Rechercher
Rechercher

Moyen-Orient - Égypte

Entre le FMI et l’armée, Sissi refuse de choisir

Le président égyptien est confronté à une pression inédite pour réduire le rôle dans l’économie de l'institution militaire, si chère à ses yeux.

Entre le FMI et l’armée, Sissi refuse de choisir

Le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi, en octobre 2017, à Paris. Photo AFP

Pour Abdel Fattah el-Sissi, c'est un défi sans précédent. Le président égyptien, dont le pays subit la pire crise économique de son histoire, ne peut plus compter comme auparavant sur ses bailleurs internationaux. Ou plutôt, il ne peut plus le faire sans rien donner en retour. En décembre 2022, six ans après le premier prêt accordé à l’Égypte, le Fonds monétaire international (FMI) en a approuvé un quatrième pour soulager le pays, d’une valeur de trois milliards de dollars. Contrepartie majeure de celui-ci : la privatisation de l’économie, le secteur privé hors pétrole s’étant contracté de manière continue sur les trois dernières années. Cela implique la mise sur le marché d’entreprises publiques, en partie détenues par l’armée égyptienne omniprésente dans l’économie. Et c'est là que les choses se compliquent pour le maréchal Sissi : comment donner des gages à ses bailleurs sans se mettre à dos la toute-puissante armée dont il est issu ? « Cela fait dix ans que le régime travaille à la concentration du pouvoir économique et politique entre les mains de l’armée », explique Maged Mandour, analyste économique spécialiste de l’Égypte. Agriculture, ingénierie, tabac, automobiles, construction, tourisme… le secteur militaire est omniprésent. Les experts estiment que la troupe contrôle entre 15 et 40% de l'économie du pays. « Depuis des années, Sissi et l'armée, pour laquelle il a servi durant 37 ans, mettent en avant le nombre de partenaires du secteur privé qu'ils emploient pour leurs projets, explique Yezid Sayigh, chercheur résident au Carnegie Institute for Middle East Policy. C’est donc facile de présenter cela comme un partenariat public-privé. »

Lire aussi

« Faire Dubaï, au Caire » : la république en chantier

Ce qu’ils ne révèlent pas, c'est les mécanismes de sous-traitance derrière ces partenariats, qui permettent à l’armée de créer à sa guise une marge de profit considérable. « Il y a de nombreuses preuves que l’armée ne paie pas les compagnies qu’elle sous-traite à leur juste valeur », renchérit Maged Mandour. Le secteur militaire, en plus de l’accès au marché public, profite d’avantages qui lui permettent de ne devoir rendre de comptes à personne. L’armée est exemptée de taxes et de droits de douane sur les biens qu’elle importe pour ses activités. De quoi « lui donner d’ores et déjà une capacité à concurrencer les entreprises du secteur privé sur une base inégale », fait remarquer Robert Springborg, chercheur à l’Istituto Affari Internazionali.

Un Golfe influent
Mais désormais, « le nouvel élément qui pourrait avoir un impact considérable est la réticence grandissante du Golfe à subventionner Sissi », analyse Yezid Sayigh. Face à la crise, l’Égypte compte en effet sur 14 milliards de dollars provenant du Golfe, en plus du prêt du FMI dont le montant n’a jamais été aussi bas. Depuis des années, les monarchies du Golfe soutiennent inconditionnellement cet allié qui ne sera jamais devenu « fort et indépendant » comme elles l’espéraient, suggère Maged Mandour. En janvier 2023, l’Arabie saoudite a donc annoncé qu’elle n’accorderait plus d’aides inconditionnelles au Caire, attendant que des changements économiques se manifestent. Jamal Saïf al-Jarwan, secrétaire général du Conseil international d’investissements des Émirats arabes unis (EAU), a déclaré, dans un entretien à CNN en mars, sa volonté de voir l’économie égyptienne « changer profondément son rapport à la privatisation » en mentionnant explicitement l’armée égyptienne.

