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Idées - Point de vue

Entre le FMI et l’heure d’été, ne confondons pas incompétence et illégitimité

Entre le FMI et l’heure d’été, ne confondons pas incompétence et illégitimité

Photo d’illustration : le président de la Chambre Nabih Berry et le président du Conseil (actuellement par intérim) Nagib Mikati au Parlement, le 23 mai 2018. Archives AFP

Hasard ou coïncidence symbolique, le 23 mars dernier se sont juxtaposés deux événements qui résument le drame libanais. D’une part, la conférence de presse du chef de la délégation du Fonds monétaire international (FMI), Ernesto Ramirez Rigo, à l’issue de sa visite à Beyrouth dans le cadre des consultations périodiques de l’article IV de la charte de l’organisation. De l’autre, le président du Conseil par intérim, Nagib Mikati, et le président de la Chambre des députés, Nabih Berry, décidant de reporter d’un mois l’entrée en vigueur de l’heure d’été. D’un côté, un fonctionnaire international qui accomplit sa mission : évaluer la situation macroéconomique d’un pays membre, lui faire des recommandations et, du fait d’une crise « unique au monde », négocier les conditions d’une injection de liquidités dans le cadre d’un programme de stabilisation et de relance multiannuel. De l’autre, la réalité du pouvoir libanais, exercé en dehors de tout cadre institutionnel, et son sens des priorités, insouciant de la vie des gens, étriqué jusqu’à la caricature alors que le pays brûle.

Voyage en absurdie

Qu’a dit le fonctionnaire du FMI ? Rien d’autre que ce que de nombreux économistes ou organisations libanaises, à l’instar de Kulluna Irada, répètent depuis des mois. À savoir qu’au-delà de la crise que traverse le Liban, ce qui est en jeu, c’est la « dislocation » de son économie et de sa société.

L'édito de Issa GORAIEB

Le courage du scandale

Qu’ont montré les deux « présidents » représentant le pouvoir libanais ? Tout d’abord, le film de leur échange montre l’improvisation, la légèreté, le dédain même, avec lesquels sont traités les dossiers. Tant la date de ramadan que celle du changement d’heure sont connues depuis longtemps et une telle décision aurait dû avoir été préparée à l’avance pour tenir compte de ses implications pratiques plutôt que d’être laissée à la seule volonté de deux hommes, en dehors de tout cadre institutionnel et administratif. Le chaos qui s’en est suivi, qui a fait les titres de la presse internationale, démontre à lui seul l’inconséquence d’une mesure qui a dû être annulée sous la pression.

Elle démontre ensuite leur mépris absolu de la Constitution et de l’État de droit. Le changement de l’heure d’été ne relève en aucun cas du pouvoir législatif, qu’en tout cas le président de la Chambre des députés n’incarne pas à lui seul. De plus, la décision était officiellement fondée sur une « approbation exceptionnelle délivrée par le Premier ministre » qui s’affranchissait de la nécessaire collégialité du Conseil des ministres, ensuite convoqué pour revenir sur l’intention initiale.

Le voyage en absurdie qu’a provoqué cette décision improvisée et arbitraire est une nouvelle déstabilisation psychique imposée aux Libanais. Elle jette une lumière crue sur la nature du pouvoir : la maîtrise du temps est l’un des symboles du pouvoir par excellence. Les Français qui ont été obligés de passer « à l’heure allemande » pendant la Seconde Guerre mondiale ont longtemps gardé cette expression comme un signe du joug qu’ils ont subi alors. La fronde contre l’heure de Berry-Mikati est bien une rébellion politique, car, et c’est fondamental, la prétention démocratique de la République libanaise ne tient plus.

Focus

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Gouverner, c’est anticiper, évaluer les options, faire des choix dans l’intérêt général, les expliquer et les assumer. À la tête du Liban, rien de tout cela. C’est l’évidence pour tous.

Le représentant du FMI a exposé clairement les effets de l’inconséquence des autorités : l’enlisement sans fin de la société libanaise – c’est-à-dire sans espoir de rebond à court terme –, l’appauvrissement généralisé, l’émigration massive, des inégalités criantes, un État incapable d’assumer la moindre de ses fonctions à défaut d’être financé, une économie de très bas niveau soutenue par les seules remises des expatriés et l’assistance humanitaire, une monnaie nationale à la dérive, l’informalité croissante et son cortège de trafics, sans parler de la problématique propre à la présence de réfugiés représentant près du quart de la population.

