quotidien de tous les libanais contraints et forcés de rester. La nostalgie n’a plus sa place dans le cœur des libanais exilés, puisqu’ils constatent que le pays qu’ils ont connu n’est plus. Leur drame commence dès leur sortie de l’avion jusqu’à la fin de leur séjour semé d’embûches et de désarroi, suivi par une dépression nerveuse une fois le pays quitté. Nous devons nous atteler tous à récupérer notre cher pays pour lui redonner la place qu’il a toujours occupé jadis dans la région, sa beauté et son bon vivre d’antan.

Sissi zayyat

15 h 13, le 06 juin 2023

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Commentaires (10)

  • Les libanais chassés de leur pays de force viennent constater la déchéance à vitesse grand V exercée par l’effort incessant de la majorité des gouvernants qu’ils ont voté. Ils viennent voir leurs famille et proches et prendre une bouffée de pollution ambiante et récurrente qui se propage dans le pays pour créer une atmosphère suffocante qui représente bien la vie au quotidien de tous les libanais contraints et forcés de rester. La nostalgie n’a plus sa place dans le cœur des libanais exilés, puisqu’ils constatent que le pays qu’ils ont connu n’est plus. Leur drame commence dès leur sortie de l’avion jusqu’à la fin de leur séjour semé d’embûches et de désarroi, suivi par une dépression nerveuse une fois le pays quitté. Nous devons nous atteler tous à récupérer notre cher pays pour lui redonner la place qu’il a toujours occupé jadis dans la région, sa beauté et son bon vivre d’antan.

    Sissi zayyat

    15 h 13, le 06 juin 2023

  • La diaspora libanaise n’a rien à envier à ceux qui sont resté au Liban, pour y être auprès de leur famille.

    Mohamed Melhem

    05 h 20, le 05 juin 2023

  • L’important c‘est qu‘ils ne nous suivent pas à l’étranger pour souiller notre réputation encore plus.

    Khazzaka May

    18 h 03, le 04 juin 2023

  • Version subversive du titre "Ils ont tout pris au Liban, et n'arrivent pas à le récupérer..." : Champions : Salamé, Mikati, ministres, juges, banques, politiciens, perruches et tant d'autres petites mains invisibles. Il en faudra des efforts pour remplacer tout ca et marcher sur une route solide !

    Ca va mieux en le disant

    14 h 16, le 03 juin 2023

  • En définitive, les vœux de notre président de sinistre mémoire ont été exaucés .. même au delà des ses attentes…. Le Liban vous n’aimez pas, vous le quittez!!

    C…

    17 h 57, le 02 juin 2023

  • L'essentiel est que nos chefs se portent à merveille. La souffrance du peuple est sans importance.

    Céleste

    12 h 05, le 02 juin 2023

  • JE SUIS *LA LIBRE EXPRESSION*. OLJ, ABOLISSEZ VOTRE HUMILIANTE CENSURE !

    LA LIBRE EXPRESSION

    11 h 49, le 02 juin 2023

  • Sauf que ce n'est pas la fatalite qui les a oblige d'emigrer. C'est bel et bien la mise du pays en coupe reglee par une mafiocratie milicienne et financiere.

    Michel Trad

    11 h 17, le 02 juin 2023

  • Il y a 30 ans, jai quitté pour mes études le Liban a mes 18 ans....depuis, pas une nuit qui passe sans que je rêve du moment de mon retour malgré tout....jai même installé des webcams autour de ma maison dans mon village, je me connecte le matin avec mon cafe, et le soir avant de fermer l'oeil....tellement frustrant....

    Jack Gardner

    10 h 58, le 02 juin 2023

  • Nous devons avoir un côté masochiste :)

    Zeidan

    10 h 53, le 02 juin 2023

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