Entretiens Lettres inédites

Lettres inédites de George Sand sous l’œil de Thierry Bodin

Les Nouvelles Lettres retrouvées de George Sand ont été publiées cette année chez Le Passeur, qui propose une édition établie par Thierry Bodin, libraire-expert en lettres et manuscrits autographes.

Lettres inédites de George Sand sous l’œil de Thierry Bodin

D.R.

Très vite, on se laisse séduire par la personnalité flamboyante et complexe de l’auteure qui a traversé le XIXe siècle et ses remous politiques, sociaux et artistiques. Les missives s’adressent aux destinataires les plus variés : des comédiens qui interprètent ses textes théâtraux, des amis, des écrivains, des scientifiques, des personnalités politiques, mais aussi des interlocuteurs multiples pour la gestion de sa vie domestique, de ses achats, de ses finances et de ses biens.

Avec son amie Pauline Viardot, les formules hypocoristiques traduisent l’intimité qui relie les deux femmes. « J’irai dîner avec vous demain, fifille chérie, et Chop avertira les frères Filttchre. Vous ne me dérangez nullement ma mignonne. (…) On vous aime. » (fin 1842 ou janvier 1843) Dans une lettre à Eugène Sue, la romancière partage ses impressions de lecture sur son dernier roman Le Berger de Kravan, qu’elle a fait lire à des réunions d’ouvriers. D’autres écrits éclairent la sensibilité politique de George Sand, comme dans une lettre adressée à Gaston de Bonnechose, datée du 14 septembre 1849 : « Vous ne voulez ni les cosaques ni les jésuites. Je ne veux ni la guillotine ni le pillage. Nous sommes et serons toujours d’accord pour vouloir au fond la même chose, le vrai, le bien, le juste. Entre bonnes consciences, et bonnes intentions, on ne diffère d’avis que sur les moyens. »

Ces lettres inédites se lisent comme un roman, et on passe avec fluidité des interrogations philosophiques et existentielles de la romancière à des préoccupations familiales et privées. Le lecteur moderne retrouve avec plaisir la plasticité verbale et syntaxique de la romancière dans des registres inattendus comme le jardinage, le choix de vêtements ou la gestion des finances. La qualité des notes précise avec pertinence le contexte d’énonciation en l’ancrant notamment dans la vie intellectuelle foisonnante du dix-neuvième siècle où George Sand a occupé une place centrale.

L’Orient littéraire a rencontré Thierry Bodin qui partage passionnément, dans ce qui suit, la naissance et l’élaboration de ce projet.

Comment est née votre passion pour George Sand ?

En tant qu’expert en manuscrits et autographes, j’organise régulièrement des ventes à Drouot notamment, et je me suis toujours intéressé à la littérature. J’ai été président de la Société des amis de Balzac. Puis je me suis intéressé à George Sand, Alfred de Vigny, mais aussi au compositeur Emmanuel Chabrier, dont la correspondance est extraordinaire. Lorsque mon ami Georges Lubin, qui a publié 26 volumes rassemblant les lettres de George Sand, est décédé, j’ai pris la relève. Un premier volume de 450 lettres inédites est paru chez Gallimard en 2004 : Lettres retrouvées. La nouveauté avec ce deuxième volume, c’est que les lettres des correspondants de la romancière sont, très souvent, proposées en notes, ce qui permet d’établir un dialogue entre émetteur et destinataire.

Retrouver des lettres correspond à un travail de mosaïste, certaines sont accessibles au moment des successions, ce qui a été le cas pour l’échange important de lettres entre Sand et l’avocat Edouard Bourdet. Le fond d’archive gigantesque qu’a rassemblé le vicomte de Lovenjoul, constitué de documents autour d’auteurs du dix-neuvième siècle, a longtemps été, à sa demande, préservé à Chantilly, et ouvert au public seulement quelques semaines par an. À présent, il se trouve à la Bibliothèque de l’Institut, ce qui a facilité sa parution dans l’ouvrage de cette année. Un autre fond d’archive est déterminant pour George Sand, il a été légué par sa petite fille Aurore à la bibliothèque historique de la ville de Paris. Le miracle d’internet fait aussi que nous avons accès à des fonds de bibliothèques à travers le monde. Ce travail est donc loin d’être terminé, et depuis la parution des Nouvelles Lettres retrouvées, j’en ai déjà rassemblé d’autres…

Une fois que vous avez trouvé une lettre inédite, comment procédez-vous ?

