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Nos Lecteurs ont la Parole

« Iza hawa », l’amour est une danse

Sur scène, deux personnes, elle et lui. Un couple que le public libanais connaît très bien. Lui, c’est Roger Assaf et elle, c’est Hanane Hajj Ali. Leur présence ensemble sur scène suffit pour évoquer en nous plein de souvenirs et une histoire. Une histoire riche en théâtre et rébellion. Mais ce soir, dans la performance de Iza hawa de Ali Chahrour, ils sont sur scène, nus devant nous, fragiles et extrêmement sensibles.

Ils marchent l’un vers l’autre, il tient sa canne pour aller vers elle ; une fois ensemble, ils s’enlacent, elle devient son socle, il tourne autour d’elle. Une fois ensemble, ils nous regardent, nous le public déjà étouffé et inquiet – nous sentons le risque que Roger prend, il est sans sa canne –, leur regard suffit pour que nous sentions que nous sommes face à un péril, une détresse. Roger commence à parler de Beyrouth, il la pleure. Puis Hanane pleure Roger, mort, ils sont séparés de nouveau. Ensuite, ils deviennent comme des enfants qui regardent leurs mains, fascinés. Se souviennent-ils de leurs enfants ? Plus tard, ils se marieront, Hanane sera portée sur les épaules comme une vraie mariée, sauf que même si elle nous sourit et danse pour son époux, le danger ne les quitte pas. Ils sont des mariés condamnés à un écroulement, à la mort. Vient la scène de la dabké par la suite pour insister sur ce mélange que Chahrour a brillamment su construire : la transformation des rites de joie en détresse. Le mariage et la dabké nous laissent sans joie, mais plutôt malheureux.

Tout au long de la performance, le public est mis face au danger, à la détresse et à la faiblesse. La fin est annoncée dès le début, Roger mourra, Hanan pleurera. Elle est annoncée doublement avec la chanson qu’elle chante, elle reprend Asmahan avec Dakhalti marra fi guinena (Je suis entrée une fois dans un jardin), qui pleure aussi son oiseau volé.

Iza hawa est une tragédie contemporaine où on pleure l’amour et la ville. La scène est vide, nous ne savons pas où nous sommes exactement, sauf que Beyrouth est évoquée tout au long de la pièce par Roger, une Beyrouth vide et sinistrée. La musique de Abed Koubeissi vient renforcer ce sentiment de danger, une composition originale pour ce spectacle et qui nous y immerge.

Le metteur en scène est lui-même sur scène avec son assistant Chadi Aoun. Ensemble, ils viennent à l’aide du couple, ils le soutiennent à des moments puis repartent en silence et les laissent faire face à leur solitude, leur vieillesse et leur agonie. Ali et Chadi représentent-ils les enfants de Hanane et Roger qui sont parfois présents mais souvent absents, comme c’est le cas pour beaucoup de familles libanaises ?

Beyrouth dépend-elle maintenant d’un vieux couple qui ne peut plus rien faire pour elle ? L’avons-nous tous quittée, laissant la révolte de la génération d’avant sans suite ?

Sur scène, ce couple fait tout : il est le cœur qui assiste à sa propre souffrance, il est aussi les personnages qui font l’action dramatique et la commentent aussi. L’essence de la tragédie et du théâtre, c’est eux, la ville est vide et sinistrée, mais ils continuent seuls sur scène. Ils peinent à le faire. La scène finale nous donne espoir après que, lentement, il marche vers elle et qu’elle lui ouvre grands ses bras. Il rentre chez lui, vers elle, et ils s’enlacent. Sauf que ça peut être le début renversé, ce qui nous met face à la mort dès le premier moment, surtout que cette traversée de Assaf est accompagnée par l’appel à la prière. La rencontre devient une procession funéraire.

La mort hante de nouveau le travail de Chahrour et nous hante à nous aussi, nous laissant face à des questions sans réponses : qu’allons-nous faire quand la fin est déjà annoncée, quand nous sommes face à la mort dès l’origine, quand on est face à un pays délaissé et vide, quand on est face à un danger continu, séparés constamment de ceux qui nous aiment ? Hajj Ali et Assaf ont répondu à ces questionnements en choisissant le théâtre et l’amour.

Iza hawa, ou quand on est en vis-à-vis avec notre faiblesse et qu’on accepte la condition humaine, quand on n’a pas autre d’choix. Une performance très forte et sensible pour laquelle nous remercions Assaf d’accepter de partager avec nous sa faiblesse physique, et c’est ce qui garde en nous l’espoir tout au long du spectacle. Un travail qui couronne le parcours de ce couple socle du théâtre libanais et qui est une offrande qu’il présente, avec Chahrour, à la nouvelle génération.

Hiba NAJEM

Artiste et performeuse

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Sur scène, deux personnes, elle et lui. Un couple que le public libanais connaît très bien. Lui, c’est Roger Assaf et elle, c’est Hanane Hajj Ali. Leur présence ensemble sur scène suffit pour évoquer en nous plein de souvenirs et une histoire. Une histoire riche en théâtre et rébellion. Mais ce soir, dans la performance de Iza hawa de Ali Chahrour, ils sont sur scène, nus devant...

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