On pourrait croire qu’au commandement de l’armée, on pense surtout à la présidentielle. Rien n’est plus faux. À Yarzé, le commandement estime qu’il y a actuellement des problèmes très graves à traiter. Il s’agit principalement de la situation sécuritaire du pays sérieusement mise à mal par la paralysie des institutions et la dispersion de l’autorité étatique, ainsi que par la crise financière et sociale, la plus dure durant les dernières décennies.
Selon des sources militaires bien informées, la présence des « déplacés syriens » est en train de prendre « d’énormes proportions » et de devenir un véritable défi pour les forces militaires, l’armée en tête. Pour le commandement de la troupe, il ne s’agit pas d’un dossier politique brandi de temps en temps, selon les besoins, mais bien d’une « bombe à retardement » qui « risque d’exploser à tout moment » et qui peut être « plus grave que celle des réfugiés palestiniens », qui avait constitué l’étincelle de la guerre en 1975.
Ce dossier est donc explosif aux yeux du commandement de l’armée pour trois points essentiels : le nombre, l’expansion sur l’ensemble du territoire et le refus occidental de favoriser le retour des « déplacés syriens ». Au sujet de leur nombre au Liban, celui-ci est en train d’augmenter de façon inquiétante et incontrôlable, selon les mêmes sources. Selon les estimations actuelles, il est bien plus important que ne l’était celui des réfugiés palestiniens dans les années 70 du siècle dernier. Ensuite, ces « déplacés » sont présents sur l’ensemble du territoire libanais. En effet, la carte de leur présence est significative, du Nord au Sud, en passant par la Békaa et le Mont-Liban. D’ailleurs, les incidents sécuritaires se multiplient, d’après les mêmes sources. Toujours selon ces sources, « il ne s’agit nullement d’une approche raciste ou même politique, mais d’une réalité sur le terrain que vivent la plupart des localités libanaises ». L’armée et les forces de sécurité ont beau faire de leur mieux, elles ne parviennent pas à éviter les incidents et les frictions, même si dans la plupart des cas elles parviennent à empêcher qu’ils ne dégénèrent et s’empressent d’arrêter les coupables. Mais il y a aussi le fait, d’après le commandement militaire, que les naissances d’enfants de « déplacés syriens » sont « très importantes » et une « bonne partie d’entre elles ne sont pas enregistrées ni en Syrie ni au Liban ». Ce qui rend pratiquement impossible la réalisation d’un recensement précis.
De plus, toujours selon les mêmes sources, au Liban, « en raison de l’affaiblissement des institutions étatiques, il est relativement facile de se procurer des armes et une partie des déplacés syriens peut ainsi s’armer et constituer une véritable menace pour la sécurité et la stabilité du pays sur une grande échelle, si un jour une telle décision est prise ». Ce qui n’aurait plus rien à voir avec les incidents sécuritaires actuels. Enfin, les sources militaires précitées s’étonnent de la position occidentale vis-à-vis de ce dossier. Elles confient que le commandement de l’armée soulève régulièrement la question avec les diplomates qui se rendent à Yarzé. Le dernier en date était un ambassadeur européen, et selon les mêmes sources le ton serait monté entre les interlocuteurs, mais les diplomates occidentaux ne veulent rien entendre à ce sujet. À tous les arguments avancés par les Libanais, ils répondent par une même phrase : en raison des atrocités commises par le régime syrien contre son peuple, il est impossible et inhumain de renvoyer ces « déplacés » en Syrie, sous l’autorité de ce régime sanguinaire. En réponse, les autorités libanaises présentent des études et des statistiques montrant que bon nombre de « déplacés » peuvent rentrer chez eux, sans être inquiétés et que, de toute manière, si les organisations qui les aident ici se décident à le faire en Syrie, elles auront un pied-à-terre sur place qui leur permettra d’exercer un certain contrôle sur le comportement des autorités syriennes. Mais les diplomates ne veulent rien entendre. Au point que les interlocuteurs libanais se posent des questions sur l’entêtement occidental à garder les « déplacés syriens » au Liban. Pour le commandement militaire, soit les Occidentaux estiment que cette carte pourra être utilisée le moment venu, notamment lors des élections en Syrie, contre le régime actuel et en tout cas pour lui soutirer des concessions dans le cadre des négociations pour une solution politique, soit ils constituent, au Liban, une force sunnite qui pourrait contrebalancer le poids des chiites, après les changements survenus dans les rapports des forces internes libanais.
L’autre dossier qui occupe actuellement le commandement de l’armée concerne les effectifs. Selon les sources militaires précitées, les risques sécuritaires ont augmenté avec la crise, qui a poussé 10 000 soldats à quitter l’armée entre 2019 et 2020. Certes, la troupe a essayé de compenser cette perte en intégrant 5 000 nouvelles recrues, au cours des dernières années, alors qu’il y a près de 20 000 demandes en attente. Il est vrai qu’en principe, il n’y a actuellement pas de politique pour accepter les enrôlements volontaires, pour des raisons de budget. Malgré cela, dans le cadre d’un accord tacite entre les responsables, il a été possible d’engager 5 000 nouveaux militaires.
Mais là aussi, le commandement doit faire face à un problème d’un genre nouveau : le refus des chrétiens de s’enrôler dans l’armée, ce qui menace l’équilibre confessionnel au sein de la troupe. Le commandement de l’armée a sollicité l’aide de Bkerké pour remédier à ce problème et des évêques se sont directement chargés de pousser les jeunes à vouloir intégrer l’armée. À cet effet, un évêque a fait le tour d’une dizaine de localités au sud du Liban et, au final, un seul jeune s’est présenté pour entrer dans l’armée. Pour le commandement de Yarzé, le désintérêt des jeunes chrétiens à l’égard de l’armée est grave, car celle-ci reste le principal pivot de l’État et l’un des derniers piliers de la souveraineté. De plus, traditionnellement, l’armée est considérée comme l’institution publique préférée des Libanais, et des chrétiens en particulier. Le fait que les jeunes refusent de s’y enrôler montre une véritable lacune au niveau des institutions et de l’allégeance au Liban. Sans parler de la question délicate de l’équilibre communautaire au sein des institutions du pays, qui, en cette période de tension confessionnelle liée au dossier présidentiel, risque d’approfondir le fossé entre les différentes composantes du pays. L’armée est encore l’une des rares institutions du pays debout, mais aussi qui regroupe toutes les communautés. Si les chrétiens s’en désintéressent, c’est que le problème ne s’arrête plus à la présidentielle. Il pourrait être beaucoup plus profond.
On pourrait croire qu’au commandement de l’armée, on pense surtout à la présidentielle. Rien n’est plus faux. À Yarzé, le commandement estime qu’il y a actuellement des problèmes très graves à traiter. Il s’agit principalement de la situation sécuritaire du pays sérieusement mise à mal par la paralysie des institutions et la dispersion de l’autorité étatique, ainsi que...
commentaires (7)
Je me corrige : ...ne sont au courant....
Hitti arlette
12 h 27, le 26 mai 2023