
Illustration Noémie Honein
Corinne* vient me consulter pour des pensées horribles qui s’imposent à elle et qu’elle ne peut réprimer. Elle a l’impression d’être un monstre. Elle n’ose pas en parler, même à sa meilleure amie, qui n’est pourtant pas du genre à porter un jugement. 30 ans, mariée depuis quelques années avec un homme qui l’adore et qu’elle aime passionnément, belle et bien mise, satisfaite de son boulot de bibliothécaire qui la nourrit intellectuellement, elle n’a pas de problèmes et ne comprend pas d’où lui viennent ces idées monstrueuses. « Vous avez des enfants ? » lui dis-je. « J’ai un fils de trois ans, André », repond-elle. S’installe alors un silence pesant. « Alors ? » « Justement, c’est de lui qu’il s’agit. » De nouveau, le silence pesant s’installe. Elle est mal à l’aise, se contorsionne sur son fauteuil, se prend les mains et n’arrive pas à parler. Je n’interviens pas, la laissant faire. « J’imagine que je suis en train de le tuer », dit-elle avec des larmes qui commencent à mouiller ses yeux. Je reste silencieux, bienveillant, faisant un effort pour ne laisser paraître aucune expression qu’elle pourrait mal interpréter. « D’où me vient cette pensée horrible, je ne comprends pas, je n’ai pas le droit d’être mère », poursuit-elle, en pleurs cette fois. « Pourtant, il est gentil, raisonnable, se laisse éduquer facilement… Comment puis-je imaginer une chose pareille ? » Je reste silencieux et bienveillant. « Vous restez silencieux, vous ne dites rien… Mais vous devez penser que je suis une mauvaise mère, que je n’aurais pas dû avoir d’enfant… Je n’aurais pas dû vous le dire… » Je la prie de continuer. De nouveau le silence pesant que je ne cherche pas à interrompre. « C’est dur d’être mère, vous savez. Vous les hommes, vous n’avez pas ce genre de problème. » Elle me demande de l’excuser de m’avoir inclus dans la catégorie des hommes et m’interpelle : « Vous avez des enfants ? » Tout en lui souriant, je ne réponds pas. Perspicace, elle poursuit : « Vous me souriez pour ne pas répondre, je sais que les psychanalystes ne répondent pas. » « Après mon mariage, je suis très tombée vite enceinte… J’aurais voulu continuer à profiter de ma vie de couple ; on faisait plein de voyages, mon mari et moi, on s’amusait beaucoup… Mais nos parents ne nous laissaient pas en paix : “Alors, quand est-ce que vous allez nous faire un enfant ?” “ Ne tardez pas trop, nous sommes déjà assez vieux comme ça…” Comme si nous allions faire un enfant pour eux. »
Corinne se sentait un peu plus à l’aise, soulagée d’avoir parlé de tout cela. « Et je dois vous avouer, nos relations sexuelles ont changé depuis que j’ai accouché. Mon mari ne me regarde plus comme avant. Mes seins qui suscitaient toujours son désir ont perdu de leur attrait érotique. Je l’ai constaté tout de suite quand j’ai commencé à allaiter André*... Le regard qu’il jetait sur moi n’avait plus rien d’érotique. Toujours tendre et affectueux, ce regard ne comportait plus aucun désir. » Bien plus tard dans sa cure, elle a compris que ce n’était pas son fils André qu’elle se voyait tuer, mais l’enfant qui symbolisait sa maternité et pour lequel elle a perdu de sa féminité. Le fantasme infanticide permettait à Corinne de rejeter sa fonction de mère qui lui a ravi une partie de sa féminité.
*Les prénoms ont été modifiés par respect de l’anonymat.
Corinne* vient me consulter pour des pensées horribles qui s’imposent à elle et qu’elle ne peut réprimer. Elle a l’impression d’être un monstre. Elle n’ose pas en parler, même à sa meilleure amie, qui n’est pourtant pas du genre à porter un jugement. 30 ans, mariée depuis quelques années avec un homme qui l’adore et qu’elle aime passionnément, belle et bien mise,...
commentaires (1)
Est ce vraiment un article pour l’orient le jour?
Bignier Zeina
19 h 49, le 11 mars 2023