Le travail est long : il faut dater les écrits, identifier les destinataires, les allusions, les références… Dans ce nouvel ouvrage, la grande majorité des lettres n’a jamais été publiée. À partir des années 50, Sand tient un carnet où elle dresse la liste des lettres rédigées dans la journée, rarement moins d’une dizaine. Ce document est précieux car il permet d’identifier un correspondant. À partir des années 40, on commence à utiliser l’enveloppe, qui est souvent dissociée de la lettre, alors qu’auparavant l’adresse était écrite sur le papier plié de la missive, ce qui facilite notre travail. On a parfois des fantômes : on sait par un autre texte qu’une lettre a été écrite, mais elle est introuvable…

Parfois, on découvre des trésors, comme les lettres de Sand adressées à Bourdet, où elle livre des confidences rarement faites. Ce dernier avait tellement insisté qu’elle avait accepté de l’accompagner aux courses de chevaux de Mézières-en-Brenne, ce dont il a fait un article. Cette situation lui donne l’occasion de préciser sa relation avec la célébrité : elle n’aime pas la publicité, et elle dévoile ainsi son tempérament secret et réservé. Elle refuse que l’on dévoile sa vie de famille, et se confie sur ses relations très difficiles avec sa fille, et sur sa situation financière. On a ainsi un aperçu assez clair de ce qu’elle gagnait avec ses livres, de sa vie à Nohant où elle distribuait énormément d’argent à ses amis et aux miséreux, notamment lors de la famine de 1847, tout en étant elle-même souvent limitée.

Dans un autre ensemble de lettres passionnantes, elle échange sur des questions philosophiques et spirituelles avec un curé et voisin aux idées avancées.

Quels sont les aspects les plus inattendus que l’on peut découvrir dans ces lettres retrouvées ?

Le beau livre de Michelle Perrot est très éclairant sur la vie intime de Sand à Nohant, mais de nouveaux éléments apparaissent comme son intérêt pour l’agriculture, pour son jardin, pour les fermiers, pour les domestiques… On entre aussi dans sa cuisine littéraire : comment les livres se faisaient, comment on les corrigeait, quels étaient ses liens avec les directeurs de journaux, les directeurs de théâtre… Tout cela est d’ordre à la fois littéraire et privé.

Elle passait aussi son temps à recommander des gens pour les aider à trouver un emploi. Et puis, à certains moments, on la prend en flagrant délit de mensonge, parce qu’elle veut préserver son intimité à Nohant. Pour éloigner les importuns, elle s’invente une sœur qu’elle doit visiter, alors qu’elle n’en a pas : elle ne supportait pas qu’on dérange son emploi du temps et protégeait son espace familial et son temps de travail.

On s’aperçoit que le théâtre revêt une place essentielle dans son écriture, même si ses pièces ne sont plus jouées aujourd’hui. Elles ont un aspect mélodramatique et des effets de mise en scène difficiles à mettre en scène, mais surtout notre époque est trop blasée pour y être sensible ! Certaines d’entre elles mériteraient pourtant d’être proposées sur scène. Sand a travaillé sur la transposition théâtrale d’un nombre de ses romans, et elle était très proche de certains comédiens, comme Bocage, qui a été son amant. Quand elle écrit une pièce, elle a toujours l’acteur en tête. Le théâtre lui a permis de gagner un plus grand public et il a augmenté ses revenus de manière conséquente.

Dans quelle mesure ces lettres confirment-elles la notoriété spectaculaire de George Sand au XIXe siècle ?

Elle était extrêmement reconnue, il fallait avoir une sacrée personnalité pour faire venir autant de monde dans ce petit trou du Berry où sont venus la voir les plus grands écrivains de l’époque, dont Flaubert et Tourgueniev. Elle était très appréciée car elle comprenait les gens, elle savait se mettre en fusion avec son interlocuteur. Une des plus belles correspondances est celle qu’elle a entretenue avec Flaubert : les deux compères, comme ils se nommaient, étaient de la même trempe, et leurs échanges sont passionnants.

Sand a traversé tout le siècle, et elle s’intéressait à beaucoup de sujets. Elle était très musicienne, avait une liaison avec Chopin, était très amie avec Liszt, mais aussi avec la cantatrice Pauline Viardot. Leur correspondance est l’objet de mes prochaines recherches.

George Sand ne suscite-t-elle pas un intérêt croissant depuis quelques années ?

Cet intérêt pour elle est revenu en partie grâce à sa correspondance qui a été un vrai succès en librairie car elle se lit comme un feuilleton. Petit à petit, on s’est à nouveau intéressé à ses romans sur lesquels on avait des opinions très fausses et souvent superficielles. On a fait lire dans les écoles des versions expurgées de La Mare au diable ou de François le Champi, qui ne donnaient pas une image vraie de ce qu’est le roman sandien. Selon moi, son plus grand roman est Consuelo. Il est en partie inspiré de Pauline Viardot et se situe dans la lignée des grands romans d’apprentissage de Goethe. Un choix de romans de George Sand a récemment été publié dans La Pléiade et le corpus choisi offre une belle vision de la diversité romanesque de Sand : on y trouve Le Compagnon du tour de France pour la dimension sociale, mais aussi des romans de voyage, des romans épistolaires… George Sand mérite d’être relue, à travers ses lettres où se dévoile une personnalité extraordinaire, mais aussi à travers ses romans !

Nouvelles Lettres retrouvées de George Sand, édition établie par Thierry Bodin, Le Passeur Éditeur, 2023, 636 p.

Très vite, on se laisse séduire par la personnalité flamboyante et complexe de l’auteure qui a traversé le XIXe siècle et ses remous politiques, sociaux et artistiques. Les missives s’adressent aux destinataires les plus variés : des comédiens qui interprètent ses textes théâtraux, des amis, des écrivains, des scientifiques, des personnalités politiques, mais aussi...

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