Il n’est pas question ici de sacraliser la voix du FMI ou de faire preuve d’angélisme à l’égard d’une organisation qui, par sa complaisance passée, a aussi sa part de responsabilité dans la crise libanaise.

Principe de responsabilité

En l’occurrence toutefois, la voix d’Ernesto Ramirez Rigo aurait dû largement couvrir le bruit médiatique entretenu à grand frais par les tenants de la kleptocratie milicienne libanaise.

Son message tient en peu de mots : le poids des pertes est tel qu’il n’y a d’autre solution que de les reconnaître et les apurer en amont. Toute alternative alourdirait le budget de l’État – c’est-à-dire la ponction sur la société libanaise actuelle et celle des générations à venir – de telle sorte que l’économie ne pourra jamais se redresser.

Refuser cette vérité n’a, jusqu’à présent, servi que les intérêts des responsables de la crise. À mesure que le temps passe, les liquidités en devises réellement disponibles s’amenuisent (en réalité, elles sont affectées de façon arbitraire et discrétionnaire et des transferts de richesses massifs sont en cours) et réduisent le seuil de recouvrement effectif des dépôts. Tandis que les responsables de cette faillite monumentale – les décisionnaires au sein des banques, de la banque centrale, du gouvernement et du Parlement – restent en fonction en toute impunité.

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La reconnaissance et l’apurement des pertes sont l’étape indispensable à l’assainissement financier qui permettra le – difficile – redémarrage de l’économie et la construction d’un nouveau pacte social. Elles sont aussi et surtout l’étape indispensable pour l’enclenchement du principe de responsabilité. La fonction d’Ernesto Ramirez Rigo l’empêche de dire qu’il ne croit pas un mot des énièmes promesses des autorités libanaises. Quiconque lit ces lignes sait qu’il n’y a pas d’espoir possible sans nouvelle équation politique fondée sur des orientations claires. C’est l’existence même d’un État au Liban qui est en jeu.

La question qui s’impose plus que jamais n’est pas celle de la compétence du pouvoir en place, mais celle de sa légitimité. Elle a été contestée avec force le 17 octobre 2019. Depuis, le cynisme ou le défaitisme face à un ordre des choses apparemment intangible dominent. La colère qui s’était exprimée semble endormie. Elle est pourtant le seul moteur possible du changement, à condition d’être canalisée vers un projet alternatif.

L’épisode de l’heure d’été montre qu’il y a deux façons de contester cet arbitraire despotique : l’une, à partir de positions confessionnelles, contribue à nourrir la logique du pouvoir communautaire ; l’autre ouvre la voie à une remise en cause de la kleptocratie milicienne qui se sert des atours confessionnels pour s’autoperpétuer. La rhétorique identitaire entrave, depuis plus d’un siècle, l’établissement d’un État au Liban au profit du régime des « zaïms » qui a accaparé le pouvoir. Un régime pour qui le temps n’a pas de valeur, comme le désastre du passage à l’heure d’été l’a démontré de la façon la plus flagrante. Un régime qui n’hésite pas à briser une société entière, pourvu qu’il survive une minute de plus, tant son court-termisme est criminel.

Directrice des politiques publiques de l’ONG Kulluna Irada.

Hasard ou coïncidence symbolique, le 23 mars dernier se sont juxtaposés deux événements qui résument le drame libanais. D’une part, la conférence de presse du chef de la délégation du Fonds monétaire international (FMI), Ernesto Ramirez Rigo, à l’issue de sa visite à Beyrouth dans le cadre des consultations périodiques de l’article IV de la charte de l’organisation. De...
commentaires (15)

NE CONFONDONS PAS INCOMPETENCE ET ILLEGITIMITE ? MAIS AUSSI HEBETUDE !

LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

14 h 31, le 03 avril 2023

Tous les commentaires

Commentaires (15)

  • NE CONFONDONS PAS INCOMPETENCE ET ILLEGITIMITE ? MAIS AUSSI HEBETUDE !

