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Idées - Appel

Le limogeage de Ghada Aoun entrave la lutte contre la corruption

Le limogeage de Ghada Aoun entrave la lutte contre la corruption

La juge Ghada Aoun, procureure générale du Mont-Liban. Photo Marc Fayad

Le 4 mai courant, une décision disciplinaire de révocation a été prise à l’encontre de la procureure de la République du Mont-Liban Ghada Aoun. Nous n’avons pas pu prendre connaissance de la décision ni de ses motivations, mais, étant donné la sévérité de la sanction, nous avons plusieurs motifs d’inquiétude :

Tout observateur impartial peut constater que la juge Aoun a entamé des poursuites dans des affaires majeures de corruption financière. Elle est la première à avoir eu recours à l’application de la loi sur l’enrichissement illicite 66 ans après son approbation. Elle est la première à avoir pris des mesures pour mettre en œuvre la loi aménageant le secret bancaire, promulguée en octobre 2022, afin d’obtenir des informations sur les prêts accordés par la Banque du Liban (BDL) à un certain nombre de banques qui ont ensuite transféré les montants concernés à l’étranger après le 17 octobre 2019. La valeur des opérations prises en considération totaliserait 8,3 milliards de dollars, soit environ ce qui reste de réserves à la BDL. Sans oublier les autres enquêtes et instructions relatives à la BDL et à certains de ses responsables et complices, et qui ont mis à nu certaines pratiques illicites et autres infractions graves – un travail dont ont bénéficié d’autres instructions judiciaires locales et internationales. C’est aussi grâce à ses investigations qu’ont été rompus, au bout de 15 ans, des contrats abusifs sur le « fuel frelaté ». C’est elle qui, avec les avocats généraux au Mont-Liban Nazek el-Khatib et Samer Lichaa, a mis au jour les pratiques de corruption dans un certain nombre d’administrations, dont ceux de l’enregistrement des véhicules, le cadastre du Mont-Liban ou l’Autorité des installations pétrolières au sein du ministère de l’Énergie.

Quelles que soient les violations qui lui sont imputées, force est de constater qu’elle a intenté des poursuites dans des dossiers où d’autres procureurs ont refusé d’agir. Le fait que certains lui reprochaient de ne pas ouvrir d’autres enquêtes (notamment al-Qard al-hassan – le bon crédit) ne réduit en rien l’importance du travail accompli.

Tout observateur impartial peut, de même, constater que la juge Aoun a fait l’objet de campagnes médiatiques systématiques dès lors que ses enquêtes concernaient des personnalités ou des responsables politiques sur lesquels pesaient des suspicions sérieuses. La plupart de ces campagnes n’ont pas suscité de réaction de la part du Conseil supérieur de la magistrature, chargé de veiller à l’indépendance de la magistrature et au bon fonctionnement de la justice, alors même que le pouvoir exécutif a relayé ces campagnes à de nombreuses reprises – le Premier ministre sortant Nagib Mikati ayant été jusqu’à demander le dessaisissement de la magistrate sous prétexte qu’elle plongeait la « justice dans le chaos » et se rendait coupable « d’abus ». Alors que ses détracteurs lui reprochaient la violation de l’obligation de réserve, un tel reproche ne tenait compte en aucun moment de la virulence des attaques ni de la désinformation entreprise contre elle.

Tout observateur de bonne foi peut s’inquiéter aussi de la recrudescence d’une application abusive de l’article 751 du code de procédure civile. Des recours en suspicion légitime à l’encontre des magistrats se multiplient, permettant à tout prévenu de suspendre indéfiniment toute enquête à son encontre. L’absurdité de cette obstruction qui consacre l’impunité des puissants a atteint son paroxysme depuis que l’assemblée plénière de la Cour de cassation est, faute de quorum, empêchée de se réunir pour trancher ces recours. Le ministre des Finances refuse abusivement de signer le décret de nomination des membres de la cour, ce qui a pour effet d’entraver le cours de la justice dans des affaires nationales majeures, dont la double explosion au port de Beyrouth et la crise bancaire.