Le prince héritier Mohammad ben Salman recevant le président égyptien Abdel Fattah el-Sissi dans la ville côtière de Djeddah, sur la mer Rouge, le 16 juillet 2022. Photo d'archives AFP

Cette conditionnalité « leur donne une influence et un pouvoir extraordinaires sur le gouvernement du Caire », affirme Timothy Kaldas, directeur adjoint du Tahrir Institute for Middle East Policy (Timep). Cela pose un sérieux casse-tête pour M. Sissi. Si les pays du Golfe ne viennent plus à son secours, l'Égypte risque d'être sérieusement déstabilisée et son pouvoir fragilisé. Mais s'il s'en prenait à l'armée, il pourrait perdre son soutien et se retrouver isolé sur la scène interne. « L’Égypte est encerclée », résume le directeur du Timep. L'Égypte, avec ses plus de 100 millions d'habitants et son positionnement stratégique, n'est toutefois pas n'importe quel pays. Personne n'a intérêt à sa déstabilisation. Et ça, le président égyptien en a parfaitement conscience. « La manière dont ses partisans au CCG (Conseil de coopération du Golfe) se mobiliseront fera la différence », annonce Ishac Diwan, professeur à la Paris School of Economics. Tout dépend de savoir si Riyad et Abou Dhabi décident de pousser pour la réforme structurelle dont le pays à besoin ou de continuer à financer par d’autres moyens ce modèle économique défectueux, ce qui, d’après Maged Mandour, « reste très difficile à prévoir ».

Récemment, les monarchies du Golfe ont annoncé leur volonté d’acheter les parts des entreprises égyptiennes à prix cassé sur le marché, faisant montre d'une tendance médiane entre les deux options. Robert Springborg les soupçonne « d'essayer simplement de déplacer leur charge financière en passant d'une sorte de prêt illimité à l'Égypte, principalement sous la forme de dépôts à la banque centrale, à la possession d'actifs productifs significatifs afin d'accroître leur influence dans ce pays ». Néanmoins, ces acquisitions ne se feront pas de sitôt, prédit Timothy Kaldas. « Il est dans l’intérêt des États du Golfe d’attendre que la monnaie égyptienne soit complètement dévaluée, car plus sa valeur baisse, plus le coût des actions des entreprises diminue. » La livre égyptienne a déjà été dévaluée de 50% depuis l’année dernière, en vertu notamment de l'accord signé avec le FMI qui requiert de laisser flotter la monnaie nationale au gré du marché.

Des réformes symboliques
Il y a quelques mois, le président Sissi a effectivement mis en vente 32 compagnies publiques sur le marché. Parmi celles-ci, deux sont détenues par l’armée : Wataniya et Safi. En décembre dernier, un projet de loi a été préapprouvé, permettant l’ouverture aux investisseurs privés du fonds souverain gérant les surplus de rendement du canal de Suez, source majeure de revenus nationaux. Bien que les changements semblent aller dans la direction des demandes du FMI, en réalité « ni Sissi ni le gouvernement n’a une seule politique économique cohérente », affirme Yezid Sayigh. Celui-ci s’attend donc à ce « qu'ils présentent tout ce qu'ils font, sur le papier, comme respectant les termes de l'accord avec le FMI, même si, en pratique, c’est illusoire ».


Un cargo sur le canal de Suez. Photo d'illustration AFP

Wataniya et Safi sont en effet « insignifiantes en termes de profit et de production pour l’institution », explique Robert Springborg. Selon The Economist, un nombre croissant de franchises Wataniya ont été rebaptisées ChillOut et sont détenues par une entreprise que l’armée compte conserver. Tout cela n'est, pour l’expert du Carnegie, qu'une « stratégie de retardement » pour laisser l’armée en paix pendant encore un moment ou au moins jusqu’en mars 2024, date à laquelle une revue des ventes par le FMI est prévue.

Pendant ce temps, l’institution militaire continue au contraire à étendre son rôle économique avec, par exemple, l’une de ses entreprises, la National Service Projects Organization (NSPO), qui construit des usines pour fabriquer des engrais ou des vaccins vétérinaires, et qui signe le contrat de rénovation du zoo du Caire, selon The Economist. Si elle devait permettre l'ouverture à des capitaux privés, la loi de décembre sur le fonds souverain du canal de Suez manque cependant d'un moyen de contrôle législatif sur les opérations du fonds. Et l’entité souveraine, chargée de décider de la vente ou non du surplus des revenus du canal, « ne désigne nul autre que l’armée ou les services secrets, donnant aux militaires un moyen de siphonner encore plus d’argent des revenus de l’État », avance Maged Mandour.

