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Société - Liban

Restriction des apparitions médiatiques des avocats : la justice rejette les deux recours

Certains d’entre eux avaient dénoncé la mesure consistant à obtenir l’autorisation du bâtonnier de Beyrouth avant toute prise de parole dans les médias et s’estiment « bafoués ». Le bâtonnier assure « n’avoir jamais eu l’intention de museler les avocats ». 

Restriction des apparitions médiatiques des avocats : la justice rejette les deux recours

Le bâtonnier de Beyrouth Nader Gaspard. Photo ANI

La cour d’appel chargée des affaires syndicales a rejeté vendredi les deux recours présentés contre la décision d’interdire aux avocats de prendre la parole dans les médias sans obtenir en amont une autorisation du bâtonnier de Beyrouth Nader Gaspard.

En d’autres termes, l’instance a validé la décision prise le 3 mars par le conseil de l’ordre d’imposer à tout avocat désireux de s’exprimer dans les médias d’obtenir l’aval du bâtonnier. Le conseil avait en effet modifié un ancien article du code de déontologie de la profession qui « recommandait » aux membres du barreau d’« informer » le bâtonnier de leur désir de paraître dans les médias. Après amendement, tout membre du barreau est désormais « tenu » d’obtenir une « autorisation préalable » du bâtonnier lorsqu’il s’agit d’intervenir sur des questions légales dans les médias, réseaux sociaux et sites électroniques. Il lui est donc interdit de répondre à des questions revêtant un cachet de consultation juridique, ainsi que de publier des enquêtes ou des dossiers en cours d’instruction.

Le bâtonnier Nader Gaspard, qui avait fait l’objet de critiques suite à cette mesure, a tenu une conférence de presse vendredi en vue de se féliciter de cette « grande décision de justice qui se fonde sur des règlements et des principes en vigueur dans les pays les plus avancés ». « Notre intention n’a jamais été de museler les avocats ou de porter atteinte aux libertés, a-t-il assuré. L’objectif de cet amendement était organisationnel, ni plus ni moins, et nous a été imposé par les apparitions médiatiques régulières de certains avocats au mépris des règles et de la loi. » Il s’est par ailleurs montré conciliant à l’encontre de ses critiques, promettant d’accorder les autorisations demandées dans des délais courts.

Les motifs de la cour d’appel… et les arguments d’avocats activistes

Dans les motifs de sa décision, la cour d’appel affirme que « le danger représenté par un grand impact des médias sur le cours des procès et sur l’opinion publique impose que l’avocat soit soumis à des règles sévères limitant sa liberté médiatique ». L’avocat et activiste Nizar Saghiyé, auteur d’un des deux recours auprès de la cour d’appel de Beyrouth, critique cet argument en notant que « la cour n’a vu que le danger de la liberté » qui, « au lieu de constituer un principe, devient ainsi une exception ». « Or, les questions traitées dans la justice doivent être suivies par l’opinion et faire l’objet de débats publics », martèle-t-il.

Nizar Saghiyé avait été, rappelons-le, convoqué et entendu récemment par le conseil de l’ordre des avocats de Beyrouth, qui n’a pas encore pris de décision à son égard. Il continue depuis à prendre la parole dans les médias. Le second recours est celui présenté le 29 mars par un collectif d’avocats, dont Wassef Haraké, Jad Tohmé, Ali Abbas, Hassan Bazzi ou encore Diala Schéhadé.

Dans sa décision, la cour d’appel indique que « donner au bâtonnier le pouvoir de trancher la demande d’autorisation ne vise pas à en faire une autorité despotique, d’autant que sa décision est censée se baser sur les intérêts du barreau, des avocats, de leurs clients et de la justice, et qu’elle est susceptible de recours ». Nizar Saghiyé réagit en disant qu’une décision judiciaire ne peut pas se baser sur « une bonne intention » du bâtonnier. À défaut de quoi, « cette décision immunise le responsable et met en danger la liberté ».

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La tendance est à l’apaisement entre Saghiyé et le conseil de l’ordre des avocats

En appui de ses motifs, la cour mentionne le code de déontologie des avocats français qui impose à l’avocat faisant des déclarations sur des affaires en cours ou des questions générales en rapport avec l’activité professionnelle d’« indiquer à quel titre il s’exprime et de faire preuve d’une vigilance particulière ». Toujours selon la règle française, l’avocat doit en « informer » le bâtonnier, qui fait alors « toute observation, mise en garde ou injonction qu’il juge utile ». La cour d’appel de Beyrouth juge que cette règle « comporte implicitement le droit pour le bâtonnier de refuser l’autorisation ». Or, pour M. Saghiyé, « informer ne signifie pas demander une autorisation à l’avance ; de même, une injonction ne signifie pas une interdiction préalable ». Pour lui, « en interprétant ainsi le texte français, la cour d’appel l’a dénaturé ».