Face à un pouvoir exécutif et un pouvoir législatif impuissants qui se satisfont de la paralysie de la justice, certains magistrats ont cherché leurs propres solutions. C’est le cas du juge Tarek Bitar, qui a cherché à faire jurisprudence à travers une décision du 23 janvier 2023 l’autorisant à reprendre son travail. C’est ce dont est accusée d’ailleurs la juge Aoun, qui a choisi d’entamer des poursuites dans plusieurs dossiers en invoquant l’inadmissibilité de l’article 751 précité tant que tous les membres de la Cour de cassation ne sont pas désignés.

C’est pourquoi nous considérons que, sans préjuger des motifs de fond de la révocation du juge Aoun ou de la gravité des actes qui lui sont imputés, cette sanction est avant tout un message éloquent à l’adresse de tous les magistrats. L’injonction implicite qui leur est faite est de s’abstenir de poursuivre les personnes influentes et de lutter contre les formes les plus dangereuses de corruption. Force est aussi de constater que cette sanction intervient dans le contexte d’une tentative d’asservissement du pouvoir judiciaire par le pouvoir politique au moment où des magistrats sont appelés à agir dans des dossiers de récupération de fonds détournés. D’ailleurs, comment ne pas relever la concomitance de cette mesure avec l’entrée en vigueur de la loi n° 306/2022 modifiant le secret bancaire ? Adoptée grâce à la pression du FMI et de la société civile, elle permet notamment aux juges et tribunaux concernés d’avoir un accès direct aux données bancaires dans le cadre des investigations sur les crimes financiers, de corruption, de blanchiment d’argent, de financement, de terrorisme et d’enrichissement illicite. Il va sans dire que ces prérogatives importantes – qui permettraient de procéder à des investigations sérieuses et efficaces pour débusquer les crimes et les infractions, déterminer les responsabilités, récupérer ce qui a été mal ou abusivement acquis, et compenser les victimes et personnes lésées a l’instar des déposants – effraient ceux qui ne disposent d’aucun levier sur un juge imperméable aux intimidations.

C’est pourquoi, au nom de la lutte pour la redevabilité et contre l’impunité, nous déplorons la portée et la dureté de cet arrêt disciplinaire très sévère, pour ne pas dire disproportionné. Par conséquent :

– premièrement, nous appelons le Conseil supérieur de la magistrature et la Commission d’inspection judiciaire à assumer leur responsabilité historique en sauvegardant l’indépendance des juges, en défendant leur fonction et en encourageant les juges impliqués dans la lutte contre la corruption, tout en pénalisant ceux qui renoncent à assumer cette responsabilité. Aujourd’hui, en cette période historique pour le Liban, c’est la capacité des magistrats à prendre leurs responsabilités qui doit servir de boussole. Ils jugent en définitive au nom du peuple libanais ;

– deuxièmement, nous appelons toutes les forces démocratiques et représentatives à joindre leurs efforts pour permettre aux magistrats instruisant des crimes financiers de rendre justice dans un environnement sain, à l’abri de l’intimidation, des ingérences et, surtout, de l’obstruction politique. Cela passe par l’adoption des deux propositions de lois sur l’indépendance de la magistrature judiciaire et administrative, conformément aux normes internationales, et des deux lois amendant l’article 751 du code de procédure civile afin de mettre fin à la garantie d’impunité absurde qu’elle offre aux suspects et prévenus ;

– troisièmement, nous sommes pleinement solidaires de tout organe judiciaire ou magistrat engagé dans des dossiers qui concernent la société libanaise tout entière. Nous mentionnons ici en particulier la chef du service de contentieux de l’État qui mène une bataille d’une grande importance dans la défense des intérêts de l’État et des citoyens libanais.