Un FMI incompétent
Alors que le FMI se prépare à effectuer le premier examen du programme de réformes, le gouvernement égyptien semble bénéficier d’une marge de manœuvre pour se couvrir. « Je ne pense pas que le FMI enverra des équipes d’auditeurs dans les compagnies égyptiennes », présume Robert Springborg. D’autant que les entreprises militaires n’ont historiquement « jamais établi de rapport sur leurs activités », observe de son côté Timothy Kaldas, ce qui rend le processus de contrôle encore plus long et peu réaliste. L’institution financière avait en outre réclamé un cadre de régulation et de transparence pour que l’armée n'ait plus le même traitement de faveur. Cependant, face à la complexité du système par lequel le favoritisme fonctionne, des entités aux tribunaux, en passant par différentes juridictions et régulations, Robert Springborg prévoit que le contrôle du FMI « serait un travail gigantesque et ainsi peu probable ».

Le raïs, tout le raïs, rien que le raïs

Le raïs, tout le raïs, rien que le raïs

« Si on se réfère à l’histoire, on peut s’inquiéter, à juste titre, que c’est ce qui va se passer », estime Timothy Kaldas, en référence à l’incapacité du FMI à contrôler la réalisation des réformes. Son programme de 2016, qui visait par exemple à augmenter la participation des femmes sur le marché du travail ou encore une croissance inclusive, a vu « en réalité tous les indicateurs concernés s’aggraver », poursuit le directeur adjoint du Timep. Si, pour le président égyptien, la crise actuelle est la conséquence de la guerre de la Russie en Ukraine, l’armée y est pour beaucoup. Les projets grandioses de l’État, majoritairement gérés par des entreprises détenues par l’armée, souvent non aboutis et pour la plupart mal étudiés, « sont une cause principale de la crise de la dette », affirme Yezid Sayigh, alors que des millions d'Égyptiens tentent, avec plus de mal que de bien, de faire face à l’inflation et à la dévaluation.

Pour Timothy Kaldas, le constat est clair : « Le FMI est très mal équipé pour comprendre la complexité de la crise qui touche l’Égypte. » n découlent les demandes ambitieuses de réformes qui semblent impossibles à effectuer de sitôt, et font du sauvetage de l’Égypte « un échec constant ». L’institution financière internationale réclame en fait « un changement fondamental dans la façon dont le pays est géré, et il s'agit d'une tâche extrêmement complexe », renchérit Maged Mandour.

Une crise qui risque de se prolonger
À mesure que le pays s’enfonce dans la crise, la population semble pourtant être à bout face à son président : « Il y a des réactions populaires contre lui, de plus en plus de grèves et de manifestations », affirme Robert Springborg. Plus inédit, le maréchal Sissi fait face à des critiques provenant notamment de certains députés. Mohammad Anouar Sadate, neveu du président assassiné et fondateur du parti Réforme et Développement à tendance libérale, a entre autres affirmé en octobre 2022 qu’il souhaitait que le mandat du président se termine incessamment et qu’il ne soit pas renouvelé.

La possibilité d’un coup d'État militaire a été évoquée par quelques médias. Mais, selon Robert Springborg, « le président, bien qu'affecté par la crise économique, n’est pas assez faible pour qu’il soit facilement renversé ». Au vu de la relation fondamentale entre le président et l’armée, il ne la laissera pas tomber, malgré les exigences du FMI et des pays du Golfe. « Les chances que le président aille si loin que l'armée fasse un coup d'État sont extrêmement improbables », assure Maged Mandour.

Un homme paye son repas dans un restaurant populaire en Égypte. Photo d'illustration AFP

Pour Abdel Fattah el-Sissi, c'est un défi sans précédent. Le président égyptien, dont le pays subit la pire crise économique de son histoire, ne peut plus compter comme auparavant sur ses bailleurs internationaux. Ou plutôt, il ne peut plus le faire sans rien donner en retour. En décembre 2022, six ans après le premier prêt accordé à l’Égypte, le Fonds monétaire...

commentaires (1)

J'adore ses lunettes de soleil. Puis-je svp obtenir les coordonnées de la marque qui les fabrique, ou leur achat est-il réservé aux clients ayant accès à la très exclusive boutique "tout pour le maréchal" ?

IBN KHALDOUN

15 h 27, le 25 avril 2023

Tous les commentaires

Commentaires (1)

  • J'adore ses lunettes de soleil. Puis-je svp obtenir les coordonnées de la marque qui les fabrique, ou leur achat est-il réservé aux clients ayant accès à la très exclusive boutique "tout pour le maréchal" ?

    IBN KHALDOUN

    15 h 27, le 25 avril 2023

Retour en haut