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    14 h 31, le 03 avril 2023

  • Quand on regarde la photo, ils ont l'air de bien rire nos gouvernants ! Mais au fait, quelle est la moyenne d'âge de nos dirigeants... 70, 80, 90 ans ? Cette gérontocratie agonisante et corrompue jusqu'à la moëlle me révulse au point de me donner la nausée. Pauvre Liban. Tu me manques.

    Ca va mieux en le disant

    23 h 28, le 02 avril 2023

  • - MES COMMENTAIRES SONT SUJETS A LA CENSURE, - QUAND EDITORIAUX ET ARTICLES DU JOURNAL, - SANS OTER LES DISCOURS DES LEADERS, SANS MESURE, - QUI CRIENT SUR TOUS LES TOITS CE QUE JE DIS SANS MAL. = - ET S,ENTRE-ACCUSENT TOUS, ET LE JOURNAL REPORTE, - DE LEURS MEFAITS DONT MES TIRADES SONT L,ECHO. - LE JOURNAL PUBLIE, DEMOCRATIE OUVERTE, - AUX CORROMPUS MAFIEUX, NON A MON FRANC FLAMBEAU.

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    16 h 10, le 02 avril 2023

  • - TANT QUE JE VOIS LEURS VISAGES, - CA ME TAPPE SUR LES NERFS. - S,ILS ETAIENT UN TOUT PEU SAGES, - ILS IRAIENT SEULS AUX ENFERS.

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    20 h 40, le 01 avril 2023

  • - REGARDEZ BIEN CES DEUX-LA. - ILS RIENT COMME FERNANDEL. - CES DEUX GOUVERNENT L,ETAT. - QU,ILS ONT REDUIT EN BORDEL.

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    14 h 59, le 01 avril 2023

  • - MA TIRADE PARLE A QUI SONT DE BONNE FOI. - PATRIOTES SI TOUS, ENFANTS DE CETTE TERRE. - JE NE M,ADRESSE PAS A QUI SEMENT L,EFFROI, - ET A L,AFFILIATION STRICTEMENT ETRANGERE. - A MOINS QUE LE REGRET QUI BIFFE L,ILLEGAL - LES FASSE RETOURNER AU BERCEAU FAMILIAL.

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    14 h 07, le 01 avril 2023

  • Sybille parle encore des banques dans sa haine des riches. Alors que les banques de la voix de l'ABL Francois Bassil on decidé d areter de financer le gouvernement. Pour recevoir un appel de menaces de Nabih Berri et revenir sur sa decision. En plus ils parlent de la thawra alors que la thawra ne represente pas les 150milles fonctionnaires et leur familles donc 700,000 voteurs qui ne foutent rien d'utile que pour voter pour Berri et le Hezb a chaque fois. Donc Sybille dans son socialisme poussé a outrance ne voit pas que c'est la partition qui est la solution. Pas le FMI

    ..... No comment

    12 h 25, le 01 avril 2023

  • - ON EST SURPRIS DE VOIR LES LIBANAIS SE TAIRE, - DEVANT LES EXACTIONS DE LA MAFIOSITE, - VOL DES EPARGNES, FAIM, DEPENDANCE ETRANGERE, - EXODE DES CERVEAUX, GUIGNE ET FATALITE, = - MEME LES ATOLLIENS S,AFFRANCHISSANT DU MAL, - ONT FAIT DE LEURS ILOTS DES HAVRES DE QUIETUDE. - MAIS QU,ATTENDONS-NOUS ? QU,UN EVENEMENT BRUTAL - VIENNE SECOUER NOTRE ABJECTE TURPITUDE ? = OU BIEN ATTENDONS-NOUS LA SOLUTION MAGIQUE, - PAR D,AUTRES IMPOSEE ET QUI N,INTERVIENT PAS ? - FRERES, RIEN N,EST SANS PRIX, ET LA CLEF HISTORIQUE, - DE L,ENTENTE OU LA BROUILLE EST DANS NOS PROPRES BRAS.