Par Legal Agenda, l’Association libanaise pour les droits et l’information des contribuables (Aldic), The Policy Initiative.

Le 4 mai courant, une décision disciplinaire de révocation a été prise à l’encontre de la procureure de la République du Mont-Liban Ghada Aoun. Nous n’avons pas pu prendre connaissance de la décision ni de ses motivations, mais, étant donné la sévérité de la sanction, nous avons plusieurs motifs d’inquiétude :Tout observateur impartial peut constater que la juge Aoun a...
commentaires (6)

Elle est accusée de partialité. Que la partie adverse trouve un juge partial dans le camp opposé et qu'il ou elle poursuive qui bon lui semble.

Aref El Yafi

17 h 51, le 21 mai 2023

Tous les commentaires

Commentaires (6)

  • Elle est accusée de partialité. Que la partie adverse trouve un juge partial dans le camp opposé et qu'il ou elle poursuive qui bon lui semble.

    Aref El Yafi

    17 h 51, le 21 mai 2023

  • Je comprends les anti - Ghada Aoun mais tant que le Liban n'a pas de système judiciaire impartial , des juges comme elle sont nécessaires pour équilibrer les procédures et au moins contribuer á rendre publiques des affaires et les médiatiser. C'est une sale guerre qu'elle mène mais n'est elle pas necessaire?. La situation au Liban est la même que celle qui prévalait en colombie á l'époque d'Escobar et á Naples dans les années 80. Combien de juges et leurs proches ont été écartés, subit des violences et même perdu la vie en colombie et en Italie? Des dizaines?, des centaines?. Combien de juges au Liban ont fait un "coming out" contre la corruption au liban? Uniquement Ghada Aoun. Que les juges honnêtes sortent du bois !

    Moi

    16 h 21, le 21 mai 2023

  • IndépendAnt, indépendAntisme, indépendAnte. Essayez d'écrire en français avant de critiquer les journalistes de l'OLJ.

    Ca va mieux en le disant

    12 h 30, le 21 mai 2023

  • Un article écrit par des populistes qui n’ont pas vraiment compris le problème et dont le parti pris est flagrant, même si leurs intentions sont bonnes. Nous voulons des juges honnêtes ET INDEPENDENTS. Pas de justice sans INDEPENDENCE.

    Akote De Laplak

    11 h 29, le 21 mai 2023

  • Wawvquel article savant et si bien écrit …. Il pêche juste par oubli (volontaire ou involontaire) d’affaires telles que les barges turques, les barrage qui ne retiennent aucune goutte d’eau, le contrôle douanier aux ports et à l’aéroport, les crises successives des carburants et des médicaments, le transfert à l’étranger de plusieurs milliards de dollars durant le premier mois du soulèvement populaire d’octobre 2019 alors que les banques étaient fermées. Nous serions tous derrière la juge Ghana Aoun si elle s’était montrée impartiale dans le choix des dossiers qu’elle poursuit. Tous les pourris et les corrompus de cette république bananière doivent tomber et payer, ceci concerne 99,99% des dirigeants, politiciens et hauts fonctionnaires depuis 1990 de tous bords et de tous grades en commençant par les présidents jusqu’au plus petit planton des ministères sans oublier la machine à cash du CDR.

    Lecteur excédé par la censure

    07 h 16, le 21 mai 2023

  • Il était temps d’écouter un autre son de cloche. Les motifs d’inquiétude sont fondés, et je crois qu’il y a erreur sur la personne de la magistrate, qu’on lui reproche des accointances partisanes, alors que ses racines politiques, (mais qui n’a pas une étiquette politique) ne sont pas celles qu’on décrit dans les médias. Elle est régulièrement la cible, et c’est à son honneur quand par les seuls moyens qui lui restent pour secouer le cocotier financier. Ses interventions n’ont pas bénéficié au parti de Bassil, cela se saura, mais qu’elle avancée dans les enquêtes…

    NABIL

    03 h 51, le 20 mai 2023

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