Par ailleurs, la cour d’appel affirme que la prérogative d’établir le code de déontologie et de le modifier est octroyée au conseil de l’ordre par la loi sur la réglementation de la profession d’avocat. L’instance indique que l’article 74 de la loi accorde l’immunité à l’avocat uniquement devant les tribunaux. Elle étaye sa décision en évoquant la doctrine française selon laquelle « sitôt passé les portes de la salle d’audience, l’avocat redevient pleinement responsable de ses paroles et écrits, et ne bénéficie plus de son immunité ».

La cour évoque en outre le code de déontologie de l’ordre des avocats de Tripoli, qui « interdit d’utiliser les médias comme tribunes pour discuter de dossiers en suspens devant la justice, à l’exception des grandes questions qui intéressent la société et qui doivent toutefois obtenir l’approbation du bâtonnier ». Elle mentionne en outre l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui soumet la liberté d’expression à « des obligations et des responsabilités » en vue de préserver « la sécurité nationale et l’ordre public ». De même, des conventions internationales relatives aux droits des avocats soumettent la liberté d’expression à la nécessité de « se conformer à l’éthique professionnelle ». La Constitution libanaise reconnaît les libertés d’opinion et d’expression, mais avec des « garde-fous », affirme la cour d’appel.

Un recours en responsabilité de l’État ?

Les réactions des avocats qui sont opposés à cette décision de l’ordre ne se sont pas fait attendre. Contacté par L’Orient-Le Jour, l’avocat Ali Abbas affirme « respecter la décision de la cour d’appel », sans écarter toutefois la possibilité de porter, devant l’assemblée générale près la Cour de cassation, un recours en responsabilité de l’État contre les actes des magistrats qui ont émis l’arrêt « s’il s’avère qu’ils ont enfreint les principes constitutionnels de la liberté d’expression ». « Même si nous estimons que le bâtonnier actuel ne va pas utiliser son pouvoir pour nous faire taire en ce qui concerne les affaires nationales, nous ne nous tairons pas face à d’éventuelles mesures de futurs bâtonniers qui tenteraient de nous empêcher de défendre les gens dans ces affaires, tels les dossiers de corruption, de restitution des fonds publics ou encore la double explosion au port de Beyrouth », indique Me Abbas.

L’avocat Jad Tohmé dénonce, pour sa part, le fait que « le pays se dirige vers le musellement des voix ». « La justice a bafoué les membres du barreau en rejetant les recours », estime-t-il dans un entretien avec notre journal. « La nécessité d’obtenir un permis préalable du bâtonnier risque également d’être appliquée aux journalistes qui souhaitent travailler sur des questions juridiques », met-il en garde. 

La cour d’appel chargée des affaires syndicales a rejeté vendredi les deux recours présentés contre la décision d’interdire aux avocats de prendre la parole dans les médias sans obtenir en amont une autorisation du bâtonnier de Beyrouth Nader Gaspard.
En d’autres termes, l’instance a validé la décision prise le 3 mars par le conseil de l’ordre d’imposer à tout avocat...

commentaires (6)

Le lent mais continu etranglement des libertes publiques par la "manzoume" se poursuit. Le batonnier des banques ne s'encombre plus de scrupules. Tfeeeeeh. Quand vas-t'on balayer toute cette canaille ?????

Michel Trad

23 h 27, le 12 mai 2023

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Commentaires (6)

  • Le lent mais continu etranglement des libertes publiques par la "manzoume" se poursuit. Le batonnier des banques ne s'encombre plus de scrupules. Tfeeeeeh. Quand vas-t'on balayer toute cette canaille ?????

    Michel Trad

    23 h 27, le 12 mai 2023

  • Certains confondent la confidentialité des affaires en cours, et la liberté d'expression, qui sont deux choses différentes.

    Céleste

    22 h 20, le 12 mai 2023

  • La liberté d’expression est sacrée. Cependant ni les avocats (à la limite), ni (surtout) les juges, ne devraient être autorisés à s’exprimer dans les médias, ou sur les réseaux sociaux, à propos d’affaires en cours. C’est le cas dans la plupart des pays civilisés.

    Akote De Laplak

    14 h 45, le 12 mai 2023

  • Les avocats "aounistes" non ! les anti aounistes doivent avoir ce droit , belle justice !

    Chucri Abboud

    14 h 38, le 12 mai 2023

  • Et si la bâtonnier veut s'exprimer qui lui donnera l'autorisation? Une telle mesure sera applaudie, voire imitée, dans les pays totalitaires qui autorisent encore les avocats de s'exprimer librement. Du jamais vu !!!

    Céleste

    14 h 36, le 12 mai 2023

  • Vive la liberté d’expression au Liban !!!!. Dans un pays où ils ont tout volé, il ne reste plus que de voler la liberté d’expression. QUELLE HONTE

    Elias

    13 h 21, le 12 mai 2023

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