    LA LIBRE EXPRESSION SE DECONNECTE

    12 h 04, le 01 avril 2023

  • Suite Et à maintenir les quelques millions de réfugiés au Liban sous prétexte qu’ils leur versent des subventions à hauteur de 400 $ par mois pour avoir bonne conscience alors que les denrées consommées et tout le reste ne parviennent pas aux citoyens libanais qui survivent avec moins 80 dollars mensuels? Pourquoi ce mépris du monde à l’égard des libanais qui n’ont jamais rien demandé d’autre que de vivre décemment et dignement et de pouvoir bénéficier un tant soit peu de considération de ce monde civilisé puisque leurs gouvernants n’ont jamais eu cure de leur dignité ni de leur vie? Une racaille qui continue à le massacrer est appuyée et encouragée par ceux là-mêmes qui veulent soit disant sauver le peuple de leurs griffes et le Liban de leurs projets destructeurs? Qu’on nous explique..

    Sissi zayyat

    11 h 52, le 01 avril 2023

  • Ah que c’est bien dit! Seulement voilà. Des traitres incompétents qui reçoivent toute l’attention et l’écoute de certains grands présidents de ce monde et je ne cite que Macron puisque ses déclarations tapageuses et sans complexe circulent lui, qui veut sauver le Liban mais leur tient le crachoir pour accéder à leurs désirs et ainsi les encourager à s’accaparer du pouvoir auquel,ils se sont donné tellement de mal,pour l’accaparer de force sans jamais écouter les exigences du peuple et de la raison qui prouvent que tant qu’ils sont à leurs postes, notre pays n’irait que plus mal et se dirige vers la dissolution complète par les soin de ces cleptomanes sans conscience, ni foi, ni loi et encore moins d’empathie pour le peuple qui est agonisant et sur le point de rendre l’âme tout comme le pays. Les fonds pillés continuent à être transféré et on se demande où atterrissent tous ces butins volés puisqu’aucune banque au monde n’est censée ignorer ce qui se passe dans notre pays. Alors comment diable cet argent arrive à circuler et à être placé et dans quel pays et banque sans scrupule pour trouverrefuge alors que le FMI continue de sermonner accompagné tantôt de ses recommandations et tantôt ses menaces sans jamais lever le petit doigt pour empêcher que des fonds volés puissent trouver refuge dans le monde? Comment le monde entier, alors qu’il voit que le Liban n’arrive pas à nourrir sa population et lui prodiguer l’eau et l’électricité font l’autruche en se lavant les mains et

    Sissi zayyat

    11 h 44, le 01 avril 2023

  • Ne vous trompez pas. La racaille du pouvoir allie en meme temps incompetence et illegitimite, en plus de la corruption, de l'irresponsabilite, de la paresse et aussi d'une arrogance sans limite.

    Michel Trad

    10 h 59, le 01 avril 2023

  • Constat implacable, impitoyable, impeccable, bravo! L'inaction et la passivité du peuple ne relèvent pas de sa résignation mais de la sauvegarde de ses dernières ressources; moins l'on bouge moins l'on dépense, c'est aussi simple!

    Céleste

    09 h 36, le 01 avril 2023

  • "La question qui s’impose plus que jamais n’est pas celle de la compétence du pouvoir en place, mais celle de sa légitimité". En effet. Difficile de qualifier d'incompétents Berry et Mikati. L'excuse - si c'en était une - pourrait valoir pour Bassil, mais pas pour deux vieux briscards de la politique et des affaires comme les deux précités. Dans l'affaire de l'heure, par exemple, il n'y a eu aucune gaffe de commise, mais un acte de sabotage délibéré. Et c'est ce à quoi nous assistons depuis (et même avant) le début de la crise. Cela porte un nom, en huit lettres et commençant par "T".

    Yves Prevost

    08 h 18, le 01 avril 2023

  • "… rien de tout ne cela …" - Vous avez gagné le Grand Prix du rayonnement francophone ou vous n’avez pas gagné le Grand Prix du rayonnement francophone? ;-)

    Gros Gnon

    01 h 32, le 01 avril 2023

    • Bonjour, Merci pour votre commentaire, la coquille a bien été corrigée. Bonne journée,

      L'Orient-Le Jour

      11 h 26, le 01 avril 2023

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